Mexique : Tzam trece semillas : Fille commerçante
Publié le 5 Septembre 2022
Image : Francisco Toledo
Par Natalia Toledo
A toutes les femmes qui ont rempli mon panier.
"Volez-vous acheter des tortillas ? Le fil de ma voix est entré dans les couloirs et les cours des maisons des pêcheurs. Pour vendre les tortillas que ma grand-mère fabriquait, il fallait commencer par la rosée du matin, pendant que le maïs bouillait xpoco xpoco1 sur le feu. Je la voyait tresser ses cheveux avec des rubans de la couleur de son jupon et enfiler son huipil en coton brodé pour aller au moulin. Ses hanches touffues et sa taille prononcée faisaient que le baquet de maïs lavé s'arrêtait avec son bras. Ma grand-mère Áurea marchait comme si elle avait une jambe dans le dos. Sur le chemin du retour, le bois du four crépitait et crépitait au fond du pot d'argile.
Du hamac, je la regardais faire les tortillas ; dès qu'elle les mettait dans la marmite, elles tombaient parce que le charbon de bois était brûlant. C'était le moment où les voisins arrivaient pour faire cuire leur poisson ou leur beladoo, la viande de mecate que ma grand-mère roulait dans un morceau de fer : un serpent de viande avec de l'ail, de l'achiote et du citron. Peu à peu, la maison se remplissait de femmes et d'enfants venus acheter des tortillas. En deux heures, ma grand-mère finissait dix litres de maïs. Quand il restait des tortillas, elle les disposait en forme de fleur dans mon panier, puis les recouvrait d'une fine couverture qu'elle lavait tous les jours et, avant de quitter la maison, elle faisait une croix sur le panier avec ses mains et disait "or et trésor", et se retournait pour me regarder dans les yeux : "Tes pieds sont des pieds de fille ; reviens vite, ma fille". Elle accrochait le panier à mon bras et je marchais entre les maisons jusqu'à ce qu'il ne reste plus une seule tortilla. L'une des plus grandes joies que j'ai eues dans ma vie est de voir les visages des femmes de ma maison comptant l'argent de la récolte.
Lorsque mes tantes et ma mère rentraient de leurs voyages, elles se rendaient aux foires pour vendre de la bière, de la nourriture de l'isthme ou des curados de prunes et de nanche. Elles arrivaient presque toujours aux premières heures du matin ; ma grand-mère allait à leur rencontre et les aidait à porter leurs sacs. Tous les enfants qui sont nés dans cette maison les ont serrées dans leurs bras parce qu'elles étaient nos mères et parce que c'était toujours une fête de les voir revenir, d'entendre leurs anecdotes et leurs nouvelles. Ma grand-mère mettait du café et nous le servait dans des jícaras à trois heures du matin.
J'ai une image en mémoire : sur le lit, le seul lit de la maison, ma mère Olga et ma tante Rosy déversaient des valises d'argent. Ma grand-mère faisait des tours de pièces, comptait tout avec un grand sourire et le gardait dans un velours sous la table des saints. De tout ce que ma mère ramenait de ses voyages en Amérique centrale, elle mettait un panier sur ma tête et me le faisait vendre ; le panier était toujours le même, seule la marchandise changeait.
En même temps, ma mère avait un atelier de hamac et de broderie. Pour les hamacs, ses ouvriers étaient des hommes. Elle leur passait les écheveaux de fil de coton qu'elle teintait pour leur combinaison. C'était très beau de voir une femme parmi les travailleurs, leur disant quoi faire et de se dépêcher car elle allait livrer les hamacs le week-end aux jarcierías de la ville de Oaxaca. Puis elle se rendait à son cadre pour broder des fleurs pour les costumes que les autres femmes lui commandaient. Mon premier costume a été fait par ma mère alors que je n'étais pas encore née, mon costume a mon âge et je l'ai toujours.
L'après-midi, ma grand-mère et moi mettions les noix de coco au four car la chaleur aidait à détacher leur épaisse couche, nous râpions les fruits et sur une table branlante nous mélangions la farine et l'eau, à l'aide d'une bouteille en verre nous étirions la pâte pour faire des roues de farine que ma grand-mère faisait frire dans une poêle. Elle préparait la noix de coco avec du sucre et des morceaux d'ananas. Lorsque la noix de coco refroidissait, nous faisions les crêpes et, à la fin, nous les saupoudrions d'un peu de couleur rouge naturelle, puis j'allais les vendre.
Un jour, imitant les pêcheuses qui faisaient leurs ventes avec un bac en métal sur la tête, j'ai soulevé mon plateau de crêpes à la noix de coco sur la mienne et je l'ai lâché pour commencer à marcher comme ces femmes garbosa. C'était le mois d'octobre, le mois des vents, alors mon plateau s'est envolé avec toutes les crêpes ; tous les enfants se sont rassemblés comme des fourmis pour manger les bonbons à la noix de coco. Bien sûr, je n'ai pas pu en sauver un seul. J'ai eu pitié de ma grand-mère et j'ai mis du temps à entrer dans la maison, elle m'a appelé et m'a dit : "Entre, je ne vais pas te gronder".
Lorsque le 17 novembre arrivait, c'est-à-dire le jour de mon anniversaire, ma grand-mère m'offrait des huipiles ; ma mère et ma marraine me donnaient une paire de boucles d'oreilles en or ou une petite chaîne. Elles préparaient toujours des enchiladas de mole remplies de poulet, il y avait aussi des gâteaux et des piñatas.
Aider les femmes de ma maison à vendre ce qu'elles fabriquaient a été un excellent apprentissage pour moi, alors quand j'ai grandi, j'ai continué à le faire. J'ai des amis qui ont étudié dur et qui, s'ils ne trouvent pas de travail dans leur spécialité, ne savent pas quoi faire pour vivre. Quand je leur parle de tout ce que nous, les enfants de Juchitán, avons vendu, ils me disent que c'est de l'exploitation d'enfants, que nous n'avons pas eu d'enfance. Je ne l'ai jamais vu de cette façon parce que j'ai grandi parmi des gens qui font tout en communion avec les autres. Vous ne pouvez pas vous asseoir et regarder pendant que les autres font tout.
Et bien sûr, nous avons eu une enfance. Nous allions jouer toute la journée avec les voisins et ne rentrions que lorsque nous avions faim.
1 Le son que fait le maïs quand il bout, selon ma grand-mère Áurea.
Portrait de l'auteur : Gina Mejía
Natalia Toledo
Poétesse et conteuse zapotèque de Juchitán, Oaxaca. Elle a publié plus de 10 livres. Sa poésie a été traduite en dix langues. Membre du Système national des créateurs en 2017, elle a fondé l'atelier de lecture-écriture et de création littéraire : " El camino de la iguana ", aux côtés de Francisco Toledo et Víctor Cata. Elle est également membre du collectif Binni Birí- Gente Hormiga. Parmi les prix qu'elle a reçus, citons le Premio Borchard Foundation Center on Literary Arts en 2022 et le Prix Nezahualcóyotl de Littérature en Langues mexicaines en 2004.
traduction caro