Che au Congo, lettre de Fidel Castro à Che Guevara

Publié le 7 Février 2012

 

Au coeur du Che.......

 

 

 

 

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Extrait du prologue d’Aleida March dans le livre "Journal du Congo", pour mettre le lecteur dans le contexte :


 

(…) Alors que le Che était en plein activité combattante sur la terre du Congo, la révolution cubaine, qui avait gardé le plus longtemps possible une absolue discrétion sur les activités internationalistes auxquelles il se consacrait – en supportant stoïquement des mois durant un déluge de calomnies -, décide, alors que se forme le premier comité central du Parti, de rendre publique sa lettre d’adieu, car il était impossible de ne pas expliquer au peuple cubain et au monde entier l’absence de celui qui avait été l’un des plus solides et des plus légendaires héros de la révolution.

Dans ses notes, le Che arrive à la conclusion que la divulgation de cette lettre l’a éloigné des camarades cubains : « Il y avait certaines choses que nous ne partagions plus, certaines aspirations communes auxquelles de façon tacite ou explicite j’avais renoncé et qui sont pour tout homme ce qu’il y a de plus sacré : sa famille, son pays, son milieu ». Si tel était son état d’esprit, on imagine à quel point ce fut difficile pour le camarade Fidel d’obtenir qu’il revienne à Cuba. A plusieurs reprises, il lui écrit pour tenter de le convaincre et finit par y arriver à coups d’arguments solides.

 

 


En juin 1966, il lui adresse une lettre inédite à ce jour :

 

 

Cher Ramon,

 

Les évènements ont été plus rapides que mes projets de lettre. J’avais lu entièrement le projet de livre sur ton expérience au C*(Congo) et aussi, à nouveau, le manuel sur la guérilla, afin de pouvoir faire la meilleure analyse possible de la question, surtout compte tenu de l’intérêt pratique lié aux plans sur la terre de Carlitos (Carlos Gardel). Même s’il n’est pas opportun pour le moment que je te parle de ces questions, je voudrais te dire que le travail sur le C* m’a paru extrêmement intéressant et je crois que l’effort que tu as fait pour laisser un témoignage écrit de tout cela vaut vraiment la peine (…).

 

Sur ta situation.

 

Je viens de lire ta lettre à Bracero (Osmany Cienfuegos) et de parler longuement avec la doctoresse (Aleida march).

A l’époque où une agression paraissant imminente ici, j’ai suggéré à plusieurs camarades l’idée de te proposer de venir ; idée à laquelle en fait tout le monde avant déjà pensé. Le Gallego (Manuel Piñeiro) s’est chargé de sonder ton opinion. D’après ta lettre à Bracero, je vois que tu pensais exactement la même chose. Mais en cet instant précis, nous ne pouvons plus élaborer de plans là-dessus car, comme je te le disais, notre impression est que, pour le moment, il ne va riens se passer.

Cependant il me semble que, vu la délicate et inquiétante situation où tu te trouves là-bas (à Prague), tu dois, de toute façon, voir s’il ne conviendrait pas que tu viennes faire un tour par ici.


Je suis tout à fait conscient que tu es particulièrement réticent à envisager toute alternative qui implique un passage par Cuba, sauf dans le cas très exceptionnel que je viens de mentionner. Cependant, si on analyse de façon froide et objective, cela fait obstacle à tes projets ; et pire encore, cela les mets en péril. Je n’arrive pas à accepter l’idée que cela puisse être correct et même justifié d’un point de vue révolutionnaire. Ton séjour au fameux point intermédiaire augmente les risques ; il rend beaucoup plus difficile la réalisation des tâches pratiques ; au lieu d’accélérer, il retarde la réalisation des plans et te soumet, en plus, à une attente inutilement angoissante, incertaine, impatiente.


Et tout cela pourquoi et dans quel but ?


