Art mural au Chili : Les brigades à l’action
Publié le 19 Juillet 2013
Pendant les trois années du gouvernement de l’Unité populaire du Chili (1970/1973) se développe l’éclosion de formes de créations artistiques dont fait partie l’art mural.
Déjà en son temps en 1915, Emilio Recabarren popularise le théâtre et d’autres expressions culturelles parmi les travailleurs. Il émancipe les classes populaires, leur ouvre les voies des connaissances.
Durant le gouvernement du Front populaire en 1938-1940, les arts plastiques en particulier se développent et sont novateurs. Le courant de la peinture murale mexicaine n’y est pas étranger, l’évolution sociale et politique développent alors cette prise de conscience également chez les écrivains et les artistes.
En 1949 paraît Le chant général de Pablo Neruda. Cette œuvre qui paraît tout d’abord clandestinement sous le gouvernement répressif de Gonzalez Videla connaît un impact important sur les nouvelles générations d’artistes qui travaillent au développement culturel du Chili.
A partir de 1958, pendant la campagne électorale à laquelle la gauche soutenait Salvador Allende, les premières peintures collectives et anonymes commencent à fleurir sur les murs. Ce sont les œuvres d’ouvriers et d’étudiants.
A partir de 1960 des expositions individuelles, des travaux collectifs ont pour thème le Vietnam, la paix, la discrimination raciale aux USA, toutes prises de conscience de la part des peintres, sculpteurs, graveurs. Ces artistes se mobilisent politiquement pour le candidat de la gauche.
Brigada Ramona Parra
En 1968 naît la brigade Ramona Parra qui rassemble des étudiants et des ouvriers rassemblés autour du soutien au Vietnam. La BRP, le nom donné à cette brigade muraliste du parti communiste chilien (PCC) porte le nom de Ramona Parra donné en l’honneur d’un jeune militant du parti tué lors d’une manifestation dans la plaza Bulnes (Santiago) le 28 janvier 1946. La brigade est créée suite à une résolution du VIe congrès de la jeunesse communiste chilienne (JJCC).
La brigade est très active en 1969 pendant le gouvernement de Frei et couvre le pays d’inscriptions aux grands lettes bien structurés.
Les groupes sont constitués de 15 à 20 personnes qui réunissent des milliers d’étudiants et d’ouvriers qui sont régulièrement attaqués pendant leur travail par des bandes fascistes.
Ils devaient composer leurs « raycolos murales » (peinture murale) pendant la nuit ou à l’aube en dehors de leurs heures d’étude ou de travail.
Au sein de la brigade, il y avait des « traceurs » chargés du contour des lettres et des « remplisseurs » chargés de colorier l’intérieur ; chaque brigadiste ayant sa couleur. Deux traceurs se plaçaient aux extrémités du mur choisi pour peindre de l’extérieur vers l’intérieur. Les premières lettres étant tracées, le remplissage commençait. Sur un mur de deux mètres de haut et de trente mètres de long la BRP écrivit un jour « Avec Allende nous vaincrons ». L’opération prit deux minutes et demie.
Les premières fresques sont nées dans le projet de Pablo Neruda, candidat à la présidentielle de l’Unité populaire et elles seront propagées par la suite quand Salvador Allende sera élu en 1970.
Au début les critères n’étaient pas esthétiques, c’était indispensable de délivrer un message aux passants ordinaires, les interpeller.
Les premières peintures murales sont peintes dans des lieux stratégiques et précis, communes emblématiques et marginales. Les graphismes s’inspirent d’une iconographie qui inclut des éléments clés tels le poing, l’étoile, l’oiseau et les travailleurs.
En 1969 a lieu une exposition –spectacle à la faculté des beaux arts et à l’institut d’arts latino-américains intitulée « Amérique, je n’invoque pas ton nom en vain » tiré d’un vers de Neruda, Que s’éveille le bûcheron : arts plastiques, musique, poésie, folklore, danse se rassemblent sous le signe de Neruda au musée d’art contemporain de Santiago. La presse dite « sérieuse » attaque violemment cette manifestation culturelle la qualifiant de « négation de l’art ». Mais le public, lui, s’y rendit nombreux
« Au peuple l’art, avec Allende »
Par cette formule est désignée l’expérience que les écrivains et musiciens, folkloristes mènent pendant trois semaines en s’inspirant de la phase finale de la campagne pour la présidence de la république en août 1970. Dans le parque forestal de Santiago, sous une tente de cirque en opposition aux galeries des musées, a lieu comme un marathon culturel. Les peintres exécutent des milliers de sérigraphies qui sont exposées dans cent ville et bourgades le long du Chili.
