Aragon : L'homme
Publié le 23 Décembre 2012
Il existe un pays solaire
Sur un continent de colère
Pas tous les chiens n’y font le beau
Ni les morts n’y ont de tombeau
Pas tous les vivants n’y respirent
Ni les enfants n’y savent rire
Celui qui ne peut pas chanter
Rêve-t-il de la liberté
La bouche est faite pour se taire
Et les yeux pour fixer la terre
Les genoux sont faits pour plier
Et les bras pour être liés
C’est la loi du moins et la règle
Pour le lièvre sinon pour l’aigle
Car il en va tout autrement
Pour qui je dis en ce moment
Je parle d’un homme bizarre
Dont la voix rend fous les lézards
D’un homme dont les pas chantants
Arpentent l'horreur de nos temps
D’un homme qu’écoutent s’il chante
Les fougères arborescentes
D’un homme légendairement
Suivi des papillons déments
D’un homme autour de qui le soir
Les fantômes viennent s’asseoir
Et c’est lui que l’on entend errer
Disant des mots démesurés
D’un homme à minuit qui murmure
Ce qui fait s’enfuir les lémures
Et les étoiles près de lui
Tombent tombent tombent en pluie
D’un homme que les petits ours
Suivent dansant au point du jour
A l’aube que l’aube ne point
Chante plus haut ne faiblis pas
D’un homme au cœur de l’Amérique
Comme un grand matin chimérique
Un immense espoir étrenné
Insoucieux de sa journée
S’il fait beau dès la première heure
Qu’importe à l’onzième qu’on meure
Mais tout le jour est mon combat
Ne meurs pas Pablo ne meurs pas
Aragon (Le romancero de Pablo Neruda dans le recueil Le nouveau Crève-cœur)