Journée de la femme : Danielle Casanova, 1ère partie
Publié le 6 Mars 2011
DANIELLE CASANOVA
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Dans la résistance Française, une jeune femme corse s'illustra :
Vincentella Perini, surnommée Danielle, épouse Casanova, sous la bannière communiste, a mené le combat pour la libertè de la France,
et a donné sa vie pour ses idées.
VINCENTELLA
née Vincentella perini
Vincentella Périni que l'on surnommait Lella, est née le 9 janvier 1909 à Ajaccio. Elle est la troisième enfant, d'un couple d'instituteurs.
Son frère ainé André, est né le 30 mai 1901,
sa soeur marie-leina est née le 4 mai 1905,
plus tard naitront ses soeurs, Renée le 21 mars 1914,
et sa soeur Emma, le 14 avril 1916.
tous les enfants Périni sont nés à Ajaccio. Leur grand- père maternel avait été juge de paix.
Leur grand-mère, paysanne vêtue de noir, ne voulut jamais parler que le corse.
Vincentella (Lella) est une enfant vive, joyeuse rieuse, elle joue dans les rues avec les enfants du quartier.
Elle aime la vie, la joie, l'amitié, le rire et les jeux. elle travaille bien à l'école; lit beaucoup et posséde une intelligence et un dévouement exceptionnels.
Après l'école primaire, c'est le cours secondaire.
Les vacances scolaires se passent à Vistale, un petit hameau de la commune de Piana où vivent les grands-parents
Elle a l'amour de la famille, et est profondèment attachée à sa Corse natale.
L'amour familial, cette solidarité entre proches, plus forte encore en Corse que dans les autres régions de France.
Vincentella est une belle fille, elle a un large visage, des traits réguliers, des pommettes saillantes, une bouche généreuse et les dents éclatantes, d'épais sourcils. Elle a un regard direct et chaud, et le contact facile.
Danielle avec sa soeur A Vistale, on l'évoque assise au milieu des vieilles au fichu noir, sur le tronc d'arbre mal équarri qui sert de banc sous un figuier. Danielle termina ses études secondaires au collège du Luc, dans le Var, dont l'une de ses professeurs avait été nommée directrice. Ses baccalauréats réussis elle obtint une bourse pour le lycée Lonchamp de Marseille où ses parents souhaitent qu'elle prépare le concours de Normale supérieure.
Elle quitte Marseille et, débarque en Corse, chez ses parents stupéfaits. Elle leur annonçe qu'elle ne voulait pas être professeur et qu'une profession libérale la tentait beaucoup plus.
Son père et sa mère comprirent ses raisons et l'envoyèrent à Paris où elle pourrait faire des études dentaires, comme elle le souhaitait. Elle n'y serait pas isolée: son frère y était journaliste.
Voici donc Vincentella à Paris, en ce mois de novembre 1927.
Elle s'inscrit à l'école dentaire de la rue Garancière, loue une chambre d'étudiant rue Monge et... s'intéresse au sort de toutes les victimes de la société, à commencer par celles dont les difficultés matérielles lui sautent aux yeux dans son propre milieu.
En 1927, un étudiant en médecine du nom de Ténine (devenu communiste et médecin, il sera fusillé par les nazis au camp de Châteaubriant) avait fondé l'Union fédérale des étudiants (V.F.E.). Dès qu'elle en apprit l'existence, Danielle s'y inscrivit en novembre 1927. Elle avait 18 ans. C'est là qu'elle y rencontra Laurent, avec qui elle se maria le 12 décembre 1933.
LAURENT CASANOVA était né le 9 octobre 1906 son père (d’origine corse) était cheminot.
Boursier d'État, il fait ses études secondaires à Bône, puis se rend à Paris pour entrer, ses baccalauréats passés avec succès en faculté de Droit. Chaque été, avec son frère André, puis plus tard avec Laurent son mari, Vincentella allait passer ses vacances en Corse, retrouvant avec bonheur sa famille et son pays natal. Avec l'air du terroir, elle goûtait les saveurs de la langue corse et partageait les soucis des humbles mais fières paysannes de chez nous. Elle connaissait bien les vieux pêcheurs rencontrés quand elle descendait à Figaiola.
Ses parents apprirent avec quelque surprise qu'elle était devenue communiste, mais ils ne lui en voulurent pas pour cela.
