Bactérie tueuse : Elle n'a pas dit son dernier mot !!
Publié le 17 Juin 2011
Alerte sanitaire à Lille
A Lille, sept enfants, victimes d’une infection alimentaire, sont hospitalisés après avoir mangé des steaks hachés de la marque Lidl.
Nouvelle alerte sanitaire dans le Nord de la France. Souffrant de diarrhées sanglantes, sept enfants sont actuellement hospitalisés en réanimation pédiatrique au CHU de Lille. Trois d’entre eux sont sous dialyse. Selon une source médicale, l’un d’entre eux serait dans un état préoccupant et son pronostic vital serait engagé.
C’est une bactérie Escherichia coli qui est à l’origine de ces troubles hémolytiques et urémiques mais elle n’est en aucun cas liée à la souche qui a empoisonné des graines germées en Allemagne, d’après l’ARS du Nord/Pas-de-Calais.
La viande incriminée a été abattue en Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas, avant d’être transformée en France par la société SEB. Les magasins Lidl ont apposé des affichettes dans leurs magasins pour avertir les usagers et l’Agence régionale de santé (ARS) appelle les "personnes qui détiendraient ces produits de ne pas les consommer et de les rapporter au point de vente où ils ont été achetés".
Les autorités sanitaires françaises recommandent de bien cuire les steaks sans décongélation préalable et un numéro vert a été mis en place pour plus d’informations : 0800.802.511.
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Deux biologistes, Francis-André Wollman et Jean-François Briat, Directeurs de Recherche au CNRS, m'ont fait parvenir une
analyse de la crise sanitaire provoquée par une souche pathogène d'E. Coli. Elle a fait près de 40 morts. La nouvelle crise provoquée cette fois par des steaks
hachés en vente chez Lidl à Lille et dont la viande provenait d'Allemagne relance le débat sur la sécurité sanitaire des aliments.
Voici ce texte :
«Pendant près de deux mois, les citoyens européens ont vécu au jour le jour, par l’intermédiaire de tous les médias, l’évolution d’une épidémie de gastro-entérites qui a sévit essentiellement au nord de l’Allemagne. Son évolution vers un syndrome hémolytique et urémique touchant près de 1000 personnes, a causé la mort de 38 d’entre elles. Le 10 juin, l’origine de l’épidémie a été identifiée et l’affaire a brutalement quitté la scène médiatique. La cause de cette crise sanitaire était due à l’infection, par une souche pathogène de la bactérie E.coli, de graines germées produites par une ferme pratiquant l’agriculture biologique. L’ampleur de la dimension médiatique de cet épisode, comme sa soudaine clôture, révèle la fonction sociale préoccupante de « l’Opinion Publique ». Son impossible définition conduit à anticiper l’émotion, forcément légitime, des populations, à redouter le spectre d’une censure de la décision politique. Voilà qui compromet une bonne gestion par la puissance publique de crises sanitaires - et sans doute des crises tout court - tant la question du risque et de sa gestion raisonnée devient inaudible dans les sociétés européennes.
Imaginons le traitement médiatique et l’émotion de l’opinion publique si on avait dénombré 38 morts à l’issue d’une intoxication chimique par un mauvais usage de produits phytosanitaires ou pire encore, d’une intoxication par un produit issue d’une filière OGM…Loin de s’éteindre avec l’identification de la source de la crise sanitaire, le débat aurait probablement été relancé avec d’autant plus d’émotion, n’en doutant pas, sur la nécessité de revisiter de toute urgence nos pratiques agricoles.
A contrario, le silence sidérant consécutif à l’identification de l’infection dans la production d’une ferme biologique évoque irrésistiblement la crainte de contribuer à un débat considéré aujourd’hui comme politiquement incorrect. Dans le débat public concernant les filières de production agricole, nous avons toujours plaidé pour une approche dépassionnée et raisonnée qui prennent pour première considération, le rapport risque/bénéfice de chaque modalité de production.
