Les enfants roms sur la route de l'école

Publié le 30 Décembre 2010

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Par Marie Barbier le mercredi 22 décembre 2010, 

 

Tous les matins, Stoyan, rom bulgare installé en France depuis deux ans, prend ses deux enfants par la main et les emmène à l’école. Anodin ? Au contraire. Les enfants de Stoyan - Simona, 8 ans et Stivan, 10 ans, sont des exceptions. La scolarisation des enfants roms, pourtant obligatoire, reste extrêmement marginale en France. Seuls 10% des 7000 enfants roms vivant en France, vont régulièrement à l’école.

 

Premier obstacle et non des moindres : le refus des municipalités de respecter cette obligation. Il faut souvent plusieurs années de bataille juridique avec intervention de la Haute autorité de lutte contre les discriminations (Halde), avant que les enfants ne puissent prendre le chemin de l’école. Dans ce contexte, la ville de Bobigny fait figure d’exception. « Dès qu’un enfant arrive sur la commune, il est scolarisé et inscrit à la cantine, explique Annick Lemée, directrice de cabinet à la mairie. C’est une tradition balbynienne qui permet de vivre ensemble et non pas côte à côte. C’est thérapeutique et préventif : quand on a été à l’école avec un enfant rom, on ne répète pas des âneries sur eux. »

 

Au cœur de la cité Karl Marx, l’école Marie Curie est l’une des quatre écoles de la ville à proposer des « classes d’intégration » (CLIN) pour les élèves non francophones. A elle-seule, cette école primaire accueille douze Roumains et cinq Bulgares. Pour autant, n’allez pas dire à son énergique directrice, Véronique Decker, que la scolarisation des enfants Roms est un combat. « Le combat, c’est de défendre l’école publique, laïque et gratuite pour tous, qui est attaquée de toute part, rétorque cette femme de 53 ans. Ne pas céder sur les Roms, c’est signifier qu’on ne cédera sur rien. » Un principe qui n’est pas simple tous les jours : démantèlements des lieux de vie, expulsions des familles, problèmes d’hygiène et de santé et traque policière rendent la scolarisation des enfants roms chaotique.

 

L’histoire de la rentrée scolaire de Stivan en dit long sur la difficulté du chemin quotidien vers l’école. Pas de liste interminable de fournitures pour le garçon, mais un exil de plusieurs semaines. Effrayé par les expulsions estivales, sa famille s’est réfugiée en Belgique. Ce n’est que mi-octobre que Stivan a pu rentrer en CE1. « Avec les expulsions et les démantèlements, il y a souvent des interruptions de plusieurs mois, raconte Remy Logié, le professeur de Stivan. Cela rend difficile l’apprentissage des fondamentaux. D’autant qu’à cette absence de régularité, s’ajoute l’angoisse et les conditions de vie. » A l’école Marie Curie, l’arrivée des enfants roms n’a pas été du goût de tous les parents d’élèves. Pour combattre peur et préjugés, la directrice a une méthode imparable : l’histoire. A ce père de famille maghrébin, venu se plaindre de la saleté des enfants roms, elle a conseillé de se renseigner sur l’endroit où habitaient ses propres parents quand ils sont arrivés en France. « Il a alors appris que sa famille avait habité le bidonville de Nanterre quand il était tout petit, il avait oublié.» La mémoire des migrations comme arme pour la tolérance.

 

 

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Le bidonville de Nanterre d’hier, et le terrain du Pont de Bondy d’aujourd’hui partagent la même misère suintante. Coincé entre les rails du tramway et le canal de l’Ourq, ce terrain abrite une trentaine de familles. Roumains, Serbes, Croates. Tous Roms. Les Bulgares les ont rejoints en septembre dernier, après l’incendie du tunnel qu’ils occupaient près du parc de la Bergère. Les cinq familles vivent mal cette nouvelle promiscuité. « Les Roumains mettent la musique à fond jusqu’à deux heures du matin, se plaint une mère de famille, les enfants ont du mal à se lever le matin. » La neige de ces derniers jours a fondu en une boue crasseuse dans laquelle il faut patauger pour accéder aux caravanes. Dire que celles-ci sont vétustes serait un euphémisme encore loin de la réalité. Chauffées aux poêles à bois, la plupart ont des portes qui ne ferment pas et des fenêtres isolées au scotch. Des groupes électrogènes fournissent un peu d’électricité, mais il n’y a pas d’accès à l’eau. Il faut marcher jusqu’à Pablo Picasso (à trois stations de tramway) pour trouver une pompe. Dans ces conditions, l’hygiène est plus que précaire. La municipalité a fait vacciner tous les enfants, mais le personnel éducatif craint des conséquences sanitaires. « A vivre comme au moyen-âge, on attrape des maladies du moyen-âge » déplore Véronique Decker.

Dans des conditions aussi déplorables, pourquoi rester ici ? La réponse fuse, immédiate. « Pour les enfants, répond Stoyan. Ils ont un avenir ici, pas en Bulgarie. » Roms turcophones et musulmans, ces familles subissent discriminations et misère en Bulgarie. « Il ne faut pas généraliser, explique Svetlana, de l’équipe mobile Bociek, qui officie comme traductrice entre l’école et les parents. Certaines familles vivent dans la misère là-bas, mais d’autres ont des maisons. On a du mal à comprendre pourquoi ils laissent un toit pour venir vivre ici. Ils sont à la recherche du bonheur, d’une vie meilleure ». Les hommes vivent de la vente de ferrailles, les femmes de la manche. Sans les enfants, précisent-elles.

Il y a dix jours, la police a fait irruption sur le camp pour distribuer, pour la énième fois, des obligations de quitter le territoire français. De nouveau, l’angoisse d’une évacuation imminente a fait le tour des caravanes. Signe des temps, il y a quelques mois, quand on demandait à Stivan quel métier il ferait plus tard, il disait « policier ». Aujourd’hui il répond, dans un français parfait, « maître d’école ».

 

Article paru dans l'Humanité du 23 décembre 2010

 
Photos : Pierre Pytkowicz

 

 

 

 

 

 

http://www.laissezpasser.info/post/Les-enfants-roms-sur-la-route-de-l-%C3%A9cole

 

 

 

 

 

 

 

Rédigé par caroleone

Publié dans #Roms gitans manouches

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Commenter cet article
C
<br /> Merci Jacques, je savais que ce magnifique reportage te plairais mais nous sommes sur la même longueur d'ondes et apprécions les combats simples dénués d'enjeux politiques ce qui nous rend plus<br /> proches des anarchistes évidemment. Nous resterons fidèles à notre ligne de conduite, je le sais et continuerons la route ensemble....pour un monde meilleur .<br /> <br /> <br />