Les membres de l'V.F .E. étaient encore rares à l'époque. Aussi, malgré son inexpérience, fut-elle très rapidement désignée comme responsable de la section dentaire de cette organisation fortement marquée à gauche et où militaient les étudiants communistes. Dévouée et convaincue, elle prenait part aux discussions, collaborait au journal de l'V.F.E., elle le vendait à la criée.
De Vincentella à Danielle
En 1928, Vincentella adhéra aux Jeunesses communistes, dirigées alors par Victor Michaut . Vincentella est secrétaire du groupe de la faculté de Médecine, elle milite dans le Ve et le XIIIe arrondissements de Paris et accède aux fonctions de secrétaire du 4e rayon des Jeunesses communistes.
C'est à partir de cette époque qu'elle se fait appeler Danielle.
Son adhésion au Mouvement de la Jeunesse communiste, en 1928, va la mettre en contact avec la classe ouvrière. Son horizon s'élargissait. Elle poursuivait ses études de chirurgie dentaire, toujours avec assiduité.
Le courant « ouvriériste » qui domine encore est battu en brèche dès la fin de 1930 alors que Maurice Thorez est devenu secrétaire général du PC en juillet de la même année.
1933 avait vu l'arrivée au pouvoir de Hitler en Allemagne
En février 1934, les ligues fascistes avaient tenté de renverser la République en France.
En février 1934, au congrès d'Ivry des Jeunesses communistes, Danielle Casanova avait été élue membre d'une nouvelle direction du Mouvement comprenant aux côtés de Raymond Guyot, secrétaire général, Victor Michaut, Maurice Choury (qui devint rédacteur en chef de l'Avant-Garde), Georges Ternet (de son vrai nom Liebher), Léonce Grandjean et Raymond Latarget. Dès le mois d'octobre, le nombre d'adhérents de la Jeunesse Communiste passe de 4 198 à plus de
15 000. En décembre 1935, ils atteignent 30 000. L'idée de donner aux jeunes filles une organisation vraiment à elles n'avait pas surgi par hasard au Congrès de Marseille. Danielle Casanova en avait discuté avec Maurice Thorez et Raymond Guyot vers la fin de 1935. Dès décembre, quarante-deux foyers de filles adhérentes à la Jeunesse communiste avaient' été créés (dont dix à Paris). Au début, on parlera de l'Union des jeunes filles communistes Du 31 août au 7 septembre 1936, s'était tenu à Genève, sous l'égide de la Société des Nations, un Congrès mondial de la jeunesse réunissant sept cents délégués de vingt-cinq pays avec des représentants de l'Internationale communiste des jeunes, de l' Association mondiale des associations chrétiennes des jeunes gens, de la Communauté mondiale de la jeunesse pour la paix, la liberté et la culture, etc. 1936 avait vu l'entrée de la nouvelle Wehrmacht en Rhénanie.
Au Congrès de Marseille, Danielle Casanova avait dit :
« Nos foyers doivent avoir, parmi leurs adhérentes et leurs dirigeantes, des jeunes filles socialistes, des jeunes filles républicaines. Elles sont nos amies les plus proches. Comme nous, elles ont foi dans le monde nouveau duquel seraient bannis à jamais l'exploitation et l'esclavage de la femme. Le même idéal de fraternité socialiste nous unit.
« Notre organisation doit être la leur dans ses formes et méthodes, elle doit correspondre au but que nous poursuivons...
« Au début, quelques-unes d'entre nous se sont demandées si ce n'était pas tourner le dos à nos principes que de vouloir organiser séparément les jeunes filles.
« Disons franchement qu'une organisation mixte ne nous permettrait pas un bien large recrutement. Les parents et les jeunes filles elles-mêmes sont en fait opposés à ces méthodes d'organisation. Par ailleurs, une organisation mixte, l'expérience est là pour nous convaincre, ne nous permettrait pas à l'heure présente, dans la société où nous vivons, de poser et de résoudre de façon convenable tous les problèmes bien particuliers qui intéressent les jeunes filles.
« Mais ce n'est pas tout. Depuis que notre organisation est constituée, nous avons découvert des militantes nouvelles et courageuses. Notre travailles intéresse, elles ont pris leurs tâches à cœur, et pour la première fois pouvons-nous dire, les jeunes filles participent nombreuses à la vie politique de la Fédération des Jeunesses communistes de France.
