La Dominique : Les derniers caraïbes

Publié le 23 Avril 2013

LA DOMINIQUE: LES DERNIERS CARAIBES

 Carte-1.gif

 

                          La Dominique,à mi-chemin entre la Martinique et la Guadeloupe

 

 

Carte-2.jpeg

 

 

                          Les modifications du territoire kalinago,notamment par le traité de 1903

 

Baignant une myriade d'îles,de Cuba jusqu'à Trinidad et Tobago, Grandes et Petites Antilles, une mer porte leur nom : la mer des Caraïbes. Mais qui sont (ou étaient) donc les Caraïbes ? Que sont-ils devenus ?

 

 

LES ORIGINES

 

Depuis plusieurs siècles avant notre ère vivaient dans les îles des Petites Antilles des populations venues du continent sud-américain, les Arawaks. A partir du IXe siècle de notre ère, d’autres populations également originaires des forêts amazoniennes arrivent à leur tour et s'établissent dans ces îles en y éliminant les Arawaks, ce sont les Kalinagos. Les conditions exactes sont controversées. Le schéma le plus généralement admis est que les Kalinagos,peuple guerrier et entreprenant, l’auraient emporté par la force sur les doux Arawaks, tuant les hommes et s'appropriant les femmes.

Arrivant aux Grandes Antilles avec Christophe Colomb en 1492,les conquérants européens entendirent leurs premiers interlocuteurs locaux de l'ethnie taïno, de langue arawak, désigner leurs ennemis kalinagos comme kalinas,ou caribas,d'où resta le nom de Caribes ou Caraïbes,ou encore comme calibas ou canibas,d'où restèrent l'appellation et la réputation de «cannibales». En fait le mot «caniba» en langue arawak ne signifie nullement anthropophage, mais «hardi, courageux».

Le schéma de l'élimination des mâles arawak s'appuie notamment sur l'observation de l'usage de deux langues dans la société caraïbe: le caraïbe parlé par les hommes, l’arawak par les femmes. Mais il se pourrait aussi que la langue de base pour eux comme pour elles aient été l'arawak, les hommes y mêlant un vocabulaire collecté ici et là dans le commerce et la guerre jusqu'à en faire une langue hybride. Il se pourrait même que la distinction entre Arawaks et Caraïbes n'ait été qu'une fiction, la qualification de «caraïbe» appliquée à un indigène valant autorisation de l'Eglise à en faire un esclave.

A l'arrivée des Européens, les Caraïbes étaient établis sur les Petites Antilles, notamment Iounacaera (Martinique), Aichi (Marie-Galante), Karukera (Guadeloupe), Yurumein (Saint-Vincent) et principalement Waitikubuli (la Dominique), étape pour les nouveaux venus kalinagos en provenance du Venezuela. Ils avaient même commencé à se fixer à Cuba et jusqu'à Porto-Rico,mais y furent, comme les Tainos et les Arawaks, exterminés en moins de dix ans par les conquérants espagnols.

 

 

 

Photo-19-copie-1.jpg

 

                                   

 

Photo-18.jpg

 

  Représentations des Caraïbes au XVIIe siècle

 

 

 

Photo-03.jpg

      Danseuses du ballet Karifuna («Femmes» en langue kalinago)

 

 

 

 

 

 

 

LA RESISTANCE

 

 

Photo-05.png

  Avec sa famille,le chef Thomas Jolly John,destitué après la «guerre» de   

                                                                                         1930

 

 

Les Espagnols se préoccupant essentiellement de la colonisation des Grandes Antilles, leurs vaisseaux ne touchaient les îles des Petites Antilles que pour s'y ravitailler en eau, bois ou vivres, sans chercher le contact et plutôt avec la crainte des Caraïbes. Par contre, les flibustiers, entre deux opérations contre les colonies ou les flottes espagnoles, ne cherchant rien d'autre, y avaient refuge et ravitaillement. En plus d'un siècle de relations avec les flibustiers, les Caraïbes avaient pu faire nombre d'emprunts à l'apport européen, outils, verroterie, voile, vocabulaire, peut-être même quelques armes, alors qu'au début du XVIIe siècle, les puissances européennes ont une méconnaissance à peu près totale des Petites Antilles dont elles commencent à envisager de s'y installer.

