Rapport d'information en conclusion des travaux de la mission d’information relative au financement public de l’enseignement privé sous contrat
Publié le 6 Avril 2024
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION
en conclusion des travaux de la mission d’information
relative au financement public de l’enseignement privé sous contrat
ET PRÉSENTÉ PAR
MM. Paul VANNIER et Christopher WEISSBERG,
Députés.
INTRODUCTION
Depuis 1959 et l’adoption de la loi dite Debré, des établissements d’enseignement qualifiés de « privés » peuvent, s’ils répondent à un besoin scolaire reconnu, conclure avec l’État un contrat par lequel ils s’associent au service public de l’éducation. En contrepartie de la rémunération de leurs enseignants et de la prise en charge de leurs frais de fonctionnement, ils s’engagent à dispenser un enseignement conforme aux programmes de l’enseignement public et à garantir la liberté de conscience et l’égal accès de tous les élèves, sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyances.
Les établissements d’enseignement privés sous contrat avec l’État scolarisaient, à la rentrée 2022, plus de deux millions d’élèves, soit près de 17 % des effectifs totaux des élèves en France – 13,4 % des élèves du premier degré et 21 % des élèves du second degré – au sein de 7 500 établissements. Si le réseau des établissements catholiques regroupe la très grande majorité des élèves et des établissements privés sous contrat (près de 96 % des élèves), il cohabite avec un grand nombre d’autres réseaux : les établissements laïques (35 000 élèves), les établissements juifs (25 000 élèves), les établissements d’enseignement en langue régionale (15 000 élèves), les établissements protestants (3 000 élèves) et les établissements musulmans (1 300 élèves).
Alors même que l’article L. 151-3 du code de l’éducation dispose que « les établissements publics sont fondés et entretenus par l’État, les régions, les départements ou les communes. Les établissements privés sont fondés et entretenus par des particuliers ou des associations », la réalité est tout autre.
Les établissements d’enseignement privés du premier et du second degré ont ainsi perçu, en 2022, environ 13,8 milliards d’euros, dont environ 10,4 milliards d’euros d’argent public (8,5 milliards d’euros de l’État et 1,9 milliard d’euros des différents échelons de collectivités territoriales), complétés par 3,3 milliards d’euros de contributions des familles et 159 millions d’euros versés par des entreprises ([1]). Ces financements, en partie en raison de l’application d’une règle de parité avec l’évolution des dépenses pour l’enseignement public, sont en forte hausse : le seul programme 139 de la mission budgétaire Enseignement scolaire, par lequel l’État finance les établissements d’enseignement privés, s’élève pour l’année 2024 à plus de 9 milliards d’euros. La part du financement public des établissements privés – environ 75 % – ne représente pas, en elle-même, une spécificité française. En revanche, un financement public élevé, comme en Belgique par exemple, est généralement associé à davantage de contreparties imposées aux établissements.
Les familles qui ont recours à de tels établissements – environ une famille sur deux scolarise au moins l’un de ses enfants dans un établissement privé, pour au moins une partie de son parcours scolaire ([2]) – avancent comme premières motivations, loin devant le caractère confessionnel, la réputation de l’établissement, la discipline et l’encadrement qu’il promet (notamment, selon M. Weissberg, la capacité à remplacer plus efficacement les enseignants absents ainsi que la moindre participation aux mouvements de grève, qui pénalisent les familles), les résultats qu’il affiche ou encore la sécurité qu’il garantirait. Les enseignants qui s’y engagent soulignent, pour leur part, l’importance de la question de l’affectation, les enseignants des établissements privés n’étant pas soumis aux règles de mobilité académique ou nationale qui s’imposent aux enseignants des établissements publics du premier et du second degré.
Les établissements d’enseignement privés sont implantés sur le territoire de manière très hétérogène : certains départements, comme la Vendée, comptent plus de 50 % d’établissements privés quand d’autres, comme la Creuse, en comptent moins de 5 %. Ils présentent également une grande diversité en leur sein : loin d’être réductibles aux seuls établissements parisiens élitistes, ils comptent ainsi parmi eux un grand nombre de petites structures, parfois rurales, au sein desquelles la mixité sociale est importante. L’approche doit donc nécessairement être nuancée en fonction des territoires, des réseaux ou des établissements, bien que des tendances générales se dégagent, s’agissant en particulier de la faiblesse des contrôles exercés sur les établissements ou du recul de la mixité sociale et scolaire voire, pour M. Vannier, de l’aggravation de la ségrégation socio-scolaire ces vingt dernières années.
Quarante ans après, le cycle ouvert par le projet de loi dit Savary et les mobilisations qu’il a suscitées semble se clore. Pendant cette période, peu d’attention a été portée à cette question, sans doute parce que la dualité du système scolaire semble un sujet si sensible que personne n’a osé prendre le risque de rouvrir un débat souvent caricaturé comme pouvant conduire à une « guerre scolaire », alors qu’un équilibre fragile paraît avoir été trouvé depuis 1984. Un haut fonctionnaire entendu par les rapporteurs évoquait ainsi une « culture de l’évitement », jointe à d’objectives difficultés de ressources humaines pour assurer un contrôle effectif des établissements privés sous contrat.