Elles seront demain des militantes capables, s'éduquant aux meilleures sources de notre doctrine marxiste-léniniste... ".
L'arrivée des nombreuses adhérentes de juin et juillet 1936 va modifier les termes de ce débat et trancher dans le sens d'une organisation de masse . » Le 26 décembre 1936 se tient salle Adyar à Paris, le premier congrès de l'Union des jeunes filles de France, sous la présidence d'honneur de Marguerite Cachin, épouse du directeur de l'Humanité, compagnon de Guesde et de Jaurès, et la présidence effective d'Andrée Viollis, journaliste célèbre, mère de Simone Téry, qui militera elle-même à l'Union. Danielle, élue secrétaire générale, y présente le rapport général, déclarant notamment : (Mettre son travail et son intelligence au service de la communauté est notre devise. Soyons toutes les unes pour les autres des sœurs, des amies, des confidentes. (...) Nous disons à toutes nos sœurs antifascistes, à toutes les amies de la liberté et de la paix, que nous sommes prêtes à mettre nos forces au service d'un travail commun, à les fondre dans une organisation qui nous serait commune à toutes.) En mai 1936 avait paru le premier numéro de Jeunes Filles. Mai 1936, est marqué aussi par le triomphe du Front populaire. Et pour tout dire, mois d'espoir pour une jeunesse ardente qui veut de ses mains bâtir une vie heureuse.
« Jeunes filles de France sera demain l'ami de la jeune fille.
« Les parents le feront lire à leurs enfants parce qu'il est un journal honnête, d'éducation sociale et culturelle qui fera de leurs jeunes filles de vraies filles de France".
Danielle CASANOVA. ,
Jeunes Filles de France sera, sous la direction de Danielle Casanova, un très grand journal féminin. On est surpris en en feuilletant la collection par son caractère moderne et complet. Henriette Nizan, qui y collabora sous des signatures variées (Tante Prune, Cousine Mirabelle, etc.), tenait des rubriques de cuisine, de couture, de bricolage. Des modèles de lingerie, de robes, de chapeaux, des « patrons , y étaient publiés. Les arts et lettres y tenaient une place honorable. Le sort des chômeuses, des malades (la tuberculose) notamment, faisait à l'époque des ravages), des enfants malheureux était évoqué avec sérieux. Danielle avait du rôle de la femme une conception très moderne, assez inhabituelle à l’époque. C'est ainsi qu'elle déclara, par exemple, au congrès de l'UJFF, en décembre 1936 :
« Il n'est désormais plus possible à la femme de se désintéresser des problèmes politiques, économiques et sociaux que notre époque pose avec tant de force... La conquête du bonheur est pour la femme liée à son libre épanouissement dans la société, cet épanouissement est une condition nécessaire du développement du progrès social ».
La politique, au sens noble du terme, n'est évidemment pas absente des préoccupations de Danielle Casanova. A la veille du Congrès de New York auquel elle va participer, elle écrit: :
« Notre Union se joindra à cette ronde de la paix qui nous unira à nos amis scandinaves et anglais, aux jeunes gens et jeunes filles de l'Autriche martyre, aux Tchécoslovaques menacés par les plans guerriers d'Hitler, à la jeunesse héroïque de Chine, à la jeunesse espagnole qui, en défendant vaillamment l'indépendance de l'Espagne républicaine, lutte pour la liberté et la paix du monde ».
En 1937, Paul vaillant couturier meurt subitement. Il a 45 ans.
La seconde guerre mondiale, en fait, avait commencé. Au moment où s'ouvre le Congrès de New York, nous sommes à un mois du pacte de Munich qui va laisser les mains libres à Hitler.
Les délégués au Congrès de New York adoptèrent à l'unanimité le Pacte de Vassar :
« Nous condamnons solennellement toute guerre d'agression contre l'indépendance politique ou l'intégrité territoriale ou administrative d'un Etat. Nous sommes d'accord pour user de notre influence sur nos gouvernements respectifs chaque fois que cela sera nécessaire, afin:
1) qu'ils aient recours à une action commune pour empêcher l'agression ou pour y mettre fin ;
2) pour assister efficacement les victimes des agressions et des violations des traités;
3) pour refuser le matériel de guerre ou l'assistance financière aux agresseurs. Nous décidons de mobiliser l'opinion mondiale pour porter secours aux victimes. »
Retour deNew York Danielle Casanova belle, passionnée, convaincante, avait joué tout son rôle' dans la mise au point de cette ligne politique caractérisée par une volonté affirmée de défendre la paix et la liberté dans l'union la plus large possible de toutes les forces civiques opposées à la guerre et au fascisme. Son action s'étendait désormais au plan international, ce qui explique, qu'elle ne sera pas une inconnue pour les détenus politiques de nombreux pays qu'elle allait rencontrer à Auschwitz.