 

 

Photo-06.jpeg

 Le commissariat de police dominiquais imposé au territoire après la

  «guerre» de 1930 (photo Niko Lipsanen)

 

Photo-07.jpeg

                     La case du Conseil Caraïbe (photo Niko Lipsanen)

 

A partir de 1625 sous l'impulsion de Richelieu, les corsaires français défient les Espagnols d'abord en s'emparant de Liamuiga (Saint-Christophe), dont ils seront chassés quatre ans plus tard non sans en avoir massacré dans leur sommeil les indigènes kalinagos. En 1635 la Compagnie des Isles d'Amérique créée par Richelieu décide de s'approprier les territoires antillais situés entre les 10 et 30° de latitude nord.

Cette année-là,le corsaire Pierre Belain d'Esnambuc s'établit à la Martinique avec 250 colons qui vivront en convivialité avec les indigènes caraïbes jusqu'en 1639 où, par un traité, ils les obligent à se concentrer sur seulement la Capesterre,sur la côte atlantique. Mais à partir de 1654,les opérations meurtrières contre les Caraïbes se multiplient de la part des colons de plus en plus nombreux, et furieux que leurs esclaves noirs en fuite trouvent refuge auprès des indiens. En 1658, un bateau de colons pénètre dans la Capesterre en violation du traité et tue trois Caraïbes.Pour préserver la paix, le chef Nicolas avec une quinzaine d'indigènes se rend à Saint-Pierre. En embuscade, une soixantaine de colons les massacre près d'un rocher aujourd'hui appelé «le Tombeau des Caraïbes».Puis une troupe de  600 colons armés déboule sur la Capesterre, «tuant sans considération de l'âge ni du sexe tous ceux qu'ils rencontraient» (récit du RP Dutertre).Les survivants s'enfuient en pirogues vers la Dominique ou Saint-Vincent.

Egalement en 1635, deux autres corsaires, ex-lieutenants de d'Esnambuc, Charles Liénart de l'Olive et Jean du Plessis d'Ossonville, prennent pied à la Guadeloupe avec 400 colons qui, dans des conditions pitoyables, ne vont devoir leur survie qu'à l'assistance des caraïbes.

 

Photo-08.jpeg

                       L'entrée du village cullturel Kalinago Barana Autê

 

L'Olive est partisan d'une extermination immédiate de la population indigène.En janvier 1636,il fait venir le chef caraïbe Yance avec deux de ses fils pour lui demander de guider les Français dans cette opération. Refusant la proposition, Yance est égorgé ainsi que l'un de ses fils .L'autre s'enfuit et donne l'alarme. Commence alors une guerre «autant injuste que honteuse» (récit du RP Breton),une guerilla où les caraïbes, changeant constamment de lieux, opposent aux armes à feu leurs boutous (massues de bois vert) et leurs flèches empoisonnées au latex de mancenillier.

Défaits dans une bataille en 1638,ils abandonneront l'île pendant six mois, mais continueront leur résistance surtout par des incursions depuis la Dominique et la Martinique. Le gouverneur de la Guadeloupe, Aubert, engage des ouvertures qui aboutiront en janvier 1642,à Basse-Terre,à un accord de paix avec les deux chefs de guerre de la Dominique Oukalé et Koulalia, acceptant l'installation des Français en Guadeloupe et assurant en retour la souveraineté kalinago sur la Dominique.

Mais, pour la France, les guerres euro-caraïbes ne se termineront qu'après le massacre de la Martinique en 1658,avec la signature à Basse-Terre en 1660 du traité anglo-franco-caraïbe garantissant aux Caraïbes l'entière propriété de la Dominique et de Saint-Vincent. Ce qui n'empêchera ni les colons français de s'installer à la Dominique et à Saint-Vincent, ni les Britanniques d'exterminer les Caraïbes de Saint-Vincent après y avoir supplanté définitivement les Français par le traité de Versailles de 1783.

 

 

Photo-04.jpg

 

 

 

LE REFUGE DE LA DOMINIQUE

 

A mi-chemin entre la Martinique et la Guadeloupe, la Dominique est une très petite île volcanique de 754 kilomètres carrés, avec un sommet culminant à 1447 mètres. Découverte par Colomb en 1493, elle n'intéresse guère les colonisateurs en raison de ses côtes escarpées. Elle constitue une base permanente pour les Caraïbes résidant là ou de passage, leurs ressources alimentaires, manioc, patates douces, étant assurées par les apports de leurs navigations aux Petites Antilles, principalement à Marie-Galante.

