Grèce : qui sont ces néonazis qui veulent entrer au Parlement ?
Publié le 9 Mai 2012

Longtemps considéré comme un groupe néo-nazi semi-clandestin, le mouvement Chryssi Avghi (Aube dorée), est crédité de 4 à 5% aux législatives du 6 mai, ce qui garantirait son entrée au parlement, une première pour le pays depuis le retour de la démocratie en 1974. Accusé de violences contre les migrants, le principal but du parti est d’expulser tous les clandestins de Grèce. Visite guidée à l’intérieur du mouvement avec le journal To Vima.
To Vima, le 29 avril 2012
Le chef, c’est-à-dire le chef à perpétuité du mouvement le plus extrémiste en Grèce, l’Aube dorée, c’est Nikos Michaloliakos.
Il n’a qu’un seul commandement à formuler aux membres du parti : « Quand j’avancerai, vous avancerez. Quand je combattrai, vous combattrez à mes côtés ». C’est ce que raconte Ch. Kousoumvris, l’un des bras droits de l’organisation fasciste, qui a assuré pendant douze ans les fonctions de trésorier du parti avant de retourner sa veste il y a quelques années et de dévoiler dans un livre le véritable visage de l’Aube dorée et de son « führer », monsieur Michaloliakos.
Voici donc ce qu’il raconte : « Le chef était l’être suprême pour nous. Sa parole était un ordre. Et c’est ce qu’il exigeait de nous. Obéissance aveugle. Si quelqu’un le remettait en question, nous devions, nous ses proches collaborateurs, tenter de raisonner le fauteur de trouble par des mesures d’intimidation. Malheureusement, j’ai dû frapper des amis, pour la seule et unique raison qu’ils avaient remis en question les paroles du chef ».
Douze ans passés au sein de l’Aube dorée, pour le repenti Kousoumvris, ce n’était pas rien. Il porte en décorations quinze points de suture, traces de bastonnades auxquelles il a pris part pendant toute la durée de son « service » dans l’organisation. Les autres décorations d’honneur, qu’il a reçues de Michaloliakos dans des manifestations particulières, ne comptent pas, celles-là le chef les donne à tous ses lieutenants.
Ceux qui connaissent bien la structure disent que le chef nourrit une antipathie particulière à l’encontre des numéros 2. Non pas parce que ce chiffre lui est défavorable dans les prédictions astrologiques qu’il aime consulter, mais parce qu’il éloigne tous ceux qui ont été ou sont élus au sein de son organisation, qu’il contrôle intégralement depuis une dizaine d’années.
Le fonctionnement de l’Aube dorée a été marquée depuis toutes ces années par de nombreuses défections de cadres et des mini-scissions, suivies presqu’à chaque fois d’accusations réciproques, de menaces et parfois de bagarres sauvages. Outre le cas Kousoumvris, écarté avec 15 points de suture comme médaille, tous les membres de l’organisation qui l’ont quittée, en ont été expulsés ou y sont inactifs ont, comme par hasard, des points de suture sur le visage.
Le premier départ de l’Aube dorée a eu lieu en novembre 1990, quand le numéro 2 de l’époque, I. Perdikaris, économiste, idéologue, comme on l’appelait, et rédacteur du manifeste de l’Aube dorée des années 80, est parti en emportant avec lui une quinzaine de responsables. La raison principale de ce départ était que Perdikaris voyait plutôt l’Aube dorée comme un centre d’études nazies. Au contraire, M. Michaloliakos commençait à nourrir des ambitions politiques. Après quelques années, ils se sont quelque peu rabibochés sans cependant que Perdikaris ne retrouve sa place dans l’organisation.
La deuxième rupture a eu lieu au début de 1998, quand I. Yannopoulos, ex « légionnaire et mercenaire » selon ses mots, a quitté l’Aube dorée entraînant à sa suite un groupe de membres. Ils accusaient le chef d’avoir réduit l’organisation à « un fouillis de votes divers pour l’extrême-droite ».
Troisième scission : le numéro 2, Antonis Androutsopoulos, devenu le bras droit du chef, a créé de fait une organisation dans l’organisation, sous le nom des « Aigles dorés ». Eté 1998 : Androutsopoulos est en cavale, accusé dans l’attaque contre des étudiants de gauche lors de laquelle un étudiant avait été gravement blessé. Il se rendra début 2005. Accusé de deux tentatives de meurtre, il n’est cependant resté que cinq ans en prison. C’est alors que ses dissensions avec Michaloliakos sont apparues, quand il l’a accusé d’avoir trahi leur combat et expliqué que son arrestation avait été rendue possible par une dénonciation venue du sein même de l’Aube dorée.
