Brésil : Au-delà du "pas d'amnistie", le MST et le MTST affirment que la lutte contre le fascisme nécessite une mobilisation permanente

Publié le 12 Janvier 2023

Pour les mouvements, cette droite doit être stoppée par une organisation populaire et la responsabilité d'actes comme celui du 8.

Gabriela Moncau
Brasil de Fato | São Paulo (SP) | 11 janvier 2023 à 06:26

Organisés par des mouvements sociaux, des syndicats et des partis, des actes de défense de la démocratie ont eu lieu dans tout le Brésil lundi (9) - Jorge Leão

Une démonstration de force dans les rues, une vigilance et une auto-organisation permanente ancrée dans la société. Pour deux des plus grands mouvements populaires du pays, le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST) et le Mouvement des travailleurs sans abri (MTST), ces prémisses seront nécessaires pour combattre l'extrême droite brésilienne, dont les idées sont répandues dans une partie importante du tissu social.  

Si la défaite de Bolsonaro (PL) dans les urnes a été considérée comme fondamentale pour la défascisation du Brésil, les 58 millions de voix qui lui ont été accordées, les campements devant les casernes et les blocages d'autoroutes et la tentative de coup d'État à Brasilia le 8 janvier dernier, ne nous font pas oublier qu'il existe une mobilisation considérable des droites extrémistes dans le pays.  

En réaction, lundi (9), des actions de défense de la démocratie appelées par les fronts Povo Sem Medo et Brasil Popular et la Coalition noire pour les droits ont fait descendre des dizaines de milliers de personnes dans les rues d'au moins 56 villes. 

Considérant l'attaque des bolsonaristes contre le siège des trois branches du gouvernement comme étant d'une "gravité sans précédent" et une expression de "l'extrémisme de la droite fasciste brésilienne", les militants du MST et du MTST interrogés par Brasil de Fato défendent la responsabilité des participants, des financiers et des autorités de l'État impliqués. 

Ils citent notamment le gouverneur du District Fédéral (DF) Ibaneis Rocha, déjà démis de ses fonctions pour 90 jours par le ministre de la Cour Suprême (STF) Alexandre de Moraes, et le secrétaire à la sécurité publique du DF, Anderson Torres, disculpé le dimanche (8) même, alors qu'il regardait tout depuis les Etats-Unis. Ancien ministre de la justice de Bolsonaro et maintenant avec le décret d'arrestation, Torres a décidé de prendre des vacances exactement dans cette période, dans le même endroit où l'ancien président est depuis qu'il a perdu le forum privilégié.   

"Il est notoire que s'il s'agissait de mouvements sociaux avec des agendas légitimes qui revendiquent cette voie sur la place des Trois Pouvoirs, de la STF, ils seraient reçus avec des coups de feu, des coups de poing et des bombes, comme ils l'ont été à divers moments de notre histoire", souligne Rud Rafael, de la coordination nationale du MTST. 

"Pas d'amnistie"

"Le niveau d'organisation et d'extrémisme qu'a atteint cette droite fasciste doit être immédiatement endigué", affirme Rud. Déjà fortement exprimée par la foule qui a assisté à l'investiture présidentielle de Lula (PT), la revendication "pas d'amnistie", visant à tenir Bolsonaro pour responsable des crimes commis pendant son mandat, prend désormais de nouveaux contours.  

"Si la société brésilienne n'a pas réussi à traiter avec force les racines autoritaires du processus de dictature, en 2023, nous devrions guérir cela des événements du 8", déclare le coordinateur du MTST. "Une fois pour toutes, nous voulons une enquête sur les commanditaires de ces actes et non seulement sur les responsables, mais sur l'ensemble du processus : des camps devant les casernes à la construction de cette culture fasciste dans le pays", souligne-t-il. 

Pour Débora Nunes, de la direction nationale du MST, le Brésil a vécu "clairement une tentative de coup d'État", avec comme élément central la non-acceptation des résultats des urnes. "Ce groupe a toujours utilisé l'illégalité, la violence et maintenant il est explicite qu'ils sont en fait des fascistes avec toute la volonté de déstabiliser le nouveau gouvernement et d'attenter à la démocratie", dit-elle. 

"La majorité des personnes qui étaient à Brasilia ont été financées", a déclaré Débora, pour qui il est "essentiel d'identifier et de punir les grands financiers". Il s'agit notamment d'hommes d'affaires, qui ont utilisé leurs réseaux sociaux pour appeler à ces actes, allant jusqu'à garantir des bus, de la nourriture et un hébergement".  

Preuves

Selon une enquête menée par A Pública sur la base des dossiers de la police fédérale, la plupart des bus qui ont transporté les putschistes à Brasilia ont quitté le  Paraná et São Paulo. L'un des véhicules saisis par le STF appartient à la société Nogueira Turismo, dont le propriétaire est l'homme d'affaires bolsonariste Maurício Nogueira Dias (Républicains).

