Kent Monkman, mi-homme, mi-femme

Publié le 26 Octobre 2012

La danse au berdache, chorégraphie de Kent Monkman

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                                  Huile éponyme de George Catlin (1796-1872), Smithsonian, Washington.

 

 


 

BERDACHE, retenez bien ce terme que tous les peuples autochtones des trois Amériques (Indiens, Métis, Inuits) sont en train de remettre à l'ordre du jour, et non sans l'avoir rajeuni de la plus belle manière qui soit. Il a été inventé par les Français pour désigner ces êtres particuliers qui s'identifiaient au sexe opposé à leur sexe biologique, qui prenaient leurs habits et qui vivaient selon leurs codes sociaux. Chez les autochtones des trois Amériques (Indiens, Métis et Inuits), il fallait plutôt parler d'êtres aux deux esprits (2 spirited people). Et il n'y avait pas que des hommes puisque ce phénomène de civilisation se retrouvait également chez les femmes, mais en plus faible proportion.

Aujourd'hui, entrent indistinctement dans la catégorie du berdache et des êtres bispirituels, les transgenres, les transsexuel(les), les travesties, les intersexués sociaux, les hermaphrodites et les homosexuels des deux sexes.


Russel-A. Bouchard


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Chronique de :
JÉRÔME DELGADO
Le Devoir, 30-31 mai 2009

Entraînante, dansante même. Envoûtante, ensorcelante. Et intrigante, forte d'une dose mélangeant les sources et les références, les époques et les styles. Avec ses cinq écrans et ses ryth-mes endiablés, l'installation vidéo Danse au Berdache de Kent Monkman a de quoi semer l'émoi.

Du pow-wow dans l'air

C'est à un spectacle qu'on assiste, une chorégraphie, pour cinq danseurs, bien montée et fignolée par un fil musical, narratif, en crescendo. Ça commence avec le Sacre du printemps, de Stravinski, légèrement remixé et imprégné de chants et instruments amérindiens, ça se poursuit avec du techno et ça se termine avec la grandiloquence d'une musique très cinéma.

L'oeuvre qui prend racine au Musée des beaux-arts (MBA) pour les quatre prochains mois risque par contre de garder sa transe communicative bien secrète. Au sous-sol où elle se trouve, les visiteurs se font rares.

Entre rite et expression artistique, entre tradition et spectacle, entre hommage et critique, l'oeuvre met en scène le Berdache, un personnage ambivalent admiré chez les autochtones -- un travesti [sic *], selon notre vocabulaire courant. La danse qui le célèbre s'est surtout répandue dans les nations Sauk et Fox. La mise en scène, et en espace, de Monkman respire la fête. Il y a du pow-wow dans l'air.

Mais l'artiste natif de l'Ontario, lui-même d'origine crie, fait plus que rendre actuel et multimédia ce rituel ancestral. Il revisite le regard que les Blancs ont sur le Berdache et les cultures autochtones. Comme souvent chez lui, son commentaire repose sur ce que nous a légué un large pan de la peinture romantique en Amérique du Nord.

Sa Danse au Berdache tire son origine d'une huile éponyme de George Catlin (1796-1872), conservée au Smithsonian de Washington. Le peintre avait certainement été happé par la scène, mais elle lui avait aussi inspiré cette note: «L'une des coutumes les plus dégoûtantes et les plus inexplicables qu'il m'ait été donné de voir au pays des Indiens... et où il serait souhaitable qu'elle s'éteigne avant même qu'on puisse en attester encore davantage.» On regrette seulement que le MBA n'ait pas emprunté le tableau.

La confrontation Blancs-Indiens sur fond d'homophobie est au coeur de l'art critique et cynique de Kent Monkman. Un travail très éclaté (tableaux, films, performances...), basé sur l'histoire et faisant allusion à l'actualité, mais qui perd à l'occasion son tonus. Dans Salon Indien, une projection sur un tipi qui faisait partie de la Biennale de Montréal en 2007, l'homo-érotisation est trop appuyée.

 

 

 

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Sacrifice

Danse au Berdache ne tombe pas dans ce piège. Même les écrans, en forme de peaux de buffle, sont subtils. Certes, le Berdache, qui se dandine sur l'écran du centre, est sexué, avec sa robe rouge transparente et ses talons hauts. Sauf qu'il se donne, et c'est très clair, en spectacle.

Le mélange des genres, des références, a du sens, plus que jamais. Que le guerrier danse aujourd'hui avec un parapluie ou sur du Stravinski illustre sa réalité: il est à la fois respectueux de ses traditions et imbibé de la culture de l'autre. En donnant un nouveau contexte, très actuel dans sa facture art contemporain, au Berdache, Monkman insinue que les enjeux propres à l'é-poque de Catlin n'ont pas nécessairement été enterrés.