Le sujet présente cependant aujourd’hui une acuité particulière qui n’est pas propre à la France : l’OCDE évoquait ainsi la pertinence de ce sujet dans un grand nombre d’États où les questions de mixité sociale, d’affectation, ou encore de relations entre le public et le privé sont de plus en plus débattues. Il s’inscrit toutefois, pour notre pays, dans un contexte très spécifique. Si la liberté de l’enseignement que garantit la Constitution n’est pas remise en cause, et si, pour certains, les établissements privés contribuent au service public de l’éducation et à l’offre de formation (notamment en langue régionale ou pour poursuivre un projet éducatif particulier), il s’agit d’un domaine extrêmement sensible, qui met en tension l’ensemble des intérêts particuliers avec l’intérêt général. Les récentes affaires relayées par les médias, évoquant les dérives rencontrées dans certains établissements privés ou la polémique suscitée par la scolarisation des enfants de la précédente ministre de l’Éducation nationale dans ces mêmes établissements privés en témoignent.
Ce « kaïros », cette opportunité, doit être saisie pour étudier de près le fonctionnement des établissements privés, de manière objective et rigoureuse. Sans chercher à faire table rase de l’existant – qui, en outre, pour M. Weissberg, fonctionne parfois de manière satisfaisante – il s’agit de garantir un cadre juridique et financier qui permette d’assurer le respect des règles qui s’imposent au service public de l’éducation, dans l’intérêt de l’ensemble des élèves et du pays.
À cet égard, les rapporteurs de la mission se sont donné un triple objectif :
– mesurer le montant total de l’ensemble des financements publics alloués aux établissements d’enseignement ;
– évaluer la fréquence et la qualité des contrôles, tant pédagogiques que budgétaires, réalisés sur ces établissements privés ;
– estimer la participation réelle de ces établissements au service public de l’éducation, en matière de mixité sociale et scolaire, d’accompagnement des élèves vers la réussite, de déploiement des politiques publiques nationales ou encore de prise en compte des droits des élèves.
Les rapporteurs ont choisi de centrer leur étude sur les établissements sous contrat d’association avec l’État, les établissements disposant d’un contrat simple étant résiduels. Le champ de l’enseignement supérieur a, par ailleurs, été écarté du périmètre de la mission. Enfin, l’enseignement hors contrat (qui représente moins de 1 % des élèves) n’a pas davantage été étudié, mais nécessiterait sans doute une mission spécifique, tant les enjeux de financement et de contrôle y sont également prégnants.
Les rapporteurs ont, au cours des six mois de leur mission, entendu les représentants de près de 60 organismes lors de 43 auditions : administrations centrales et déconcentrées, réseaux d’établissements, enseignants, chefs d’établissements, parents d’élèves, sociologues, collectivités territoriales, avocats, cercles de réflexion, etc. Ils ont également effectué deux déplacements, à Rennes d’une part, et à Marseille d’autre part. Ils se font le relais de ce qu’ils ont entendu au cours de ces échanges, et rappellent qu’il ne leur a pas été systématiquement possible de vérifier l’ensemble des allégations avancées ni d’en mesurer la portée.
Il résulte de leur étude que, malgré les sommes en jeu, aucune administration ou institution n’est en mesure de fournir un montant consolidé de la dépense allouée aux établissements privés. Cette dépense, dont l’allocation est peu transparente, sans cadre légal systématiquement défini et éminemment politique, est en outre très nettement sous-estimée compte tenu de mécanismes de financements indirects.
La mission conclut également que la fréquence et la profondeur des contrôles réalisés sur les établissements privés sous contrat sont très largement insuffisantes au regard des enjeux que ceux-ci présentent en matière de finances publiques mais aussi s’agissant de la qualité d’enseignement ou du respect des valeurs de la République. De nombreux détournements ou dérives ont été portés à la connaissance des rapporteurs, qui, bien qu’il soit difficile de mesurer la part qu’ils représentent, appellent une réaction rapide et ferme de l’État.
Enfin, les rapporteurs estiment que les contreparties exigées des établissements privés sont également loin d’être à la hauteur des financements qu’ils perçoivent au titre de leur association au service public de l’éducation, comme en témoignent la dégradation de la mixité sociale et scolaire, ou encore leur faible participation à la mise en œuvre de certaines politiques publiques.
Les rapporteurs formulent 55 propositions – certaines communes aux deux rapporteurs, d’autres pouvant diverger selon leurs appréciations respectives – pour répondre à ces différents enjeux et garantir le plein respect par les établissements privés des obligations qui résultent du contrat qu’ils ont conclu avec l’État.
Prendre connaissance de ce rapport :
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