En octobre 1938, elle signe avec Jeanne Vermersch, qui deviendra l'épouse de Maurice Thorez, une lettre ouverte à la directrice du "Journal de la Femme" qui vient de publier une lettre enthousiaste sur le régime hitlérien et condamne cette «apologie de la dictature de M. Hitler» .
Elle organise, avec l'Union des jeunes filles de France et son journal, l'aide aux enfants d'Espagne, appelant à collecter du lait et à parrainer les petits Madrilènes affamés sous les bombes: « Dans nos foyers, autour de nous, recherchons de nouvelles marraines. Nous sommes certaines de trouver le meilleur accueil auprès des femmes et des jeunes filles françaises. Travaillons avec ardeur pour que notre œuvre des marraines des petits de Madrid devienne encore plus importante ».
La servitude et la mort ne sont plus très éloignées pour la France. En septembre 1938, l'acceptation, à Munich, par Paris et par Londres des revendications de Hitler sur la Tchécoslovaquie a soulevé la protestation indignée du Parti communiste français qui sera seul en tant que parti à en refuser les termes. Gabriel Péri déclarera à la chambre des députés que Munich, ce n'est pas la paix mais la guerre. Les Jeunesses communistes dénoncent la trahison: « Monsieur Daladier, partez! « Vous menez la France à la catastrophe. », Danielle Casanova prend une part essentielle à l'action pour la paix. Six mois après Munich, Hitler, qui a déjà annexé le Pays des Sudètes, envahit le reste de la partie occidentale de la Tchécoslovaquie, la Bohême-Moravie, et transforme en protectorat fasciste la Slovaquie. Munich est le point de départ de la catastrophe finale. Du côté socialiste, on est inquiet, mais Léon Blum a parlé de :« lâche soulagement ».
A droite, à quelques exceptions près, l'antisoviétisme l'emporte sur le sens des intérêts de la France.
Un homme dont on reparlera plus tard, le colonel de Gaulle, écrit cependant à sa femme:
« Comme d’habitude, nous capitulons sans combat devant les insolentes exigences des Allemands et nous livrons à l’ennemi commun nos alliés les Tchèques. L'argent allemand et la monnaie italienne ont coulé à flots ces jours-ci dans toute la presse française, surtout dans celle qui est dite « nationale» (le Jour, Gringoire, le Journal, le Matin, etc.) pour persuader notre pauvre peuple qu'il fallait lâcher et le terroriser par l'image de la guerre. La série des humiliations se poursuit. Elle continuera par l'abandon des colonies, puis par celle de 1’Alsace etc. à moins qu'un sursaut d'honneur réveille la nation et mette, les traîtres à la caponnière. A la faveur de la capitulation d'aujourd'hui, nous connaîtrons un court répit, comme Mme du Barry, vieillie, suppliait sur l'échafaud révolutionnaire: « Encore un petit moment, Monsieur le bourreau ! »
Danielle Casanova et de Gaulle, chacun à sa place, se retrouveront du même côté de la barricade lorsque sonnera l'heure décisive.
Entre temps, le 6 décembre 1938, le ministre français des Affaires étrangères, Georges Bonnet, avait signé avec son homologue allemand, J. von Ribbentrop, un accord aux termes duquel les élections seront suspendues et le Parti communiste « mis à la raison ».
Dans un rapport du 31 octobre 1938, l'ambassadeur du Reich avait écrit à son ministre: « N'importe quel accord avec l'Allemagne affirmerait la position de Daladier (président du Conseil - P. D.) et de Bonnet et favoriserait leur politique de refoulement et d'exclusion des communistes » Le régime s'est déjà durci. Le gouvernement se passe du Parlement et régit par décrets-lois. Léon Jouhaux secrétaire général de la CGT avec Benoît Frachon, écrit le 1er décembre 1938 : « Les décrets-lois sont la conséquence des accords de Munich et d'une politique qui tend à détruire les libertés ouvrières. M. Daladier, avant de recevoir M. Ribbentrop, avait voulu montrer qu'il était capable d'avoir, à l'égard de la classe ouvrière, la même attitude que M. Hitler ».
