17 avril 1961 : Cuba, le débarquement de la baie des cochons

Publié le 17 Avril 2012

 

HD-cuba-1961.jpg                                     Image piquée chez diablo d'un Humanité dimanche de 1961

 

 

 

 

 

 

J'ai choisi deux textes et un lien pour commémorer cette date importante de la révolution cubaine et cette défaite yankee qu'il convient de ne pas oublier.

 

Un premier texte d'Annie Arroyo que j'ai trouvé sur le site géré par mon camarade Xarlo : Kubako etxea.


Un deuxième texte du journaliste Hernando Calvo Ospina dans le Monde diplomatique.

 

Le lien emmènera ceux qui souhaitent approfondir leurs connaissances avec un témoignage  sur Cuba solidarity project.

 

 

 

 

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17/19 avril 1961 : Playa Giron


19 avril 2010 : un vieil homme, assis devant son bohio, mi-maison de planche, micabane

de Robinson, contemple l’horizon miroitant de la Baie des Cochons.


Il allume son cigare, en savoure quelques bouffées.


Il s’appelle Juan. Ou José. Ou Pedro. Cela importe peu.


Il n’avait pas 30 ans en 1961.


Juan – ou José, ou Pedro – se souvient.

 

Il se souvient de ces presque 72 heures entre le 17 et le 19 avril 1961 où les ennemis

de Cuba ont pris pied sur « sa » plage pour renverser la toute nouvelle Révolution.


« Tout a commencé le matin du 15 avril. J’étais en train de relever mes filets de pêche

quand j’ai vu passer au-dessus de moi une demi-douzaine de gros avions qui portaient les

couleurs de Cuba sur leur fuselage. Plus tard, on m’a dit que c’étaient des bombardiers

américains B26 qui depuis le Nicaragua venaient bombarder les bases militaires de La Havane et de Santiago. C’est le lendemain, en écoutant la radio, que j’ai appris les dégâts causés à notre aviation et que j’ai entendu Fidel déclarer que notre Révolution était socialiste et marxiste. Je ne comprenais pas trop ce que ça voulait dire, moi qui n’avais jamais été à l’école, mais j’avais confiance dans notre Comandante. Alors j’ai fait ce qu’il a dit, j’ai pris mon machete et je suis allé à la Centrale sucrière « Australia » rejoindre les miliciens du bataillon 339 de Cienfuegos qui venaient de s’y installer.


On m’a donné un fusil soviétique, et le responsable m’a expédié monter la garde près

de la plage avec quelques autres gars du village. Les services secrets russes avaient

prévenu qu’une tentative de débarquement des exilés cubains soutenus par les yanquis – les gusanos, cette vermine qui pleurait ses privilèges envolés!- allait avoir lieu.

Nous avons passé la nuit à discuter, à imaginer l’avenir de notre patrie, un avenir que

nous tenions peut-être entre nos mains. Jamais je n’avais combattu. Le fusil pesait contre mon épaule. Je savais que ce qui allait se passer aller décider de toute ma vie.


Vers 2h du matin, je somnole un peu quand mon voisin me réveille d’un coup de

coude. Sur le miroir lisse de l’eau, on aperçoit des masses sombres se profiler à l’horizon.

Toute une armada de bateaux de guerre qui se déploient entre Playa Larga et Playa Giron!

L’un de nous se précipite à la Central pour avertir les miliciens. Fidel est tout de suite informé dans son QG de La Havane. Il dit qu’il envoie des troupes immédiatement.

Le camarade revient avec des miliciens du bataillon 339 et nous transmet les

encouragements du Comandante. Les ordres sont de tenir face aux premières vagues de

débarquement jusqu’à ce que l’armée arrive.

Embusqué derrière un rocher, protection dérisoire, je sens au creux de l’estomac une

boule d’excitation et de peur mêlées. Combien de temps faudrait-il aux renforts pour parcourir les 200 km qui séparent la capitale du lieu des combats ? Combien d’entre nous ne verraient pas le soleil se coucher ? Mais j’étais prêt à mourir s’il le fallait. La liberté et la dignité humaine n’ont pas de prix. Moi, Juan, le pêcheur à la peau sombre, moi qui ne savais ni lire ni écrire, moi que les riches propriétaires ne voyaient même pas, j’étais prêt à donner ma vie pour que jamais ne revienne le temps des Batista et de leurs complices.


Des barques se sont détachées des croiseurs les plus proches. Dans le silence de la

nuit, on entendait le ronronnement des moteurs, les voix étouffées des hommes. Ils ont

débarqué à 100 mètres de moi. Alors le capitaine des miliciens a crié : « Feu ! ». Les

détonations ont déchiré le calme du petit matin. Des silhouettes sont tombées sur la plage.