Tous ceux qui ont fait l’armée en Grèce dans les années 1960 et 1970 se rappellent les sessions obligatoires de « formation morale nationale » : des gradés venaient faire des sermons anticommunistes aux soldats. C’est la même chose à l’Aube dorée. Quand ses bureaux se situaient à Kypseli (à Athènes), au début (aujourd’hui ils sont situés du côté de la gare de Larissa, toujours à Athènes), il fallait en entrant faire le salut nazi. Main levée à 90 degrés. Comme l’explique M. Kousoumbris, les lieutenants du chef étaient chargés de la catéchèse et savaient ce qu’il fallait dire : « ils nous disaient ce qu’on voulait entendre : Patrie, Grèce antique, suprématie des Grecs. Nous étions tous embrigadés ». Kousoumbris fut ensuite chargé avec d’autres de la formation morale nationale. Les responsables de la catéchèse ont ainsi proposé aux nouveaux membres de lire des ouvrages comme « Mein Kampf » de Hitler, des livres de Ioannis Dragoumis, de Périklis Yannopoulos, Ioannis Metaxas et de Goebbels.
D’autres membres aujourd’hui écartés du parti insistent sur le fait que « dès le départ, l’Aube dorée a semblé avoir des problèmes avec les références germaniques. Au début, il y avait des croix gammées dans les bureaux, mais ensuite elles ont disparu. Cependant, le chef a voulu convaincre de la suprématie de l’Homo nordicus, l’Homme du Nord. Mais pour quelle raison, puisque Hitler admet dans son livre, comme ils nous l’ont expliqué, que ses ancêtres étaient les Grecs anciens ? »
Au sein de l’organisation, une autre organisation fonctionnait, les « Aigles dorés ». C’est cette section qui a pris en charge le recrutement de jeunes. Ils ont fait le tour d’écoles de zones défavorisées où ils distribuent des tracts de propagande à la gloire de l’Aube dorée. Ces dernières années, selon certaines accusations, ils se sont aussi infiltrés dans des écoles privées des quartiers nord d’Athènes.
On discute beaucoup pour savoir si les membres de l’Aube dorée sont entraînés. De nombreuses fois on les a vus marcher au pas en rangs. Mais, à l’exception de quelques push ups parfois obligatoires parfois spontanés, il n’y a pas d’autre forme d’entraînement. Dans les statuts, autrefois, il était suggéré de porter des vêtements particuliers, comme une chemise kaki et un emblème nationaliste, mais peu ont suivi ces recommandations : « L’Aube dorée donne l’impression d’être bien organisée. Mais en général, on peut dire que c’est un sacré bordel », reconnaissent des membres qui s’en sont éloignés.
Cependant le chef, lui, aime l’organisation et c’est sûrement pour cela qu’il organisait souvent des camps d’été. Les membres de l’Aube dorée les appelaient (et les appellent encore) des « camps nationalistes ». En tout, quatre de ce genre ont été organisés, et, malgré l’amour du chef pour la perfection de l’organisation, se sont avérés être un grand bazar, en tout cas d’après la description qu’en font les mêmes individus déjà cités. Beaucoup trouvaient là l’occasion de boire une grande quantité d’alcool et on y a parfois assisté à des beuveries légendaires.
Le chef a à sa disposition des membres qui constituent une sorte de garde rapprochée reconnaissables parmi les autres à leur béret rouge. Ils l’accompagnent toujours, comme il y a quelques jours, à la Saint-George, lors de sa visite à une église dédiée à ce saint. Il y était accompagné de Y. Yermenis, candidat dans la deuxième circonscription d’Athènes, et membre d’un groupe de black heavy metal, Near Materon.
De façon générale, les individus qui encadrent l’Aube dorée sont « tout ce que vous pouvez imaginer : des enfants de familles de droite, ou de gauche, riches, ou pauvres, plutôt de familles à revenus moyens quand même. Des gens qui veulent cacher leur personnalité, évacuer leurs problèmes. Il y a eu une époque où l’on trouvait des gens qui croyaient en des idées précises comme la patrie, la religion, la famille, et venaient là guidés par leur conscience. L’organisation les a détruits, et avec eux, tout ce en quoi on pouvait croire de juste », raconte M. Kousoumbris, ancien cadre de l’Aube dorée, dans une ancienne interview donnée à la revue Tachydromos.