Danielle Casanova est arrêtée le 15 février 1942
La Gestapo, aurait été impuissante sans l'aide, et l'initiative de la police française de l'époque.
En 1939 le parti communiste est interdit et rentre dans la clandestinité pour mener le combat contre l'occupant nazi.
Dès septembre 1939, la police municipale de Paris (PM), sous la direction du préfet Langeron, avait mis en place dans chaque arrondissement des « brigades spéciales», chargées de la chasse aux communistes. Dans les six subdivisions de banlieue, des organismes identiques avaient été implantés sous le double contrôle à la fois de la Police Municipale et de la police judiciaire (PJ).
En mars 1940, le directeur des Renseignements généraux (RG) avait, mis sur pied une « brigade spéciale » chargée de la répression anticommuniste.
Avec l’occupation, ce système est encore étoffé par la création de « brigades d’interpellation » faisant la chasse aux «terroristes» à Paris et en banlieue.
A partir d'août 1941, les RG vont disposer en outre de 5 «sections spéciales», et de 2 «brigades spéciales». Les chefs de cet énorme appareil policier sont des «spécialistes» de l'action anticommuniste.
L'une des plus sauvages de ces «brigades» des RG était dirigée par un ami de Pierre Laval. Il se nomme Baillet. Il sera bientôt secondé par Fernand David, qui dirigera la BS1, (spécialisée contre les politiques), la BS2 l'étant, en particulier, contre les Résistants de la MOI (Main-d'œuvre immigrée).
Les contacts entre le commissaire David et les officiers de la Gestapo deviennent dès lors quotidiens et étroits. C'est ça la «collaboration». Pétain lui-même s'en réjouira et félicitera les « brigades spéciales».
Les effectifs considérables de cette police hautement spécialisée et grassement payée, usent des méthodes les plus modernes pour l'époque. Il ressort des témoignages recueillis lors de l'instruction des procès de certains commissaires et inspecteurs après la guerre, que les filatures organisées duraient parfois des mois. Les policiers travaillaient toujours en équipe plus ou moins nombreuses, camouflés en ouvriers, en postiers, en agents du métro. Ils utilisaient des camionnettes bâchées pour leur « planque ».
Ils étaient formés à reconnaître un visage de face ou de profil, à repérer une démarche particulière. Ils s'efforçaient de suivre la ou les personnes qu'ils avaient vu rencontrer le premier suspect observé. Ils notaient l'emplacement des immeubles où ils les voyaient pénétrer. Quand les informations recueillies semblaient suffisantes pour organiser un coup de filet, des dispositions minutieuses et de grande ampleur étaient prises. Les victimes arrêtées, leurs logements restaient surveillés pendant des jours, voire des semaines.
Berthe Di Ruzza (nom de résistante "Maria") avait annoté un exemplaire du livre "Du soleil plein le coeur" de Simone Téry. L'annotation stipule que c'est au 6 de la rue de Poteau que "planquait" à ce moment-là Danielle Casanova, dans un appartement que Berthe Di Ruzza lui avait procuré.
Le 5 janvier 1942, une équipe composée de onze inspecteurs de la BS1 est chargée de retrouver André Pican, ancien militant communiste de la région normande, que l'on soupçonne (à juste titre) de jouer un rôle important dans l'édition clandestine du journal "l'Humanité". Des indicateurs ont signalé qu'il vit à Paris, sous une fausse identité. Son portrait, a été diffusé avec toutes les précisions possibles.
Danielle a été arrêtée le 15 février 1942 alors qu'elle apportait dans un cabas un peu de charbon à ses amis Politzer, rue de Grenelle.
Il reste évident qu'elle était suivie par la police depuis longtemps., et qu'elle fut victime d'un «coup de filet» préparé de longue date.
Le piége :
la BS1 est donc chargée de retrouver André Pican.