L’air s’est empli d’une odeur de poudre et des cris des blessés. Comme dans un cauchemar, j’ai tiré, tiré. Je ne pensais plus, la seule idée qui emplissait mon esprit c’était d’empêcher que « les autres » avancent. Très vite, ils ont riposté. Un homme à côté de moi est tombé: c’était un voisin avec qui plus d’une fois j’avais bu un petit rhum au retour de la pêche…

Les gusanos – j’ai su plus tard qu’ils formaient la Brigade 2506 - étaient bien armés et

bien entraînés. Nos fusils et nos machetes ne pouvaient rivaliser avec leurs mitraillettes

Thompson et leurs carabines M1. Et puis nous étions une poignée contre les 1200 hommes de la Brigade et leurs alliés ! Le capitaine nous a ordonné de nous replier. La rage au coeur, nous avons obéi.

C’est alors que Fidel est arrivé à la Central Australia. Et avec lui l’armée, les tanks, les

armes lourdes. Je revois encore le Comandante sauter du haut d’un tank, avec son béret et ses lunettes à grosse monture. Il est passé près de moi, s’est arrêté un instant et m’a tapé sur l’épaule. Pas un mot n’a été échangé, nous n’en avions pas besoin. J’ai repris mon fusil et j’ai guidé les soldats vers la plage où les gusanos continuaient de débarquer, de plus en plus nombreux.


Et l’aviation cubaine est arrivée, du moins les chasseurs qui n’avaient pas été détruits,

et a abattu les six bombardiers ennemis qui venaient de lâcher des flots de parachutistes sur le front. Dans un vacarme infernal, les chasseurs ont tiré sur les barges chargées de mercenaires.

Plusieurs ont été détruites, d’autres ont fait demi tour. Deux croiseurs, le Houston et le Rio

Escondido ont été touchés, tout près de Playa Larga. Je me souviens encore de l’enthousiasme qui nous a soulevés quand le Rio Escondido a commencé à couler!

Du reste des combats, je ne garde qu’un souvenir confus fait du fracas des armes et

des cris des hommes. Les mercenaires, privés de munitions par le naufrage du Houston et du Rio Escondido, ont commencé à se replier. C’était le 19 avril. Nous n’avions pratiquement pas dormi depuis trois jours… Fidel voulait en finir avant le soir. Je ne comprenais pas très bien pourquoi, après tout nous avions la situation bien main! Ce que je ne savais pas, c’est que la Contre Révolution avait besoin d’un délai de trois jours pour pouvoir solliciter la venue depuis Miami d’un Gouvernement Provisoire qui réclamerait officiellement l’aide militaire des Etats-Unis. C’était le préalable voulu par Kennedy pour intervenir militairement. Moi, je ne le savais pas, mais Fidel,lui, le savait…


C’est pour ça qu’il est venu nous rejoindre sur la zone des combats, avec le

Commandant José Ramon Fernandez, celui qu’on appelait "Gallego", pour en finir avec les

derniers combats avant ces fatidiques 72 h! Finalement, les mercenaires se sont enfuis ou ont été faits prisonniers. Au bout du compte, nous avions perdu 178 combattants, 178 héros dont les noms figurent sur la stèle commémorative, près de ce qui est aujourd’hui un musée. J’y vais de temps en temps pour saluer mon voisin, tombé à côté de moi. Les gusanos et leurs amis ont perdu 107 des leurs, et nous avons fait 1189 prisonniers! Au bout du compte, ils auront été utiles puisque Fidel les a échangés contre des vivres et des médicaments. Tu parles d’une honte, pour eux : ne valoir qu’un sac de blé ou quelques kilos d’aspirine!! »


Le vieil homme, assis devant son bohio, sourit avec malice tout en tirant sur son

cigare.


Il s’appelle Juan. Ou José. Ou Pedro. Cela importe peu.


Ce vieil homme est Cuba.


Annie Arroyo

 

 

 


 

 

 

 

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1961, baie des Cochons
par Hernando Calvo Ospina, avril 2011

Mettre un terme à la révolution cubaine, qui vient de triompher le 1er janvier 1959 : l’objectif est très vite devenu prioritaire pour Washington. Dans son ouvrage de référence, Haynes Johnson rapporte : « Le 17 mars 1960, le président Eisenhower accorda à la Central Intelligence Agency (CIA) l’autorisation d’organiser, d’entraîner et d’équiper des réfugiés cubains pour constituer une force de guérilla anticastriste (1). » Pour cela, explique Tim Weiner, lauréat du prix Pulitzer, la CIA recrute ceux-là mêmes qui ont « renversé le gouvernement [de Jacobo Arbenz] au Guatemala (2) », en 1954.


Le 3 janvier 1961, Dwight David Eisenhower rompt les relations avec La Havane. Le 20, John Fitzgerald Kennedy le remplace à la Maison Blanche. L’un des premiers ordres qu’il donne est d’accélérer les préparatifs de l’invasion — tout en répétant publiquement qu’aucune agression ne sera lancée contre l’île des Caraïbes. Mais le projet n’est plus un secret. « L’invasion devait avoir lieu et, à Cuba, tout le monde le savait. De Fidel Castro jusqu’au plus humble guajiro [paysan] dans les champs », observe Johnson. Qui poursuit : Moscou et Pékin demandent instamment à Washington de ne pas passer à l’acte, tandis qu’« à Londres comme à Paris, à Bonn comme à Rome, une tension extraordinaire apparaît et ne cesse de monter. Le monde entier s’interroge, les yeux tournés vers Cuba ».