En 1640, le RP Breton, venu en Guadeloupe avec les colons de l'Olive, est autorisé à se rendre à la Dominique pour évangéliser les indigènes. Il y passera cinq années en plusieurs séjours entre 1642 et 1653 sans rencontrer auprès des Kalinagos d'autre problème que leur refus de se convertir, mais aucune hostilité. «Au contraire, écrira-t-il, je me plaindrais plutôt de leur douceur (...) Ils ne sont dangereux que lorsqu'ils sont dans leurs vins». La qualité de cette relation lui permettra d'écrire un dictionnaire caraïbe-français,un dictionnaire fançais-caraïbe, une grammaire et un catéchisme caraïbes.

Le traité de 1660 faisant des survivants caraïbes des Petites Antilles les seuls propriétaires de la Dominique sera vite lettre morte pour les colons français et anglais rivalisant pour y planter le café et la canne à sucre avec maintenant l'apport d'une main d'œuvre esclave africaine. Un afflux qui pousse les Kalinagos vers une portion de plus en plus réduite et inhospitalière de l'île.

Avec l'abolition qui, en 1833,affranchit 14.175 esclaves, la Dominique devient la première colonie britannique à avoir un gouvernement local dirigé par des noirs, lequel gouvernement se moque bien du traité de 1660 et permet l'expansion créole sur le territoire caraïbe bientôt réduit à une centaine d'hectares. En même temps que le statut de colonie de la Couronne imposé à la Dominique en 1898,demandé  par les colons blancs, réduit les pouvoirs du gouvernement créole, l'administrateur anglais de l'île, Hesketh Bell, obtient en 1903 de la reine Victoria un traité redonnant en toute propriété aux Kalinagos un territoire bien délimité et plus de dix fois plus vaste, 1.497 hectares, avec des droits d'auto-administration, régime foncier collectif, autorité reconnue à un chef et un conseil caraïbes.

 

VIE QUOTIDIENNE

 

Photos suivantes : L'habitat traditionnel caraïbe présenté au village

                                 culturel (photos Niko Lipsanen)

 

 

Photo-09.jpeg

       le carbet,lieu de vie collectif

 

 

 

 

 

Photo-10.jpg

    la mwina,lieu de résidence familial,bâti pour une bonne 

 résistance à la pluie et aux vents

 

 

 

Photo-11.jpg

       l'ajoupa,paillotte sommaire à un seul pan

 

Le territoire auquel ont été confinés les Kalinagos est une bande de côte très élevée, très accidentée, composée d'une épaisse couche de tuf rougeâtre, avec une forêt dense dans sa partie occidentale.

L'habitat y est localisé en huit hameaux: Salybia constituant, avec école, dispensaire, église catholique, siège du conseil caraïbe, le centre administratif et commercial du territoire, Bataka, Sineku, Madjini, Gaulette, Crawfish River, Monkeyhil, Alkinson.

Il ne s'agit en fait nulle part d'urbanisation, mais de petites cases sur pilotis, en bois et tôle installées au choix de leurs occupants. Car, la propriété du sol étant commune, tout Kalinago peut choisir son terrain sans avoir à l'acheter ou le louer, et peut de même le quitter pour s'installer ailleurs.

L'économie du territoire repose sur les mêmes fondamentaux. Sa principale activité, agricole ou plus exactement horticole, se pratique selon les méthodes amazoniennes ancestrales. Chacun peut choisir en bordure de la forêt, où les pluies sont plus régulières, son «jardin» d'une surface correspondant aux besoins de sa famille, de 3 à 4.000 mètres carrés. Toute végétation y est abattue et brûlée pendant une à deux semaines, puis la plantation y est faite sur la cendre fertilisante : choux, ignames, patates, manioc, arbre à pain, bananier, coco pour faire huile et savon, etc. Après trois ans de culture, le «jardin» est rendu à la propriété commune et abandonné.

La forêt offre également les ressources de la cueillette, la mer un peu celles de la pêche mais avec des difficultés pour la commercialisation, le poisson devant être immédiatement mis dans les quelques réfrigérateurs ou congélateurs des rares commerces du territoire où les paiements s'effectuent sur la base du troc, et bien peu pouvant être offert sur les marchés de la Dominique.