Le 21 janvier, il est repéré au « Café du Rond-Point », porte d'Orléans. Les agents de la BS ne sont pas certains de l'avoir reconnu, mais leur rapport va parler du «présumé Pican ». A 12 h 30, il est rejoint par un homme qui, dans le langage codé de la police, va s'appeler «Porte d'Orléans».
Il mesure, dit le compte rendu de la BS, 1 m 78. Il a «des cheveux châtain, une moustache de même couleur, une figure osseuse, des rides profondes sur les joues; il est vêtu d'un pardessus de lainage avec quelques motifs rouge et blanc, chapeau marron baissé devant, avec un ruban de 2 cm de largeur. Il porte des chaussures noires basses et des chaussettes grises».
Tous deux quittent le café, prennent le métro et descendent à Goncourt.
La longue traque commence.
Le présumé Pican rencontre deux femmes et un homme au café «Au général Brunet», face à la sortie du métro Botzaris. Pican part avec l'une des femmes qui sera nommée« femme café Brunet ». Ils se rendent à Saint-Lazare, puis place de Clichy.
Pican entre dans une teinturerie, 6, rue Mélingue, d'où sort un homme que l'on (identifie comme étant Raoul Jourdan).
Pican marche ensuite jusqu'au 34, de la rue Letort. Quelques instants plus tard, la fenêtre du 3e étage de cet immeuble s'allume, précise le rapport.
A noter que quelques secondes avant son arrivée, le présumé Pican avait remué dans sa poche un trousseau de clefs ce qui laissait supposer qu'il savait où il allait.
C'était le domicile de Jourdan.
" les détails ne manquaient pas".
Pican est suivi jusqu'à Tours le 22 janvier.
Puis on le retrouve rue Mélingue où la teinturerie était surveillée. Il rencontrera ensuite un homme à la Motte-Piquet, que l'on identifiera comme étant Louis Lamodière. Puis il retrouve une femme au métro Balard, la BS1 la surnomera « la femme Balard».
De filature en filature, on repère « Moustache », «Remorque» (il monte un vélo traînant une remorque à gros pneus), «Pont des Arts», « Saint-Mandé », une «femme Pyrénées» (repérée à cette station de métro).
La « femme Pyrénées » se rend à la porte de Vincennes où elle rejoint «la femme Vincennes» : « 1 m 70, 32 ans, cheveux châtain très clair, lunettes écaille, maquillée, manteau de fourrure marron genre mouton rasé, portant capuchon rond en tissu marron, entourage bleu ciel, bas en laine, tenant à la main un sac à provisions en tissu drap bleu ».
« La « femme Pyrénées » remet à la « femme Vincennes » différents paquets qu'elle a retirés de son cabas, puis elle se sont séparées. La « femme Vincennes » est prise en filature.
A 16 h, elle est accostée boulevard Soult par un individu que l'on baptise «Soult» à qui elle donne son sac. Il part, mais, comme il est très prudent et se retourne souvent : la filature est abandonnée.
Marie-Claude Vaillant-Couturier a déclaré que la « femme Vincennes », c'était bien elle. La « femme Pyrénées » était Madeleine Laffitte , (qui mourut à Auschwitz) et « Soult » - effectivement toujours très prudent - était «Victor», l'agent de liaison de Jacques Duclos.
La « femme (Vincennes) revient à la porte de Vincennes où elle rejoint la « femme Pyrénées » dont on sait déjà qu'elle est «une liaison directe» de «Balard» (repéré à cette station de métro. Il s'agit de Cadras). Elle est reprise en filature.
On va passer ainsi de « Jussieu» à «Chapelle». «Jussieu» est suivi jusqu'à Cherbourg où il se rend par le train. Apparaissent ensuite «Claude Decaen, (nom de rue) une « femme Dorian», deux « femmes Franklin », une « femme Viaduc» (Viaduc de Passy), « 1 m 65, manteau noir) chapeau mode mis sur le devant, garni de deux pompons, l'un rouge) l'autre vert ».
La« femme Viaduc et la « femme Balard ») rentrent au café «Viaduc de Passy» puis au café-tabac «Le Franklin» où elles rejoignent deux autres femmes.
A 19 h, la «femme Viaduc» en sort et se rend au 12 ou 14 rue Emile Zola (il fait déjà sombre) . A 19 h 30, les trois autres femmes sortent du «Franklin».
