Cuba à l'honneur : Nicolás Guillén
Publié le 23 Mars 2012
NICOLAS GUILLEN, Le poète humaniste du métissage
Il est né le 10 juillet 1902 à Camaguëy
Il est mort le 16 juillet 1989 à la Havane
Il était un poète afro-cubain, le grand nom de la poésie cubaine du 20e siècle.
C'était le fils d’un imprimeur, qui, une fois son Bac en poche fit des études de droit, devint avocat, puis ensuite journaliste.
Guillén s’inscrit dans le mouvement de rénovation artistique du début du XXème siècle. Poète-journaliste engagé, il a mené toute sa vie une lutte contre l’exploitation et les injustices sociales. En poursuivant un idéal révolutionnaire, il a également révolutionné la poésie en langue espagnole. Son œuvre poétique se fonde sur le questionnement de l’identité culturelle du Cubain, identité construite essentiellement à partir du métissage, mêlant l’apport culturel des Indiens Siboney habitant l’île avant l’arrivée des Espagnols, celui des esclaves noirs originaires d’Afrique de l’Ouest devenus main-d’œuvre dans les plantations de canne à sucre, et celui des Espagnols, descendants des colons qui ont introduit leur langue et leur culture sur l’île de Cuba à partir du début du XVIème siècle, époque de la colonisation. Il combattit en Espagne aux côtés des républicains, devint membre du parti communiste exerça les fonctions de directeur des archives folkloriques nationales cubaines.
Nicolás Guillén et Pablo Neruda, deux poètes qui allient un talent immense à un humanisme engagé
Son inspiration
Ses textes sont inspirés de la tradition musicale populaire afro-cubaine, empruntant leur thème à la vie et au langage des noirs et des mulâtres de La Havane. L’essentiel de sa poésie représentait un appel au respect de la personne humaine, à l’éloge du métissage entre les cultures noires et européenne.
Son œuvre, sa vie, ses engagements
- 1923 : Il fonde une revue Lirio
- 1929 : El camino de Harlem : bref manifeste dans lequel il expose avec lucidité le tableau des séparations entre les races, les préjugés et le racisme républicain.
- 1930 : Premier poème : Motivos de son (Motifs de rumba) qui sera salué comme un chef d’œuvre et largement imité
- 1931 : Songoro-cosongo, poèmes mulâtres où la question de la discrimination raciale est posée en termes polémiques.
- 1934 : West indies limited
- 1937 : Cantos para soldados y sones para turistas (chants pour les soldats et rumbas pour les touristes) : début de l’engagement politique
- 1937 : Voyages au Mexique, en Amérique du sud et en Espagne. Nicola prend part à la guerre civile espagnole aux côtés des républicains.
- 1937 : Recueil : España poema en cuatro angustias y una esperanza (Espagne, poème en quatre angoisses et une espérance). Ce recueil traduit l’admiration de Guillen pour le patrimoine espagnol et son désespoir devant sa destruction.
- 1937 : Racismo y cubanidad : avec de solides arguments, il expose les apports capitaux des noirs dans la formation des cubains, leur vie sociale et leur culture.
- 1947 : Le son tout entier : évocation de sa participation à la guerre civile espagnole et dont une « angoisse » est consacré à Federico Garcia Lorca.
- 1948 /1958 : Elegias (élégies antillaises)
- 1952 : Exil à Paris suite au coup d’état de Batista.
- 1958 : La paloma de vuelo popular (la colombe au vol populaire)
- 1959 : Retour à Cuba : il devient membre du parti communiste .
- 1961 : Elu président de l’union des écrivains et artistes de Cuba, proclamé « poète national ».
- 1964 : Tengo (j’ai)
- 1967 : El gran zoo (le grand zoo)
- 1972 : Avec ce cœur, je vis.
- 1974 : Le chant de Cuba
- 1979 : Evocation de l’histoire de Cuba : El diario que a diario.
- 1982 : Prosa de prisa : texte autobiographique
- 1982 : Soleil du dimanche, étude littéraire, En tournant la page, étude littéraire
- 1988 : En la guerra de España : portraits de ses amis républicains, Alberti, Hernandez, Machado et Bergamin.
Prose à la hâte
Guillen regroupe ses chroniques littéraires et politiques et des impressions de voyage écrites entre 1938 et 1961.
Le négrisme
Si dans le négrisme européen le Noir était considéré comme un être qui servait à divertir le Blanc, dans le négrisme antillais il n'est plus représenté comme un bouffon, ni comme un objet de dénigrement et de mépris. Mais comme une part entière dans une poésie tellurique attachée aux valeurs populaires et symboliques des Tropiques. En effet, dans la poésie antillaise, même s'il tarda a devenir un engagement social pour la défense des peuples opprimés et décrivait les aspects les plus folkloriques de la culture des Noirs, le négrisme initial était moins une mode qu'une auto-représentation du Nègre. Autrement dit, la poésie négriste prétendait revaloriser les coutumes et valeurs traditionnelles des Noirs caribéens et américains en général en évoquant leurs danses rythmiques et leur sensualité.