 

Pratiquement aucune différence dans les descriptions de cette vie quotidienne entre celle faite par le RP Delaware en 1936 et celle de Carole Pitolin en 2005,cette dernière soulignant par exemple l'absence d'eau courante obligeant les femmes à l'aller chercher aux rares fontaines au bord des routes, les familles nombreuses monoparentales, les grossesses juvéniles, l'alcoolisme, bref les expressions d'une grande pauvreté.

Or la Dominique dans laquelle le territoire caraïbe est inclus est pour sa part au 180e rang de l'économie mondiale sur 186 pays classés, avec un taux de chômage de 23% et un taux de pauvreté de 30%. Les débouchés éventuels pour les Kalinagos y sont non seulement rares mais encore davantage réduits par l'antagonisme aux aspects raciaux qui les sépare du reste des Dominiquais. Ceux-ci, créoles descendants dans leur quasi-totalité des anciens esclaves africains, tiennent les Kalinagos pour «inférieurs», «paresseux», etc, arguments valant pour ne guère miser sur une  durabilité du territoire. Les Kalinagos ont commencé à s'apercevoir que leur principal atout économique dans le monde actuel était leur existence même, leur extrême originalité  historico-ethnique. Aussi ont-ils commencé à s'investir dans un embryon d'hôtellerie avec une Carib Territory Guest House, dans l'artisanat (paniers traditionnels en feuilles de laouman, sculptures),dans l'expression artistique avec la création des groupes Karina et Karifuna, l'ouverture en 2006 du Kalinago Barana Aute, reconstitution sur un hectare d'un village caraïbe avec son architecture, ses activités artisanales, culturelles, voire culinaires présentées au visiteur dans des animations. Mais le territoire caraïbe étant enclavé dans la Dominique, celle-ci ne néglige pas d'être la première à tirer profit de son attrait touristique, l'incluant dans ses propres programmes d'appel touristique et commercialisant les produits de l'artisanat kalinago dès l'aéroport de l île ou dans sa capitale Roseau plus cher que sur le territoire.

 

SOUVERAINETE KALINAGO

 

 Photos suivantes : La réalité de l'habitat caraïbe actuel (photos M-L Boulogne-Mouriesse)

                                                                                     

Photo-13.jpg

 

Photo-14.jpeg

 

 

Photo-15.jpg

 

Colonie de l'Empire britannique, la Dominique avait obtenu en 1967 l'autonomie pour la gestion de ses affaires intérieures avant de devenir en 1978 république indépendante dans le cadre du Commonwealth,avec un premier ministre chef de l'Etat et une assemblée de 31 membres (dont 10 non élus).

Pour sa part, selon les dispositions de la constitution et la loi sur la réserve caraïbe de 1978, «le peuple kalinago vit sur un territoire relevant d'un régime foncier collectif, il est dirigé par le chef caraïbe et le Conseil Caraïbe». Lequel conseil «a la garde, la direction et le contrôle de la Réserve pour et au nom de ses résidents» et est habilité à en assurer l'administration et l'amélioration.

Une coexistence pacifique ? En fait, même avec les dispositions positives du traité de 1903 puis celles de 1978,les Kalinagos n'ont jamais cessé d'être confrontés à la contestation sournoise ou ouverte de leurs droits.

 

 

«LA GUERRE CARAIBE» DE 1930

 

L'épisode le plus marquant et qui marque encore le souvenir du territoire en est ce qu'on a appelé  «la guerre caraïbe de 1930».

Dans le courant de 1927,une pétition avait été adressée au roi George V avec une lettre du chef kalinago Thomas Jolly John, déclarant que l'administrateur de la Dominique, E.C.Eliot, tâchait par tous les moyens de dépouiller les caraïbes de leurs droits en leur imposant de nouvelles règles très différentes de celles reçues du traité de 1903. A quoi l'administrateur Eliot avait répondu en décrivant au Colonial Office les Kalinagos comme «des contrebandiers avérés échappant aux droits de douane sur le tabac et les boissons de Martinique et de Guadeloupe».