Seule «Balard» est suivie. Elle va rue du Poteau d'où elle sort à 20 h 05 «portant une valise de couleur jaune». Elle prend le métro à la station Jules-Joffrin, descend à LaTour Maubourg et pénètre à 20 h 40 au 170 bis, rue de Grenelle.
Les domiciles de D. Casanova et de Politzer sont ainsi repérés.
Le 11 février, Pican est logé rue du Buisson-Saint-Louis où pénètre une femme baptisée de ce nom-là. Elle est suivie à sa sortie et on la voit rencontrer une «femme Ménilmontant».
Le 13 février, Pican accoste une «femme République». Puis il va au 49, de la rue du Faubourg-du-Temple, en ressort quinze minutes plus tard et retourne au 3, de la rue du Buisson-Saint-Louis. A 16 h il en part, suivi par la «femme du Buisson-Saint-Louis». Ils vont à la République et se séparent.
Le 14 février, on les revoit rue du Buisson-Saint-Louis, portant trois valises. Ils vont à la gare Montparnasse et prennent un seul billet pour Le Mans.
Il est temps d'agir.
Le 15 février 1942, c'est le coup de filet. Les inspecteurs Y., R., G. et D. mettent «à la disposition» de leur chef, le commissaire David le rapport suivant :
- Politzer Georges, alias Destugues, né le 3 mai 1903 à Nowgorog (Hongrie), naturalisé français par décret du 31 décembre 1924, professeur, 170 bis, rue de Grenelle;
- Mme Politzer, née Larcade, Marie dite Maï, alias Destugues, née le 15 août 1906 à Biarritz, sage-femme diplômée;
- Casanova, née Perini, Vincentella, dite Danielle Casanova, alias Garnier, née le 9 janvier 1909 à Ajaccio, chirurgien-dentiste, appréhendée dans les circonstances suivantes:
«Au cours des filatures dont a fait l'objet le militant Cadras, alias Dauvergne, nous avons acquis la certitude que des documents étaient transmis par lui à Politzer et à sa femme par l'intermédiaire de la femme Casanova.
Une surveillance, exercée 170 bis. rue de Grenelle, nous a permis de l'appréhender dans l'escalier de l'immeuble alors qu'elle se rendait chez Politzer. Ce dernier et sa femme, appréhendés à leur domicile, ont également été conduits au service.»
Danielle Casanova de la Santé à romainville
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Des murs nus, des bancs tout autour de la pièce, des fenêtres grillagées et armées de barreaux épais, une paillasse mince
et noire de crasse, une table.
Dehors, c'est la cour de la P.P, (la préfecture de police de Paris). Des flics sont , assis sur les bancs.
Derrière la table, un autre policier va commencer l'interrogatoire.
Danielle, a refusé de décliner son identité, a été transférée dans les locaux de la BS, la Brigade spéciale, au deuxième étage de la Préfecture de Police. On l'a fouillée à corps. Elle a été photographiée, de face et de profil. On a pris ses empreintes digitales, deux fois celles de chaque doigt de chaque main. Sa fausse carte d'identité n'a pas tenu le coup bien longtemps.
Le séjour au « Dépôt» de la PP. va durer jusqu'au 23 mars. Danielle ne perd pas courage. Elle parvient à faire sortir quelques lettres que recevra sa mère. Elles étaient' dissimulées dans le linge sale qui était remis à « Tante Célestine », - Célestine Garnier - la tante de Victor Michaux, qui se faisait passer pour la tante de Danielle.
Danielle reste ainsi au Dépôt jusqu'au 23 mars. Elle y a retrouvé sa très chère amie Mai Politzer (marie Politzer, épouse de Georges), parmi bien d'autres, Marie-Claude Vaillant-Couturier qui restera sa très proche compagne jusqu'à sa mort.
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La prison de la santé : le 23 mars 1942
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Le 23 mars, les prisonniers quittent donc le Dépôt pour la prison de la Santé. Marie-Claude est internée, en isolement, à
la 1ère, puis à la 2e division.
Danielle à la 4e, avec plusieurs de ses compagnes. Elles y resteront cinq mois et demi, souffrant de la faim et surtout de la terrible présence de la mort.
Le 23 mai :
- Marcel Engros
- Jacques Solomon
- Jean-Claude Baver
- Georges Dudach
- Georges Politzer
- Claude Gaulue
- André Pican
sont arrachés à leurs cellules pour être fusillés.