M. Michaloliakos, même s’il évite les avions, était en 1996 à Moscou, au congrès de l’ultra-nationaliste russe Vladimir Jirinovski. Au congrès du parti en novembre 1992, à l’hôtel athénien Karavel, Stvan Edvad, néonazi allemand, avait été invité à s’exprimer ; il a été emprisonné en Allemagne par la suite.
Dans les réunions ou manifestations de l’Aube dorée, à plusieurs reprises des néofascistes ou des nostalgiques du nazisme ont pris la parole : ce fut le cas à Imia (NdT : nom d’une île de la mer Egée où ont eu lieu des affrontements militaires entre la Grèce et la Turquie pour la défense des frontières en 1996), de Uto Voig [1], d’un représentant du parti fasciste italien Forza Nuova, et d’un représentant du parti espagnol de la Phalanga qui revendique sa filiation avec le dictateur Franco. Quel lien ont Franco ou les fascistes italiens avec les événements tragiques d’Imia ? C’est la question que se posent bien des membres de l’Aube dorée. Bien sûr, ces derniers temps, Michaloliakos ne cesse de démentir ses liens avec les néofascistes italiens. Mais l’été 2005, l’Aube dorée a essayé d’organiser un camp paneuropéen de néonazis à Stylida : les habitants de la région et les partis politiques s’en sont émus, et finalement, après tout ce tapage, l’initiative est tombée à l’eau.
Lors des camps précédemment organisés, l’Aube dorée invitait souvent des étrangers partageant les mêmes idées : « ils venaient d’Afrique du Sud, d’Allemagne, Italie, des cadres d’organisations nazies, d’extrême-droite, et racistes. Au début, on éprouvait de la crainte devant les Allemands. A force de les fréquenter cependant, ils ont fini par me dégoûter : ils se levaient le matin, buveaient d’une seule traite une bouteille d’ouzo, écoutaient de la musique violente, et au milieu de leur saoulerie, ils faisaient entendre des injures racistes », a expliqué M. Kousoumbris lors d’une interview.
L’Aube dorée, la revue, a été créée en 1980 et a paru jusque 1984. Après des problèmes avec la police, Michaloliakos a décidé d’en arrêter la publication. C’est à ce moment qu’il est parti en Afrique du Sud. Personne ne sait ce qu’il y a fait. A son retour, on le retrouve chef de la jeunesse EPEN [2], sur mandat personnel, d’après ses dires, de l’ex-dictateur Yorgos Papadopoulos, alors retenu prisonnier. Un an plus tard, il quitte l’EPEN non sans lancer des accusations contre les anciens de la junte, et il fonde à nouveau l’Aube dorée. L’organisation devient alors un parti dont le slogan de base ces dernières années a été : « les étrangers hors de Grèce ». C’est ainsi qu’il a réussi à attirer un certain nombre de partisans, tout en prenant soin de dissimuler sa face sombre. Selon d’autres membres, le slogan de l’Aube dorée est « Dehors les étrangers », elle se pose en défenseur de la pureté raciale, mais deux actuels candidats du parti ont épousé des femmes immigrées.
Le chef veut que ce soit ses propres hommes qui soient élus. Ce n’est pas un hasard si sur les bulletins de vote, on voit figurer sa femme, Eléni Zaroulia, un proche parent, Al. Kasidiaris, et l’ami de sa fille Ourania, Art. Mathaiopoulos. Après tout ce qui s’est passé (et ce qu’il risque de se passer dans l’avenir), l’ancien lieutenant de l’Aube dorée M. Kousoumbris écrit page 103 de son livre : « J’ai le courage de dire que je suis tombé dans un piège, celui du fanatique programmé, d’un chef ridicule, d’un être que la société, s’il elle avait un tant soit peu de sensibilité, aurait dû enfermer dans une cage pour le promener de ville en ville et le montrer aux gens accablés de dettes... »
Source : Le Courrier des Balkans
via: Grèce : qui sont ces néonazis qui veulent entrer au Parlement ? - [robin-woodard]
Lu sur le blog d'Anne Wolf, Les états d'Anne