 

Nouvelle pétition en août 1930,faisant valoir que sa souveraineté dispensait le territoire d'avoir à payer des taxes du ressort des autorités britanniques et soulignant que l'absence de moyens de communication et de commerce réduisait la communauté caraïbe «à un état de pauvreté qui ne nous permet d'envisager que notre extinction». Seule réponse de l'administrateur Eliot: la menace de déposer le chef Thomas Jolly John.

La situation est explosive quand le 19 septembre plusieurs policiers créoles pénètrent dans le territoire et veulent, révolver en main, saisir des marchandises dans une boutique de Salybia. Devant la résistance des Kalinagos présents, ils tirent et en abattent quatre, dont deux mourront. Les villageois indignés et furieux ripostent aux policiers et les chassent.

Le lendemain, c'est rien moins que la frégate HMS Delhi qui intervient, lançant  détonateurs et feux Verey sur les bourgades dont les habitants effrayés s'enfuient dans la forêt. La police saccage Salybia et s'empare de tous les documents, dont ceux concernant l'autonomie du territoire, chez le chef Thomas Jolly John qui sera bientôt arrêté et emprisonné ainsi qu'une dizaine d'autres Kalinagos.

 

Si plusieurs membres du Conseil législatif dominiquais réagissent et alertent au début d'octobre la Société londonienne de Protection des Aborigènes, ils sont mis en minorité dans leur demande d'une enquête. Le chef Thomas Jolly John est déposé, interdiction est faite (qui ne sera pas levée avant 1952) d'élire un chef, et un poste de police dominiquais est implanté à Salybia, le seul bâtiment pour des dizaines d'années à avoir l'électricité sur tout le territoire...

Tandis qu'à Londres en janvier 1931 le gouvernement travailliste déclare à la Chambre des Communes que les Caraïbes avaient attaqué la police avec des armes à feu, l'administrateur Eliot, pour sa part, a son explication: le soulèvement avait été manigancé par un agitateur étranger du nom de Douglas MacRay Taylor.Un américain sorti de Cambridge qui sera mondialement connu comme un des plus éminents anthropologues et linguistes de la Caraïbe...

 

GRIGNOTAGE

 

Episode contemporain, de caractère certes seulement juridique, mais significatif. En 2010, des dons du gouvernement vénezuélien avaient permis la construction de maisons sur le territoire kalinago. Un différent s'est élevé entre le Conseil Caraïbe et le ministre dominiquais des Affaires Caraïbes, Ashton Graneau, qui entendait en décider de l'attribution. C'était là pour le chef Joseph Garnette une violation de la Loi sur les Caraïbes de 1978, qui donne au Conseil, parmi ses droits exclusifs sur les sols du territoire, celui «d'attribuer des terrains ou des bâtiments». De fait, la création même en 2005 de ce nouveau ministère des Affaires Caraïbes se sera révélée là dans sa véritable finalité : sous couvert de meilleure prise en compte des problèmes de la communauté kalinago, un nouveau grignotage de son autonomie par la marginalisation de ses dirigeants coutumiers. Une nouvelle étape vers l'objectif depuis si longtemps visé, l'absorption pure et simple, terres et gens, dans la Dominique créole, avec application «normale» des règles du capitalisme.

 

TO BE OR NOT TO BE KALINAGO

 

 

Photo-16.gif

    Le chef actuel,Joseph Garrette

 

 

Dans leur minuscule refuge d'indépendance, les derniers Caraïbes se trouvent dans une situation ethnique aussi peu commune que dramatique. Comment leur voisinage pendant quatre siècles avec une communauté d'une tout autre origine, noire-africaine, de plus en plus nombreuse aurait-il pu ne pas s'accompagner de contacts sexuels, voulus ou non, d'unions,de métissages ? Et c'est une grande diversité physique qui se rencontre dans le territoire, avec toute une gamme allant des caractères africains les plus marqués à une survivance évidente de la parenté asiatique des Amérindiens...

Dans son étude de 1936,le RP Delawarde observait la différenciation sur le territoire entre les Sangs Mêlés appelés «bâtards» avec une certaine condescendance et les Kalinagos de souche se disant avec fierté «Francs-Craïbes» (car la langue parlée, témoignant elle aussi de cette imprégnation, n'est rien d'autre que le créole dominiquais d'origine française),mais avec l'estimation que moins de la moitié des adultes présentaient les caractères ethniques caraïbes évidents et que la diminution allait se poursuivre.

