Chili: monoculture d’arbres en territoires mapuches, avec la certification FSC
Publié le 24 Mars 2011
ICRA News
Depuis 1974, les plantations industrielles d’arbres se sont étendues au Chili, en se concentrant principalement dans les régions de Bío-Bío et de l’Araucanie,
quoique présentes aussi dans les régions de Maule, Los Ríos et Los Lagos.
Le décret-loi 701, promulgué par la dictature militaire de Pinochet et toujours en vigueur, a offert des subsides de l’État aux entreprises privées comme manière d’encourager l’industrie forestière.De grandes étendues de terres et de plantations étatiques passèrent aux mains de puissants groupes économiques privés comme Matte et Angelini, et les progrès accomplis par la réforme agraire en matière de distribution de terres furent désarticulés. Sur les 10 millions d’hectares expropriés, 3 millions furent vendus à bas prix et à des conditions très favorables. Les entreprises obtinrent le financement de jusqu’à 75 % des coûts de plantation de pins et d’eucalyptus en territoire mapuche pendant 37 ans.
Depuis lors, les exportations de bois ont été une haute priorité pour les gouvernements chiliens successifs, qui ont continué à appuyer et à encourager
l’afforestation. Cette forte expansion s’est produite en portant atteinte, d’une part, aux sols agricoles et, d’autre part, au territoire historique du peuple mapuche, support matériel et
spirituel de leur existence.
Durant toute cette période les conflits territoriaux entre communautés mapuches et entreprises forestières, principalement avec Forestal Mininco et les entreprises que regroupe Bosques Arauco, ont été constants. Comme le dit Alfredo Seguel, du groupe mapuche Konapewman, “pour les organisations mapuches, le conflit avec les entreprises forestières n’est pas seulement une dispute pour des terres”. La commission forestière de coordination des organisations et des identités territoriales signale que “le conflit territorial avec les entreprises forestières est un combat pour la survie, pour les droits, la dignité, la reconnaissance et la possibilité d’un développement autonome. Pour la commission, freiner l’expansion forestière c’est, en plus, tenter d’empêcher que cette activité continue à répandre la pauvreté, à endommager l’environnement et à détériorer culturellement le peuple mapuche et de vastes secteurs sociaux”. Le solde a été une longue liste de Mapuches blessés, morts, harcelés, arrêtés, jugés et condamnés avec la plus grande rigueur par les tribunaux civils et les Procureurs militaires, y compris grâce à des lois issues de la dictature militaire et qui continuent à être appliquées, pour leur participation à des mobilisations en zones urbaines et rurales organisées dans le but de récupérer leurs terres et de freiner l’expansion des entreprises forestières.
D’un autre côté, comme le dénonce le récent Rapport national de la Surveillance forestière indépendante des bassins hydrographiques pourvoyeurs d’eau de la XIVème Région de Los Ríos, “la multiplication des cas de migration de populations rurales vers les villes est une conséquence du nouveau régime de propriété dans le secteur rural, un phénomène dont l’expansion des plantations forestières est un facteur significatif” est toujours d’actualité.
Toujours en vigueur aussi est le problème de la raréfaction croissante de l’eau dans les secteurs ruraux du centre du Chili, où “les grandes surfaces de plantations forestières et les méthodes de récolte utilisées altèrent la régularité du débit et la qualité de l’eau, de sorte que les décisions des entreprises forestières concernant les territoires où elles possèdent leur patrimoine lèse tous les habitants”, et tout spécialement le peuple mapuche qui “habite ces territoires depuis des temps immémoriaux et qui, jusqu’à l’invasion européenne, sut maintenir une relation harmonieuse avec l’eau et la terre”.
Les entreprises ne prennent pas en considération les effets qu’aura la forte consommation d’eau par les espèces à croissance rapide dans des zones où l’eau est
rare, ce qui, entre autres choses, empêche d’utiliser l’eau pour d’autres types de production. Les politiques de l’Etat qui favorisent l’afforestation ne s’en préoccupent pas non plus.
Le manque d’eau qui accompagne les plantations d’espèces exotiques à haut rendement a aggravé la situation des communautés mapuches qui, pour cette raison parmi
d’autres, en 2006 déjà, organisèrent une grande marche contre l’expansion forestière en Araucanie. L’Association Ñancuichew de Lumaco, en union avec les communautés mapuches de Lumaco, Purén, Los
Sauces, Traiguén,Vistoria et Ercilla, avaient dit alors que le manque d’eau qu’elles avaient constaté était dû “à la présence de plantations privées de pins et d’eucalyptus sur leur territoire,
entre autres problèmes”, et avaient qualifié de “terrorisme environnemental” l’action des entreprises forestières.
