Brésil : En partenariat avec les indigènes Waimiri Atroari, un projet construit des ponts en Amazonie pour sauver les primates
Publié le 25 Juin 2024
par Suzana Camargo le 18 juin 2024 |
- Le projet Reconecta s'est associé au peuple Waimiri-Atroari pour construire des ponts qui relient la canopée de la forêt au-dessus de l'autoroute BR-174, qui traverse les États d'Amazonas et de Roraima.
- Le Brésil possède le quatrième réseau routier du monde, alors que 40 % des espèces de primates sont menacées d'extinction ; l'une des principales causes de mortalité est l'écrasement sur des routes telles que la BR-174.
- La créatrice du projet est la biologiste Fernanda Abra, qui a récemment remporté les Whitley Awards, considérés comme les "Oscars de la conservation de la nature".
"Weri, arrête-toi ici ! Nous avons besoin d'un pont ici. Tu vois les fruits sur cet arbre ? Le meky l'adore. Quand il y a ce fruit, il traverse souvent la route... Weri, arrête-toi encore ici ! Le kixiri se fait souvent écraser. Nous avons besoin d'un pont ici".
Weri, dans la langue du peuple indigène Waimiri-Atroari, signifie femme. Meky est le sapajou et kixiri, le tamarin aux mains rousses.
La conversation ci-dessus, qui mêle les termes iara kinja au portugais, s'est déroulée fin 2021. La biologiste Fernanda Abra roule sur l'autoroute BR-174, qui traverse la forêt amazonienne entre les États d'Amazonas et de Roraima. À ses côtés, trois leaders indigènes lui indiquaient les meilleurs endroits pour installer les ponts artificiels qui relieraient la canopée des arbres et permettraient aux mammifères arboricoles de traverser la route sans se faire écraser.
"Ce fut l'un des plus beaux jours de ma vie. C'était une mine de connaissances et un apprentissage merveilleux", se souvient Fernanda. "Les communautés traditionnelles savent exactement ce qu'il faut faire pour protéger les forêts.
Un tronçon de l'autoroute BR-174 qui traverse la terre indigène Waimiri-Atroari en Amazonas. Avec l'aimable autorisation du Smithsonian's National Zoo and Conservation Biology Institute.
Village Waimiri-Atroari. Avec l'aimable autorisation du Smithsonian's National Zoo and Conservation Biology Institute.
L'identification des meilleurs endroits pour placer les ponts a été l'une des parties les plus importantes de la mise en œuvre du projet Reconnecta. L'objectif principal de cette initiative, créée par Fernanda, était d'étudier les modèles de passage de la faune les plus appropriés pour ces animaux, petits ou grands, qui passent la majeure partie de leur vie à la cime des arbres et qui, avec la construction d'autoroutes, se sont retrouvés isolés dans des habitats fragmentés.
Le Brésil est confronté à un grave dilemme environnemental. Le pays possède le quatrième plus grand réseau routier du monde, tandis que 40 % de ses espèces de primates sont menacées d'extinction, certaines d'entre elles étant endémiques, c'est-à-dire qu'elles n'existent qu'ici et nulle part ailleurs sur la planète. On estime que 9 millions de mammifères sont écrasés chaque année sur les routes brésiliennes.
Fernanda a accumulé des décennies de travail dans ce domaine.
Elle est spécialisée dans la gestion de la faune sauvage, en particulier sur les routes et les voies ferrées. Chercheuse post-doctorale au Smithsonian's National Zoo and Conservation Biology Institute (USA) et chercheuse associée à l'Institute for Ecological Research (IPÊ), c'est en recevant un prix international, le Future for Nature Awards, en 2019, que la Brésilienne s'est fixé pour objectif de créer une solution simple et peu coûteuse pour réduire le nombre de personnes écrasées par la faune.
"Je me suis juré de ne plus me contenter d'étudier l'impact des routes et du trafic, mais de sauver autant d'animaux que possible en mettant en œuvre des mesures d'atténuation", explique-t-elle.
Jusqu'alors, la biologiste avait surtout travaillé sur des projets visant à prévenir la mortalité des espèces terrestres sur les routes ; le défi consistait désormais à se concentrer sur les espèces arboricoles, car le Brésil possède la plus grande diversité mondiale de primates qui se déplacent dans les arbres.