Le 30 mai, c'est au tour
d'Arthur Dallidet,
de Félix Cadras,
de Jacques Decour (de son vrai nom Daniel Decourdemanche),
de Louis Salomon-Weiler.
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Le soir, Rose blanc (lien ) chantait pour apaiser tous ces hommes, tous ces enfants qui avaient faim, qui avaient mal, et qui savaient qu'ils allaient mourir.
Fort de Romainville : 24 aout 1942 :
Le 9 juin 1942, tout le groupe des femmes est emmené Rue des Saussaies pour interrogatoire par la Gestapo. C'est Rue de Saussaies que le commissaire David, chef de la BS1 a son bureau où il collabore en permanence avec les Allemands. C'est sans doute en accord avec lui - et ses supérieurs vichystes - que la décision est prise de faire des prisonnières des otages qui seront internées au Fort de Romainville, dans la proche banlieue parisienne. Danielle et ses camarades y arrivent donc le 24 août. Depuis mars, personne à l'extérieur n'a plus eu de leurs nouvelles.
Romainville, c'est un pénitencier, mais c'est différent - dans une certaine mesure - de la prison. Les contacts entre prisonniers, malgré les interdictions, y sont moins difficiles. Il était possible d'y mettre sur pied une certaine organisation, clandestine, certes, mais collective, Danielle en fut l'âme.
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Voici une lettre que Danielle Casanova a réussi à faire sortir de Romainville et qui a été conservée.
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Pour ce qui est de la tendresse que Danielle manifestait à ses compagnes frappées par la mort de leur mari ajoutons ce témoignage émouvant de Hélène Bolleau-Callaire :
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Hélène Bolleau avait 18 ans en 1942. Apprentie coiffeuse, elle avait été arrêtée à Royan, avec son père, un facteur, qui était l'agent de liaison d'Octave Rabaté. Il fut fusillé. Elle, est revenue d’Auschwitz et a pu témoigner sa vie durant de l'horreur nazie.
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Les lettres de Danielle Casanova qui parviennent à l’extérieur du Fort de Romainville par des voies mystérieuses sont toutes empreintes d'un extraordinaire courage, d'un élan vital irrépressible, d'une confiance lucide en l'avenir. On songe aux vers de Victor Hugo:
« Peuple, ce sont tes femmes, tes sœurs et tes filles,
« Leur crime, ô peuple, c'est de t'avoir aimé.
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Ses compagnes de captivité sont unanimes à reconnaître ses immenses qualités. Marie-Elisa Nordmann a raconté combien étaient intenses sa présence et son autorité morale. Elle était au courant des détails de l'existence de chacune. Elle participait aux émotions de toutes.
Elles n'étaient pas riches en livres. Leur seul ouvrage historique était une Histoire de France, de Jacques Bainville. L'exemplaire appartenait à Simone Sampaix ; il avait accompagné son père en prison et jusqu'à son exécution. C'était une source de renseignements contestables, mais qui leur fut cependant précieuse. Danielle, à l'aide de ce livre et grâce à ses souvenirs, avait cependant pu faire des schémas de conférences historiques. La première était sur la formation de la bourgeoisie. Elles se servaient de ses notes pour refaire la conférence dans les autres salles.
Il fallait marquer les grandes dates historiques. Pour le 11 novembre, Danielle leur fit passer la consigne et, à midi juste, à toutes les fenêtres du fort, face à Paris, hommes et femmes entonnèrent une puissante Marseillaise.
Le commandant du camp ne sut que mettre son casque et se promener dans la cour au pas de parade en les regardant rageusement.
A plusieurs reprises, un petit journal clandestin, écrit à la main, le "Patriote du fort de Romainville", fut mis en circulation. Danielle en était le principal rédacteur. On y trouvait une mise au point des principaux événements politiques, mais les problèmes du camp n'étaient pas oubliés. Ce journal avait pour objet principal d'informer et aussi celui de maintenir le courage de ceux et de celles auxquels il était destiné.
Elle savait, par son entrain, son optimisme conscient, remonter le courage de celles dont le moral baissait. Elle apparaissait comme un guide aux 229 femmes qui devaient l'accompagner jusqu'en Haute-Silésie. Et elle était la première, dans les gares qu'elles traversaient, à entonner des chants de lutte..