Chez Nicolás Guillén, c'est dans l'espace hispano-américain et insulaire notamment que se situe son négrisme, parmi d'autres négristes caribéens, comme le portoricain Luis Palés Matos et les cubains parmi lesquels José Zacarías Tallet, Ramón Guirao, Emilio Ballagas, Fernando Ortiz et Alejo Carpentier qui ont été les précurseurs en fondant un mouvement littéraire et artistique. Avec ceux-là, et avec Nicolás Guillén surtout qui aura pris les devants, le négrisme cubain aura atteint son culminant et acquis la valeur d'une vraie acculturation de l'héritage africain. Les négristes cubains ont, certes, y compris Guillén, subi des mouvements " blanc " et " noir " européens. Mais il convient de souligner que lesdits mouvements se sont introduits facilement à Cuba où la majorité du peuple est d'origine africaine. Avec Motifs de son (1930), qui s'ouvre sur un poème intitulé " Petite ode a Kid Chocolate ", puis les " poèmes mulâtres " de Sóngoro cosongo (1931), où la question de la discrimination raciale est posée en termes polémiques, Guillén, sans toutefois abandonner la thématique du folklore cubain d'origine africaine, a fait du négrisme un instrument révolutionnaire à tel point que le Noir de l'île, jusque là passif, est devenu acteur dans les œuvres poétiques et artistiques.
Deux magnifiques poèmes de cet immense poète
Peux-tu ?
Peux-tu me vendre l'air qui passe entre tes doigts
et fouette ton visage et mêle tes cheveux?
Peut-être pourrais-tu me vendre cinq pesos de vent,
ou mieux encore me vendre une tempête?
Tu me vendrais peut-être
la brise légère, la brise
(oh , non, pas toute!) qui parcourt
dans ton jardin tant de corolles,
dans ton jardin pour les oiseaux,
dix pesos de brise légère?
Le vent tournoie et passe
dans un papillon.
Il n'est à personne, à personne.
Et le ciel, peux-tu me le vendre
Le ciel qui est bleu par moments
ou bien gris en d'autres instants
une parcelle de ton ciel
que tu as acheté crois-tu, avec les arbres
de ton jardin, comme on achète le toit avec la maison?
Oui, peux-tu me vendre un dollar
de ciel, deux kilomètres de ciel,
un bout -celui que tu pourras- de ton ciel?
Le ciel est dans les nuages
Les nuages qui passent là-haut
ne sont à personne, à personne
Peux-tu me vendre la pluie, l'eau
qui t'a donné tes pleurs et te mouille la langue?
Peux-tu me vendre un dollar d'eau
de source, un nuage au ventre rond,
laineux et doux comme un agneau,
ou l'eau tombée dans la montagne,
ou l'eau des flaques
abandonnées aux chiens,
ou une lieu de mer, un lac peut-être,
cent dollars de lac?
L'eau roule et passe
Elle n'est à personne, non.
Peux-tu me vendre la terre, la nuit |
|
Ta terre est aussi bien ma terre |
Nicola Guillen
Ballade des deux ancêtres
Ombres que moi seul j'aperçois
mes deux ancêtres m'accompagnent.
Javeline d'os aigu
tambour de cuir et de bois:
mon ancêtre nègre.
Collerette autour du coularge,
grise armure guerrière:
mon ancêtre blanc.
Pieds nus, torse minéral
de mon nègre;
pupilles de vitres antartiques
de mon blanc.
Afrique de forêts humides
et de gros tambours sourds
- Je me meurs !
( Dit mon ancêtre nègre )
Caïmans des troubles marigots
Verts matins des palmeraies
- Je suis las !
( Dit mon ancêtre blanc )
Oh voiles de vent amer
gallions resplendissants d'or
- Je me meurs !
( Dit mon ancêtre nègre )
Oh rivage d'anse vierge
telle une gorge de verroteries ornée
- Je suis las !
( Dit mon ancêtre blanc )
Oh pur soleil ciselé
dans l'arc du tropique
Oh lune ronde et propre
Sur le sommeil des singes
Combien de barques, combien de barques !
Combien de nègres, combien de nègres !
Quel fulgurant éclat de cannes !
Et quel fouet, celui du négrier !
Du sang ? Du sang. Des plaintes ? Des plaintes.
Veines et yeux entr'ouverts
et vides matinées
et crépuscules de plantation
et grande voix féroce
déchiquetant le silence.
Combien de barques, combien de barques !
Combien de nègres !
Ombres que moi seul j'aperçois
mes deux ancêtres m'accompagnent.
Don federico crie
et papa Facundo se tait;
les deux rêvent dans la nuit
et marchent et marchent.
Je les rejoins.
- Federico !
- Facundo!
Les deux s'étreignent.
Ils soupirent.
Ils dressent tous deux leurs fortes têtes;
Ils sont de la même taille
sous les hautes étoiles:
tous deux à la même mesure
de l'angoisse noire,
de l'angoisse blanche,
tous deux de la même taille
ils crient et rêvent et pleurent et chantent
chantent...chantent...chantent.
NICOLAS GUILLEN
Traduction Jacques Roumain
Caroleone
Sources : africulture.com, poésie.net, wikipédia, larousse, encyclopédia universalis ,un peu partout sur le net, emmila gitana