«Le mélange des sangs, écrivait-il, annonce une disparition qui sera bientôt presque totale». Perspective déjà évoquée par l'administrateur Eliot disant cyniquement dans sa communication au Colonial Office lors des événements de 1930 «espérer que d'ici une vingtaine d'années la réserve pourrait être ouverte à la population environnante tant il resterait peu ou pas de Caraïbes pur-sang».

 

Photo-01.jpg

  Une vieille «Franc-Craïbe» (photo M-L Boulogne-Mouriesse)

 

Combien en reste-t-il aujourd'hui ? D'après le magazine suisse l'Hebdo, la dernière

100% kalinago se serait éteinte en 2003. Même ceux qui physiquement apparaissent encore comme «Francs-Craïbes» ne le seraient pas tout-à-fait génétiquement. Mais tous les habitants du territoire, dont actuellement près des trois quarts sont créolisés, se disent kalinagos. Absolument tous.

C'est que ce qui fait le kalinago, justement, c'est l'appartenance au territoire. Héritage du code caraïbe attribuant toute valeur à la paternité. Un caraïbe peut épouser une créole et l'amener dans la réserve avec ses enfants, tous seront considérés comme kalinagos. Mais qu'une femme caraïbe épouse un dominiquais, elle devra quitter la réserve. Pour autant, il n'y a rien là qui ralentisse l'apport dominant du sang d'origine africaine.

 

Y a-t-il la moindre solution pour conjurer l'extinction finale des Caraïbes ? En 2008,sur une dépêche d'Associated Press de source dominiquaise, une rumeur avait prêté au chef Charles Williams, prédécesseur de Joseph Garnette à la tête du Conseil Caraïbe, l'intention de demander une loi interdisant tout mariage entre kalinago et non-kalinago. Le chef Williams avait démenti avoir jamais eu une telle idée de loi, déclarant avoir seulement souhaité «encourager nos frères et nos sœurs indigènes à  des unions qui assurent une descendance à notre race, et ouvrir avec d'autres peuples indigènes des Amériques du Nord, du Centre, du Sud, des relations permettant d'établir des lignages communs».

Les réactions ont été vives à des propositions aussi peu admissibles au XXIe siècle.

N'importe, et sans mettre en doute l'honnêteté des intentions du chef Williams, d'ailleurs lui-même métis affirmé, n'est-ce pas une tragédie pour cette minuscule communauté héritière d'une histoire héroïque d'être amenée à ne plus apercevoir sa survie que dans une endogamie aux relents malsains de sélection génétique, forcément facteur de dégénérescence dans le cas d'une population aussi réduite, ou dans l'expatriation vers, de toute façon, d'autres métissages ?

 

 

 

Photo-17.jpeg

 Le chef Charles Williams et son épouse

 

Que reste-t-il aux Kalinagos face à cette inéluctable dilution dans le petit monde créole dominiquais, sans parler du vaste monde pluri-ethnique ? «Je pourrais tout aussi bien revendiquer ma négritude, dit au magazine suisse Hebdo le chef Joseph Garnette, mais je suis indien. Nous ne sommes pas des survivants, au contraire, nous avons la fierté d'être les continuateurs de cinq cents ans de résistance ». Autrement dit, plus foncés peut-être, les Caraïbes, mais ils sont toujours là.

 

Photo-02.jpeg

De parents afro-caribéens,Patsy,ici avec ses deux filles, est devenue  

  kalinago par son mariage avec un kalinago de Salybia (photo M-L Boulogne- Mouriesse)

 

 

ROBERT LECHENE

 

Que je remercie encore pour la confiance qu'il m'accorde en me permettant de diffuser des témoignages qui revêtent une immense importance sur ce blog.

Bien sûr, Robert, que tes textes trouvent naturellement leur place sur ce modeste blog et y resteront afin de fournir de la source à tous ceux qui se soucient et étudient les minorités ethniques, l'histoire de l'humanité est écrite au travers d'eux et nous en sommes les "passeurs".

 

Ton aide précieuse me permet de maintenir mes objectifs qui souffrent parfois d'un manque d'enthousiasme de ma part et d'un peu de lassitude aussi......mais en bonne combattante, je me remotive sans cesse pour la juste cause !

 

Amicalement

 

Caroleone

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Rédigé par caroleone

Publié dans #indigènes et indiens, #ABYA YALA

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article