Dias s'est présenté sans succès comme député de l'État de São Paulo lors des élections de 2022. En mars de l'année dernière, le groupe Conservateurs de l'Alta Mogiana, fondé par lui, a organisé un congrès auquel ont participé Eduardo Bolsonaro, Carla Zambelli et Tarcísio de Freitas, entre autres personnalités publiques alliées de l'ancien président.    

Depuis dimanche (8), les parlementaires ruralistes s'expriment pour défendre ou minimiser l'action du coup d'État à Brasília. Parmi eux, le député fédéral Ricardo Barros (PP) qui, dans une interview accordée à CNN, a déclaré que l'épisode était en réalité la faute du ministre Alexandre de Moraes qui, à la tête du Tribunal supérieur électoral, n'aurait pas convaincu la société que les urnes sont fiables. "Ce sont des Brésiliens au visage propre", a-t-il commenté à propos des putschistes qui, dans de nombreuses vidéos, ont produit des preuves contre eux-mêmes.  

Policier routier fédéral, défenseur de l'exploitation minière illégale et farouche bolsonariste, le député fédéral José Medeiros (PL) a critiqué sur son fil Twitter l'existence d'un "organe de presse vagabond traitant de terroristes les personnes fatiguées de l'abâtardissement des institutions et de la presse" et a menacé : "ne faites pas d'erreur ou posez la balle à terre, sinon ça va empirer".  

"Nous ne sommes pas surpris", déclare Débora Nunes, concernant les secteurs agroalimentaires qui soutiennent les mobilisations liées au coup d'État. "Nous le regardons avec inquiétude, mais c'est la confirmation de ce que nous avons dit au fil du temps, concernant ce groupe qui s'est emparé du Brésil dans la dernière période, de manière truculente, violente, s'appropriant l'État pour ses intérêts, sans se soucier du peuple brésilien", opine-t-elle.  

Pays polarisé 

"On a beaucoup parlé de la division du Brésil. Des pensées et des positions différentes existent et doivent être respectées, mais dans les limites de la démocratie. Ce que nous voyons n'est pas cela", évalue Nunes.  

"En 2018, nous avons vécu un grand coup monté pour arrêter le président Lula", déclare la leader du MST. Cette année-là, souligne-t-elle, "nous avons perdu les élections et même si nous pensions qu'il s'agissait d'une grande fraude du point de vue de la conduite, des mensonges propagés, même si nous appréhendions l'avenir du Brésil qui était déjà annoncé comme devant être le gouvernement Bolsonaro, avec le retrait des droits, nous avons respecté le résultat des urnes." 

"Notre grande devise était que personne ne lâche la main de personne, continuons ensemble et faisons face à cette période. Et c'est ce que nous avons fait. Avec beaucoup de mobilisation et beaucoup de lutte", dit Débora. Maintenant, caractérise-t-elle, il y a une polarisation, mais "avec des traces fascistes et cela doit être combattu".  

Rud Rafael rappelle que depuis 2020, les secteurs totalitaires demandent le retour de l'Acte institutionnel 5 (AI-5), le décret le plus répressif de la dictature civilo-militaire, qui avait le soutien d'une grande partie du monde des affaires. "Ils ne se contentent pas d'en parler. Vous devez prendre ces gens au sérieux. Ils ne sont pas fous. Il s'agit d'un groupe idéologiquement articulé", souligne-t-il. 

Le défi des mouvements et de la société civile 

Pour le coordinateur du MTST, "la société brésilienne doit se réveiller et comprendre une fois pour toutes la gravité de ce que représente l'extrême droite, le fascisme bolsonariste".  

"Nous ne pouvons plus tolérer que ces groupes agissent comme ils l'ont fait. Et pas seulement maintenant. Le bolsonarisme a redoublé d'efforts chaque fois qu'il s'est senti menacé", définit-il. "Ce n'est pas un groupe qui défend un seul acteur politique. Il s'agit de défendre un projet", souligne Rud Rafael. 

"L'une des leçons que nous devons tirer de tout cela pour les mouvements", dit Rud, "est de comprendre que nous ne gagnerons pas ce processus sans la mobilisation de la rue". Mais ce n'est pas tout : "Nous devons nous enraciner et avoir un processus permanent d'organisation", ajoute-t-il.   

Selon Débora, ce n'est pas aux mouvements populaires de démanteler les camps bolsonaristes ou "d'accepter les provocations". Mais "défendre la démocratie, transmettre à la société brésilienne que nous avons des institutions engagées dans sa défense et que nous devons être attentifs, alertes, mais surtout", dit-elle, "dans cette perspective de construction et de renforcement des organisations populaires pour que le peuple brésilien puisse effectivement voir ses droits garantis". 

Edition : Thalita Pires

Traduction caro d'un article paru sur Brasil de fato le 11/01/2023

Rédigé par caroleone

Publié dans #ABYA YALA, #Brésil, #MST, #Antifascisme

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