A nouveau l’actualité nous offre - peut-être - la possibilité de mettre en question l’illégitimité du risque, d’entendre que le « risque 0 » n’existe pas. Elle nous permet d’affirmer à nouveau que la diversification des techniques requiert d’évaluer et d’encadrer, au cas par cas, nos choix technologiques et d’en assumer les conséquences. Il ne fait pas de doutes que l’agriculture biologique, en rompant avec les pratiques de l’agriculture intensive permet une meilleure préservation de l’eau et des sols, donc un développement de la production alimentaire plus respectueux de son environnement. Il ne fait pas de doute non plus que son moindre usage de produits phytosanitaires, le recours à des fertilisants d’origine « naturelle », comme le fumier par exemple, augmentent sensiblement la probabilité de présence de micotoxines dans les aliments ou d’infection par des agents microbiens.
Déjà en 1996, le centre de contrôle des maladies infectieuses d’Atlanta avait dénombré 2471 cas d’infection par une souche pathogène d’E coli causant 250 décès. Un tiers de ces décès étaient dus à la consommation de produits issus de l’agriculture biologique alors qu’ils ne représentaient que 1% des aliments consommés aux États-Unis. Il est donc indéniable que les mérites de l’agriculture biologique s’accompagnent inévitablement de risques alimentaires spécifiques, tout comme l’introduction de produits phytosanitaires, qui combattent ces infections, requiert leur encadrement pour diminuer autant que possible les risques d’intoxication chimique. Quant aux produits actuellement issus de la filière OGM, si aucun effet nocif sur la santé humaine ne leur a été attribué à ce jour, leur usage quasi-exclusif pour le développement de l’agriculture intensive contribue à des rendements élevés au détriment de certains équilibres environnementaux.
A chaque filière ses risques spécifiques, aux citoyens et à la puissance publique de réfléchir à la meilleure combinaison de ces filières pour en maximiser les bénéfices tout en limitant les risques propres à chacune, dans des proportions raisonnables et socialement assumées.
Un autre enseignement doit être tiré de l’analyse de cette affaire. Les autorités politiques ont fourni à l’Opinion Publique, tel un ogre impatient et insatiable, sa ration quotidienne d’informations sur la gestion de la crise. Pour rassurer les populations, les autorités allemandes ont précipitamment incriminé à tort les exportations, du sud, de concombres espagnols et les salades avant d’identifier les graines germées produites localement. Loin de donner un sentiment de sécurité vu les errements des accusations successives, cette communication a par contre ajouté à une crise sanitaire d’amplitude limitée une crise socio-économique étendue, touchant plusieurs filières de production agricole européennes qui aura coûté plus de 500 millions d’euros. Là encore, le risque alimentaire, frappé d’illégitimité, a rendu légitime la mise en danger de filières de production qui assurent des milliers emplois. Et derrière les faillites de petits exploitants, d’entreprises de transformation et d’exportation, se nouent des drames humains dont nous n’aurons que peu d’échos. Ces drames là se déroulent sur un temps plus long, atteignent leur paroxysme une fois l’épidémie éteinte, lorsque l’Opinion Publique est alimentée d’autres angoisses, nourrie d’autres scandales. Le coût socio-économique et humain de l’épidémie d’infection par la bactérie pathogène sera donc sans commune mesure avec sa dimension proprement sanitaire.
La communication « en temps réel » a gravement nuit à la gestion de cette crise. Sa nature complexe aurait requis le temps de l’expertise et la rigueur de l’analyse. La cessation de tout débat une fois l’origine de l’infection établie est paradoxale et inquiétante pour le renforcement de la maitrise de nos choix technologiques. Les citoyens européens bénéficient pourtant d’un niveau d’éducation et d’information particulièrement élevés. Ils devraient être traités par les politiques en charge du pouvoir comme des « Sujets doués de raison », acteurs à part entière de leur destin démocratique, et non pas comme une « Opinion Publique », simple chimère de communication contribuant à altérer le plein exercice des responsabilités collectives.»
Francis-André Wollman et Jean-François Briat Directeurs de Recherche au CNRS, spécialistes de Biologie et Physiologie Végétale.
Par Sylvestre Huet, le 16 juin 2011