Récemment, le maire de la commune d’Antuco, dans la province de Bío-Bío, a rendu les monocultures de pins et d’eucalyptus responsables de l’aggravation de la sécheresse qui frappe les secteurs agricoles de la région. Le chef de la commune considère que “l’afforestation intensive est en train d’en finir avec les sources d’eau dans le monde rural, ce qui s’intensifie pendant la saison estivale dans la zone de la précordillère”.
Malgré les dommages constatés, causés par la méthode de production industrielle et intensive d’arbres, les groupes forestiers tâchent d’obtenir pour leurs plantations le “label vert” de l’organisme certificateur FSC. Lors d’un récent parcours à travers les communes de l’Araucanie (Nueva Imperial, Chol Chol, Galvarino, Traiguén, Lumaco, Los Sauces, Purén, Angol et Renaico), Claudio Donoso Hiriart, en communication directe, parle de la “dévastation et de la désolation” que laissent les plantations de pins et d’eucalyptus qui “ont pris la place de la forêt originelle et de sols agricoles d’excellente qualité, et épuisent l’eau et le sol”. Il raconte que “la commune la plus impressionnante est Lumaco, où les plantations occupent 52,5 % de la superficie de cette commune qui est la plus pauvre de la région (Mininco y est le principal propriétaire de terres)”, et que dans une plantation d’eucalyptus sur un sol apte à l’agriculture était placée une pancarte qui en indiquait la certification par le FSC.
L’entreprise forestière Forestal Mininco essaie maintenant d’obtenir du FSC la certification de ses plantations dans les régions d’El Maule, Bío-Bío, Los Ríos et
Los Lagos en Araucanie, sur une surface totale de 666 581 hectares.
En réponse, au mois de janvier dernier à Temuco, des organisations et des communautés du peuple mapuche, fédérées dans le Wallmapu Futa Trawun, une instance
autonome et auto-convoquée, intégrée par des autorités ancestrales des communautés, des dirigeants d’organisations, des militants, des jeunes et des foyers d’étudiants de divers points du
peuple-nation mapuche, se sont adressées à l’opinion publique nationale et internationale pour déclarer : “Aujourd’hui, 25 janvier, nous nous sommes réunis avec le chef de la commission
certificatrice nord-américaine (FSC) Smartwood, Monsieur Freddy Peña, qui est en train de recueillir de l’information et des antécédents pour certifier la production de bois de l’entreprise
Forestal Mininco.
Ce label est très important pour que l’entreprise puisse vendre ses produits sur des marchés vitaux pour elle, principalement ceux d’Europe, d’Asie et des
États-Unis L’entreprise doit remplir une série de conditions concernant la protection de l’environnement, le bon voisinage avec les communautés, le respect des lois, des conventions et de la
culture des peuples indigènes ; elle ne doit pas limiter, directement ou indirectement, leurs ressources et leurs droits de propriété, elle doit respecter les lieux sacrés et les savoirs
traditionnels, compenser les dégâts causés, offrir aux communautés proches des possibilités d’emploi et de formation professionnelle, respecter les lois du travail selon les conventions de
l’O.I.T., etc.
Les participants Lonko, Machi et Werken, dirigeants et militants mapuches des divers territoires, manifestons à cette commission d’enquête notre profonde préoccupation, à cause des dégâts qu’a causés ladite entreprise sur nos territoires, du génocide culturel et environnemental et de la criminalisation de nos doléances sociales qu’elle a instaurés contre notre nation, avec toute la douleur que cela a apporté à des milliers de nos familles. En même temps, nous lui avons remis un dossier d’antécédents élaboré par notre direction et par des professionnels qui rapportent tout l’impact environnemental, culturel, social, et économique, la criminalisation, les procès, les emprisonnements, les assassinats de militants qui luttent pour la revendication territoriale, toutes choses dont est responsable l’entreprise Forestal Mininco”.
Le Wallmapu Futa Trawun affirme que l’on ne doit pas accorder le certificat à “[l’]entreprise déprédatrice, Forestal Mininco”, et appelle les diverses communautés mapuches à “être vigilantes et informées des événements qui ont trait au droit propre et coutumier de notre nation mapuche, et des tentatives de ces entreprises qui détruisent notre territoire, notre Itroflimongén, et toutes les formes de vie que notre nation a défendues et dont elle a pris soin au cours des milliers d’années de notre histoire”. Les entreprises forestières essaieront peut-être d’améliorer leur manière de conduire leur affaire, mais elles n’ont pas l’intention de changer leur système d’exploitation : à grande échelle, en régime de monoculture, expansif et excluant. Ceci n’est pas certifiable et apparaît incompatible avec une politique de durabilité territoriale des communautés mapuches de l’Araucanie.
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