Saïmiri commun (Saimiri sciureus). Photo reproduite avec l'aimable autorisation du Smithsonian's National Zoo and Conservation Biology Institute.
Fernanda Abra (à gauche) examine un animal renversé par une voiture sur l'autoroute BR-174, sur le tronçon qui traverse le territoire de Waimiri-Atroari. Photo reproduite avec l'aimable autorisation du Smithsonian's National Zoo and Conservation Biology Institute.
Le partenariat fondamental avec les Waimiri-Atroari
Lorsqu'elle a commencé à planifier Reconecta, Fernanda avait en tête trois zones pour l'installation des ponts de canopée, sur des autoroutes qui devaient comporter de grands fragments de forêt de part et d'autre. La recherche a été difficile, car à sa grande surprise, même en Amazonie, il était presque impossible de trouver des routes avec des fragments encore intacts.
Parmi les trois routes définies figurait un tronçon de 125 km de la BR-174, qui traverse une partie des 2,3 millions d'hectares de terres habitées par les Waimiri-Atroari, une région considérée comme l'une des mieux préservées du biome, principalement en raison de la gouvernance exemplaire de son territoire (ce peuple a subi un génocide historique pendant la dictature militaire, à une époque d'expansion dans le nord du pays, et 2 650 d'entre eux ont été tués).
Malgré sa grande expérience dans la construction de passages pour la faune, la biologiste n'avait jamais travaillé en Amazonie auparavant, mais elle a vite compris pourquoi la BR-174 était l'endroit idéal pour ce projet.
"Cela fait près de 30 ans que les Waimiri-Atroari veulent établir des ponts artificiels sur cette route", explique-t-elle. "Leurs efforts sont tellement importants et puissants que, grâce à leur intervention auprès du Département national des infrastructures de transport (DNIT) et de l'Université fédérale d'Amazonas (UFAM) pour l'élagage de la BR-174, il y a près de 30 ponts de connexion avec la forêt naturelle au-dessus de l'autoroute.
Les Indiens Waimiri-Atroari tissent l'un des ponts qui relieront la canopée de la forêt à l'autoroute. Avec l'aimable autorisation du Smithsonian's National Zoo and Conservation Biology Institute.
Fernanda Abra et des indigènes Waimiri-Atroari observent l'un des 30 ponts installés par le projet Reconnecta au-dessus de l'autoroute BR-174. Avec l'aimable autorisation du Smithsonian's National Zoo and Conservation Biology Institute.
En 2022, une fois les emplacements déterminés et les ponts artificiels prêts, fabriqués avec l'aide des indigènes, Reconecta en a installé 30, d'environ 7 mètres de haut - en fait, 15 paires, chacune avec un modèle différent pour que l'on puisse comprendre lequel les singes utiliseraient le plus.
Dans chacun d'eux, il y a deux pièges à caméra, l'un dirigé vers le pont, qui enregistre les animaux qui l'utilisent, et l'autre avec la caméra vers la forêt pour observer les animaux qui y arrivent et qui renoncent à utiliser le pont.
"De cette façon, nous pouvons comprendre les taux d'acceptation et de rejet de nos ponts de canopée", explique Fernanda.
Grâce aux images des caméras, il est déjà possible de se réjouir des bons résultats obtenus. Au cours des dix premiers mois de surveillance, huit espèces différentes ont été recensées - non seulement des singes, comme le tamarin aux mains rousses (Saguinus midas) et le saïmiri commun (Saimiri sciureus), mais aussi des kinkajous (Potos flavus), des cuícas (Marmosops sp.) et des opossums (Didelphis sp.).
Les vidéos ont également permis de montrer que les mammifères arboricoles de la région préfèrent le modèle de pont qui ne comporte qu'une seule corde épaisse tissée sur un câble d'acier.
Pour les Waimiri-Atroari, la protection de la faune de la forêt est essentielle à leur mode de vie. En particulier le tamarin aux mains rousses, ou kixiri.