Le 15 avril, la CIA envoie huit avions B-26 — sur lesquels avaient été peints les insignes de l’aviation cubaine — bombarder les sites où sont parqués les appareils des Forces aériennes révolutionnaires. La moitié des trente-six avions sont détruits. Un ouvrage cosigné par M. Fidel Castro — l’un des rares à privilégier la version cubaine des faits — rapporte les instructions du commandant en chef à la population dès le lendemain :

 

« Chaque Cubain doit occuper le poste qui lui revient dans les unités militaires et les centres de travail, sans interrompre ni la production ni la campagne d’alphabétisation (3). » Le même jour, lors de l’enterrement des victimes des bombardements, le dirigeant déclare : « Voilà ce qu’ils ne peuvent nous pardonner (…), que nous ayons fait une révolution socialiste sous le nez des Etats-Unis ! » C’est la première fois qu’il associe, officiellement, la révolution cubaine au projet socialiste.


Entraînés au Guatemala et partis du Nicaragua, les membres de la brigade 2506, constituée de 1 511 hommes, commencent à débarquer à Playa Girón, le 16 avril à 23 h 45. En moins de soixante-dix heures, la brigade doit s’avouer vaincue : 1 197 brigadistes ont été faits prisonniers et 114 sont morts. Aucune tentative de soulèvement intérieur n’est observée. Weiner précise : « La CIA ne tint pas compte d’un sondage d’opinion réalisé à sa demande, et qui révélait que l’immense majorité des gens soutenait Castro. » Le chercheur Howard Jones affirme que la CIA savait que, « sans une insurrection de masse, la force d’invasion aurait besoin d’au moins cinq mille hommes pour occuper un secteur du pays (4) ».


Le 24 avril 1961, le président Kennedy reconnaît l’entière responsabilité des Etats-Unis dans l’invasion ratée. Victorieux, M. Fidel Castro déclare : « L’impérialisme yankee vient de subir en Amérique latine sa première grande défaite ! ». William Colby, directeur de la CIA de 1973 à 1976, rapporte que, suite à « l’humiliation » infligée, Kennedy « s’avoua tenté, dans sa colère, “de répandre les cendres de la CIA aux quatre vents” (5) ». Avec la livraison par Washington à Cuba de 53 millions de dollars en aliments et médicaments, le 22 décembre 1962, les prisonniers recouvrent la liberté. Le 29, au cours d’une cérémonie à Miami, ils remettent à Kennedy le drapeau de la brigade. « Je vous assure, déclare solennellement le président, que ce drapeau vous sera rendu dans une Havane libre. »

Quinze ans plus tard, l’association des anciens brigadistes demandait au musée Kennedy qu’il leur soit rendu, pour promesse non tenue. C’est par la poste qu’il leur fut envoyé.


Hernando Calvo Ospina

 

 

 

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Journaliste. Auteur de Sur un air de Cuba, Le Temps des cerises, Pantin, 2005, de Rhum Bacardi. CIA, Cuba et mondialisation, EPO, Bruxelles, 2000, et de Colombie. Derrière le rideau de fumée. Histoire du terrorisme d’Etat, Le Temps des cerises, Pantin, 2008.

(1) Haynes Johnson, La Baie des Cochons. L’invasion manquée de Cuba, Robert Laffont, Paris, 1965, 390 pages.

(2) Tim Weiner, Des cendres en héritage. L’histoire de la CIA, Editions de Fallois, Paris, 2009, 543 pages, 23 euros.

(3) Fidel Castro et José Ramón Fernández, Playa Girón. Bay of Pigs. Washington’s First Military Defeat in the Americas, Pathfinder, New York, 2007, 314 pages, 22 dollars.

(4) Howard Jones, The Bay of Pigs, Oxford University Press, New York, 2010, 238 pages, 12,23 euros.

(5) William Colby, Trente Ans de CIA, Presses de la Renaissance, Paris, 1978, 390 pages.

 

 


Rédigé par caroleone

Publié dans #ABYA YALA, #Cuba

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R
<br /> Merde, j'ai loupé la date, mais ton article me va très bien.<br /> <br /> <br /> Amitiés Roger.<br />
C
<br /> <br /> Bonjour Roger,<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> J'y pense depuis plus d'un mois mais j'aurais pu passer à côté aussi. J'avais mis ces articles dans mon marque(ta)page parce que je ne me sentais pas le courage de faire quelque chose.<br /> <br /> <br /> Le 17 avril, c'est aussi le jour des capitulations de Santa Fé : en 1492 (520 ans!)<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Amitiés<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> caro<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br />