Après la victoire d’Allende en 1970, les grandes lettres cèdent le pas aux images colorées qui célèbrent la victoire, illustrent le programme de l’Unité populaire.
« Comme le pain, l’art et la culture sont un droit pour chaque être humain »
Selon le manifeste des artistes et des écrivains qui se proposent aussi « de lutter en accord avec le peuple pour une culture démocratique populaire et nationale ».
Le train de la culture
C’est le premier projet mené à bien au début de 1971. Le train parcourt le nord, le centre et le sud du pays en transportant diverses expressions artistiques : théâtre, arts plastiques, musique, folklore etc….
Il s’arrête dans les villes et propose des spectacles sur place, dans les rues, les théâtres, les salles des syndicats.
" Les 40 mesures du gouvernement populaire"
C’est une exposition organisée à Santiago au musée d’art contemporain. L’expo est associée à « L’image de l’homme » réalisée par les peintres, sculpteurs et poètes.
Musée de la solidarité
Les artistes du monde entier expriment leur soutien et leur admiration au gouvernement du président Allende et à l’effort économique et culturel qu’il met en place. Environ 1000 œuvres, dessins, toiles, gravures, sculptures arrivent au Chili pour composer le musée d’art contemporain. Le plus important de toute l’Amérique latine. Un cas unique dans l’histoire de l’art. On y trouve alors des œuvres de Picasso, Miro, Calder, Siqueiros, Moore, Tapies Frank Stella, Pignon, Vasarely etc….
Roberto Matta et des autorités lors du vernissage de la peinture murale "Le 1er but du peuple chilien" qu'il réalisa avec la brigada Ramona Parra. photo zig zag
En 1971, le peintre Roberto et la brigade Ramona Parra peignent une fresque appelée « Le premier but du peuple chilien « dans l’ancienne piscine municipale du district de la Granja.
Ce murale est haut de 25 mètres et long de 4 mètres.
Il sera recouvert de peinture après le coup d’état du 11 septembre 1973 et redécouvert en 2005 par des étudiants en thèse à l’université du Chili. Il a été restauré et présenté au public en septembre 2008.
En 1972 :
- naissance de la brigade Elmo Catalan, la brigade intiperodo
- Création d’une fresque de 500 mètres de long et 7 mètres de haut à l’occasion du 50e anniversaire du parti communiste chilien. Cette fresque est réalisée par la brigade Ramona Parra et comprend des vers de Pablo Neruda intégrés aux images. Plus de 200 peintres, ouvriers et étudiants y participent. Elle devient le symbole profond entre les artistes et le peuple.
« L’offensive culturelle antifasciste »
Elle dénonce la montée imminente du fascisme et se déroule dans tout le Chili, impliquant tous les artistes engagés. Victor Jara chante devant des multitudes. Ce sera la dernière manifestation à laquelle le peuple et ses créateurs assisteront.
La culture et l’art subissent les persécutions des fascistes depuis le 11 septembre : professeurs et élèves chassés des universités, peintres et sculpteurs persécutés et jetés dans des camps de concentration, livres brûlés, tableaux détruits, peintures murales effacées des rues et des chemins du pays, créateurs sans travail, d’autres en exil…..
Le musée de la solidarité : disparu
Le musée d’art contemporain : il s’est transformé en enceinte militaire
Pourtant en novembre 1973 naît à Paris la brigade de peinture Luis Corvalan. Elle se propose de poursuivre en exil le combat pour la liberté.
Elle peindra des tableaux muraux en France, Italie, Hollande, Allemagne.
D’autres brigades murales naissent en Europe :
- Brigade Unidos venceremos
- Brigade Salvador Allende (France)
- Brigade Pablo Neruda (Italie)
- Brigade Victor Jara (RFA)
Pourtant en Europe, l’expression culturelle chilienne est présente. Au Chili, malgré les difficultés, les artistes poursuivent leur travail : dans les camps de concentration des œuvres artisanales, des gravures sont créées et elles attendront d’être un jour révélées.
Sources : La patrie s’emplit de couleurs de José Balmes (revue europe octobre 76), wikipédia
Victor Jara - Luchin (Murales Brigada Ramona Parra)
Luchín de Victor Jara Integrantes Daniel Soto Nixie Estay Patricia Holmqvist