Aucune question de principe, d’honneur ou de morale révolutionnaire ne t’empêche d’utiliser de façon efficace et rationnelle les facilités dont tu disposes réellement ici pour atteindre tes objectifs. Utiliser les avantages objectifs que constitue le fait de pouvoir entrer et sortir d’ici, coordonner, planifier, sélectionner et entraîner des cadres, et faire depuis ici tout ce que, même en travaillant à fond, tu ne peux faire que de façon déficiente là-bas ou dans un autre endroit similaire, ne signifie aucune fraude, aucun mensonge, aucune tromperie envers le peuple cubain ou le monde. Ni aujourd’hui, ni demain, ni jamais personne ne pourra considérer cela comme une faute, et toi moins que quiconque face à ta propre conscience. Ce qui en revanche constituerait une faute grave, impardonnable, ce serait de mal faire les choses alors qu’on aurait pu bien les faire. Connaître l’échec alors que toutes les possibilités du succès sont données.


Je n’insinue pas, même de loin, un quelconque abandon ou retard des plans et je ne me laisse pas envahir par des considérations pessimistes face aux difficultés. Tout au contraire, c’est parce que je crois que les difficultés peuvent être surmontées et que nous disposons plus que jamais de l’expérience, de la conviction et des moyens pour mener à bien les plans avec succès, que je soutiens que nous devons l’usage le plus rationnel et le meilleur des connaissances, des ressources et des facilités dont nous disposons. Depuis que tu as conçu cette idée déjà ancienne de poursuivre l’action sur une autre scène, as-tu réellement pu disposer une seule fois de temps pour te consacrer entièrement à la question, pour concevoir, organiser et exécuter les plans dans toute leur potentialité ? (…)


Dans ce cas, c’est un énorme avantage pour toi que de pouvoir disposer de maisons, de fermes isolées, de montagnes, d’ilots désertiques et d’absolument tout ce qui est nécessaire pour préparer et diriger personnellement les plans, en consacrant à cela cent pour cent de ton temps, en t’appuyant sur autant de personnes que tu auras besoin, alors même que seul un nombre extrêmement limité de personnes saura où tu te trouves. Tu sais parfaitement que tu peux disposer de ces facilités, qu’il n’existe pas la moindre possibilité que, pour des raisons d’état ou de politique, tu sois confronté à des difficultés ou des interférences. Le plus difficile – la déconnexion officielle – a déjà été réussi, non sans avoir dû payer un certain prix : intrigues, calomnies etc.


Est-il juste de ne pas tirer tout le profit possible de cela ?


Un révolutionnaire a-t-il jamais disposé de conditions aussi idéales pour remplir sa mission historique à un moment où cette mission a une telle importance pour l’humanité, alors que commence le plus décisif et le plus crucial des combats pour le triomphe des peuples ? (…)


Pourquoi ne pas bien faire les choses, alors que nous avons tout pour cela ? Pourquoi ne prenons-nous pas le minimum de temps nécessaire, tout en travaillant le plus vite possible ? Marx , Engels, Lénine, Bolivar, Marti, n’ont-ils pas eux-mêmes dû attendre, et parfois des décennies ?


A cette époque n’existaient ni l’avion ni la radio ni les autres moyens qui raccourcissent les distances et augmentent le rendement de chaque heure de la vie d’un homme. Nous autres, nous avons dû attendre dix-huit mois au Mexique avant de revenir ici. Et moi, je ne te parle pas d’attendre des décennies, ni même des années mais quelques mois, car je crois qu’en quelques mois, en travaillant de la façon dont je te le suggère, tu peux te remettre en route dans des conditions extraordinairement plus favorables que celles que nous essayons d’obtenir en ce moment.


Je sais que tu vas avoir trente huit ans le 14. Crois-tu par hasard qu’un homme est déjà vieux à cet âge ?

 

J’espère que ces lignes ne provoqueront chez toi ni énervement ni souci. Je sais que si tu les analyses sérieusement, tu me donneras raison, avec l’honnêteté qui te caractérise. Mais même si tu adoptais une autre décision totalement distincte, je ne me sentirais pas trahi. Je t’écris cela avec l’affection la plus profonde, la plus grande et la plus sincère admiration pour ta lucidité et ta noble intelligence, ta conduite irréprochable et ton caractère inébranlable de révolutionnaire intègre, et le fait que tu puisses envisager les choses d’une autre façon ne changera pas d’un iota ces sentiments et n’aura aucune conséquence sur notre coopération.

 

Fidel Castro

 

 

 

 

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                   Fidel Castro, Che Guevara et la petite Aleida March, fille du Che

 

 

 

 

 

 

 


Rédigé par caroleone

Publié dans #Devoir de mémoire, #Au cœur du CHE

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