Guerre idéologique au Venezuela

Publié le 2 Novembre 2009

Jean Ortiz - Le Monde Diplomatique

L’adoption en août dernier, par l’Assemblée nationale du Venezuela, d’une Loi organique d’éducation (LOE), après ample débat dans tout le pays, a suscité et continue à susciter une avalanche médiatique anti-gouvernementale. Elle a confirmé la dureté de l’affrontement de classe en cours et la stratégie de déstabilisation menée par l’opposition et ses « médias-mensonge ». La presse anti-chaviste a crié à la « soviétisation », à la « cubanisation » de l’éducation, et même au bâillonnement des médias. La LOE serait une machine de guerre occultant entre les mots une loi contre « les délits médiatiques » destinée à museler presse et télévision...


Nous nous sommes donc procuré un large éventail de la presse vénézuélienne d’août 2009 et nous l’avons examinée. A notre grande surprise ( !), il en est ressorti qu’elle était très – mais très – majoritairement hostile au régime présenté comme « dictatorial » et muselant la liberté d’expression. Des quotidiens et hebdomadaires agressifs, déchaînés contre une LOE « perverse » et « liberticide ». La plupart des journaux étudiés relèvent de l’anti-chavisme ordinaire, voire militant. Nous citerons : Notitarde (Etat de Valencia), El Correo del Caroni (Etat de Bolivar), El Mundo (Caracas), La Verdad (Maracaibo), Quinto Día (Caracas), El Sol (Maturín), El Universal (Caracas), Las Verdades de Miguel, 2001 (Caracas), El Nuevo País, Región (Sucre), La Nueva Semana, El Nacional, El Universal, La Razón (Caracas), Extra (Maturín), El Carabobeño (Valencia), avec des titres de une tels que : « Parents, réagissez » (La Verdad, 3 août), « L’Eglise demande le report de la loi de mauvaise éducation » (El Nuevo País, 13 août), « Les parents ne veulent pas qu’on leur fasse prendre des vessies pour des lanternes » (Región, 10 août)...


Dans un autre registre, le quotidien de Caracas Últimas Noticias accorde à la LOE un traitement équilibré, donnant la parole à toutes les parties. Le quotidien Diario Vea soutient le gouvernement, ainsi qu’El Correo del Orinoco et l’hebdomadaire Temas. Ainsi va le pluralisme de la presse au Venezuela. Le « latifundium médiatique » se porte plutôt bien et, s’il y a déséquilibre, il est incontestablement au détriment de la révolution bolivarienne. La liste des quotidiens et revues hostiles cités ci-dessus est loin d’être exhaustive... Celle du « chavisme » ne dépasse pas quelques unités.


A ce premier constat quantitatif, il faut ajouter le mensonge dominant, matraqué, souvent efficace. La caricature médiatique de la LOE n’a rien à voir avec l’avant-projet puis avec le texte de loi. Les hiérarques de l’enseignement privé, de la très réactionnaire Eglise vénézuélienne, les associations de parents et d’enseignants de droite, etc., tiennent un discours très politique, déconnecté de la loi. Le cardinal Jorge Urosa a fait lire un message anti-LOE dans toutes les églises. Les évêques considèrent que « l’enseignement religieux dans les écoles est un droit acquis et fait partie de l’identité nationale ». Ils revendiquent sans le dire un statut particulier pour l’Eglise et une religion officielle.


Les « médias libres » s’enflamment : « Touche pas à mes enfants » ; « On veut en finir avec l’enseignement privé et la liberté de la presse » ; « Endoctriner nos enfants »... Le ministre de l’Education a même dû déclarer que, contrairement aux rumeurs, le gouvernement ne retirerait pas l’autorité parentale (patria potestad) aux parents ! La grosse ficelle avait déjà servi à Cuba dans les années 1960.


Selon ses contempteurs, la LOE liquiderait l’autonomie des universités (affirmation démentie par l’article 33), la liberté de choisir entre le privé et le public, entraînerait la « communalisation » d’un enseignement partisan... Comble de la « cubanisation », les associations d’usagers et les conseils communaux sont invités par la LOE à participer aux tâches éducatives et à la co-gestion du système. Summum de l’autoritarisme, le budget des universités sera soumis au principe de la « démocratie participative et protagonique ». Puis vient l’horreur – à la française : le recrutement, la nomination et l’évaluation des enseignants seront soumis à quelques normes nationales...


La lecture de la loi éclaire les enjeux de l’affrontement. L’article 4 définit l’enseignement comme « un droit humain universel, un devoir social fondamental inaliénable, un bien public ». L’article 5 (3.c) ajoute : l’Etat promeut des politiques « d’inclusion sociale éducative » et des projets de « développement endogène soutenable ». La LOE confirme le financement par l’Etat des établissements privés relevant de l’Association vénézuélienne de l’éducation catholique... une sorte de contrat d’association.


Quant aux « sanctions contre les délits médiatiques », elles relèvent de la manipulation de l’article 5 (4.c) – « L’éducation intégrale » doit comporter une « interprétation critique et responsable des médias » – et de l’article 6 obligeant ceux-ci à concéder des espaces éducatifs. Nul ne s’oppose en France à l’étude critique des médias par notre système éducatif : programmes de langue française, lecture, compréhension, connaissance de la langue, expression, Semaine de la presse à l’école… Un système qui y renoncerait passerait à côté de ses responsabilités.


Quant à « l’endoctrinement éducatif », il découle, d’après le gouvernement vénézuélien, de la « doctrine de Simón Bolivar » qui doit inspirer l’éducation. Bolivar parlait de souveraineté et d’indépendance nationale, de justice sociale, d’égalité entre les hommes, d’épanouissement des individus... Ce point, complexe – une sorte d’appel à un « consensus républicain » sur des valeurs partagées– a le mérite de souligner qu’à l’école on forme aussi l’esprit et le futur citoyen.


Jean Ortiz


http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2009-10-30-Venezuela

 

 

 

 


Rédigé par caroleone

Publié dans #ABYA YALA, #Venezuela

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