"Notre histoire raconte que Mauá (le Dieu du peuple Waimiri-Atroari) a créé le kixiri. C'est pourquoi nous n'aimons pas les voir mourir sur la route. Mauá a laissé les kixiri libres, pour qu'ils vivent et enseignent. Il doivent être vivantd", souligne le chef indigène Sawa Aldo Waimiri.
Un agouti traversant la BR-174 sur le territoire Waimiri-Atroari. Avec l'aimable autorisation du Smithsonian's National Zoo and Conservation Biology Institute.
Un indigène Waimiri-Atroari tressant un pont pour le passage des animaux arboricoles. Avec l'aimable autorisation du Smithsonian's National Zoo and Conservation Biology Institute.
Reconnaissance internationale avec les Whitley awards
Reconecta est un projet multidisciplinaire. En plus de la sagesse indigène et de la science biologique, d'autres connaissances ont été nécessaires pour mettre en place les ponts, explique Fernanda. "Nous avons dû apprendre beaucoup de choses sur le génie civil, l'ingénierie des matériaux, l'architecture et la réglementation routière pour finalement créer une solution adaptée à cet environnement, respectueuse de la législation et, surtout, reproductible."
Début mai, la réussite du projet Amazonie a reçu une importante reconnaissance internationale. La biologiste fait partie des six lauréats de l'édition 2024 des Whitley awards, décernés il y a 30 ans par l'organisation britannique Whitley Fund for Nature (WFN) et considérés comme les "Oscars de la conservation de la nature".
La Brésilienne tient toutefois à souligner que Reconecta est le fruit d'un effort commun, avec le partenariat de divers organismes et institutions, tels que le DNIT, l'Institut national de l'environnement et des ressources naturelles (Ibama), l'IPÊ, l'UFAM et la Smithsonian Institution. Mais les Waimiri-Atroari sont au cœur du projet. À tel point qu'elle laissera le trophée qu'elle a reçu à la communauté amazonienne.
"Nous devons poursuivre ce projet ; sans les passerelles, les animaux meurent beaucoup. Avant, ce n'était pas comme ça, il y avait beaucoup d'animaux", explique Mario Paruwe, chef des Waimiri-Atroari. "Mais avec les passerelles, nous avons vu des singes-araignées, des singes capucins passer d'un côté à l'autre de la forêt.
La biologiste Fernanda Abra. Avec l'aimable autorisation du Smithsonian's National Zoo and Conservation Biology Institute.
Pont pour le passage des animaux sur la terre indigène de Waimiri-Atroari, installé par le projet Reconnecta. Avec l'aimable autorisation du Smithsonian's National Zoo and Conservation Biology Institute.
Dans les mois à venir, Reconecta sera testé dans d'autres États et même à l'étranger, au Suriname. Au Brésil, des tronçons de l'autoroute BR-262 dans le Mato Grosso do Sul seront équipés de passages pour la faune, et à Alta Floresta (MT), cinq ponts artificiels seront également placés dans des rues et des avenues.
La municipalité n'a pas été choisie par hasard. Huit espèces de primates vivent dans ses forêts, dont cinq sont menacées d'extinction, l'une des principales menaces étant les collisions avec les véhicules. L'une de ces espèces est le zogue-zogue (Plecturocebus grovesi), décrit il y a seulement cinq ans.
Sur la BR-319, l'autoroute reliant Porto Velho (RO) à Manaus (AM), la DNIT prévoit d'installer près de 100 passerelles.
"Quarante pour cent des primates brésiliens sont menacés ! Atténuer l'impact des autoroutes sur ce groupe revient donc à mettre un terme à l'extinction de ces animaux", estime la biologiste. "Rendre les infrastructures de transport plus durables pour la faune est un allié de taille dans la lutte contre la crise de la biodiversité et la disparition des espèces.
Image de couverture : tamarin aux mains rousses (Saguinus midas). Photo : Matthias Appel (CC0 1.0)
traduction caro d'un reportage de Mongabay latam du 18/06/2024
Em parceria com indígenas, projeto constrói pontes na Amazônia para salvar primatas
"Weri, para aqui! Aqui precisa ponte. Tá vendo aquela fruta naquela árvore? O meky ama. Quando tem essa fruta, ele cruza muito a rodovia... Weri, para aqui de novo! Tem muito atropelamento do ...