Les rythmes et chorégraphies, le déhanchement du Berdache, le dispositif de l'ensemble des écrans et leur texture translucide, tout est fait pour nous entraîner dans la danse. On ne tapera peut-être pas du pied, il n'y aura pas d'excès, le musée imposant la retenue, mais quelque part, on est appelé à bouger. Or, on peut aussi rester impassible, spectateur passif dans le fond de la salle obscure. Et c'est là que réside, aussi simple soit-elle, la force de l'oeuvre. Ou on passe pour ce George Catlin, témoin curieux et épris d'ethnologie, mais qui refuse de passer le cap de sa première interprétation, ou on célèbre le personnage central, presque plus spirituel que charnel. Les Sauk et Fox admiraient ce travesti parce que c'était un signe du respect de la figure féminine. L'abandon de la masculinité devenait pour ainsi dire un sacrifice des plus honorés.

On a le choix: rester confiné à notre regard d'étranger ou se laisser séduire par la culture de l'Autre. Si les colonisés le font, pourquoi pas les colons?

 

métis boréalie blogspot

 

En savoir plus sur l'artiste et son travail  ICI

 

 

 

 

Rédigé par caroleone

Publié dans #indigènes et indiens

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Commenter cet article
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<br /> Etrange spectacle en effet, et certainement perturbant pour les non initiés ...<br /> <br /> <br /> Je t'imagines bien, Caro, te faisant passer pour un homme    .   S'il y a bien une chose que tu<br /> n'arriverais pas à faire, c'est bien ça, toi qui ne sait même pas cacher ton nom et ton adresse !!!  <br /> <br /> <br /> Que se cache-t-il réellement derrrière le fait de se faire passer pour le sexe opposé, est ce pour compenser une erreur de la nature ou pour tromper la vigilance de ceux qu'on veut<br /> approcher ????<br /> <br /> <br /> En tous cas cet artiste se sert habilement de cette opportunité pour faire passer son message   <br /> <br /> <br /> Bises<br />
C
<br /> <br /> Bonjour les amis,<br /> <br /> <br /> C'est bizarre en effet de voir ce spectacle chez des amérindiens et pas habituel mais néanmoins la problématique existe pour eux comme pour nous.<br /> <br /> <br /> Je ne peux pas te dire comment on en arrive un jour pour une raison ou une autre à se faire passer pour le sexe opposé. Il y a parfois des raisons d'ordre politique, d'espionnage entre autre ,<br /> puis il y a les problèmes de personnalité, ceux qui se travestissent car ils sont le contraire dans leur tête et veulent l'assumer. Par contre quand on le fait pour avancer masquer évidemment<br /> dans ma morale communiste ça ne le fait pas. Déjà, je crois en la sincérité et les gens la sentent quand on en a.<br /> <br /> <br /> Je ne pourrais pas le faire ni même tricher sur mon nom car , je dois manquer d'humour certainement et je suis sûre que je me vendrais très vite.<br /> <br /> <br /> Enfin, avec cet artiste le côté provocateur et anti-conformiste fait passer des messages et c'est ce j'ai bien aimé venant de lui.<br /> <br /> <br /> Bises<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> caro<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> Ton article est très intéressant Caro, je ne connaissais pas ces coutumes et le spectacle doit être surprenant!<br /> <br /> <br /> Je me demande tout de même, en sachant que ces personnes sont accompagnées de tous les rites traditionnels, comment elles s'y retrouvent psychologiquement..<br /> <br /> <br /> cela ne doit pas être si simple de changer de sexe!<br /> <br /> <br /> Quel peut être l'impact psychologique à la longue? même inconscient?<br /> <br /> <br /> Ces gens doivent certainement posséder de grandes forces qui les aident à conserver leur équilibre.<br />
C
<br /> <br /> Bonsoir Almanitoo,<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> En effet, ce choix délibéré de changer de sexe est ici encadré comme tu le dis par des rituels mais comme toi je me demande bien souvent comment font les gens qui se font passer à un moment donné<br /> pour un ou une autre. Je crois bien que le subconscient à un moment doit être perturbé. Déjà, changer de prénom ça perturbe et moi personnellement, j'aime avancer comme je suis, car j'ai trop<br /> peur de me vendre sans en faire exprès alors j'imagine si je me faisais passer pour un mec les drôles de choses que ça pourrait donner. Nul doute que je serais démasquée en moins de deux.<br /> <br /> <br /> Tu sais, au Mexique pays sexiste et homophobe il existe une ville ou les homos se retrouvent car c'est une espèce de terre franche pour eux : c'est Juchitan de Zaragossa, une ville zapotèque qui<br /> a la particularité d'être dirigée par des femmes dans une pure tradition matriarcale. Les "muchés" comme ils les appellent sont les bienvenus et même idolâtrés tout comme ceux qu'ils disent avoir<br /> un "coeur de femme", tu sais ces enfants dont on ne sait pas trop au juste de quel bord ils sont.<br /> <br /> <br /> Je trouve cela très beau cette tolérance  qui n' a rien à voir avec les travestis bien entendu et ce que kent Monkman veut démontrer dans son art c'est une critique du monde occidental, une<br /> satire. C'est gonflé et pas très populaire d'après ce que j'ai compris.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Bises et merci pour ton commentaire.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> caro<br /> <br /> <br /> <br />