Pérou : Le 30 mai 1963, la police le recherchait seulement pour le tuer

Publié le 11 Juin 2022

Traduction caro d'un article du journal Lucha Indígena n° 184

Par Cabe


Sans aucun procès préalable, sans aucune légalité, passant outre toutes les lois et contournant la Constitution en vigueur à l'époque, la police péruvienne, ou plutôt la Garde civile (GC), qui à l'époque était également divisée en Police d'investigation péruvienne (PIP) et en Garde républicaine (GR), avait jugé et condamné à mort le leader paysan, le militant cusqueño et trotskiste Hugo Blanco Galdos, entre lever du jour et minuit. Les eaux du rio Hablador, le Rimac apportaient depuis longtemps des nouvelles des Andes, des peuples qui se soulevaient à nouveau contre l'oppression et tentaient de récupérer les terres arrachées à leurs ancêtres par l'invasion d'étrangers barbus qui dominaient des villages entiers dans le sang et le feu, élevant un crucifix qui, selon eux, était le Dieu qui leur ordonnait de les évangéliser, même si pour cela ils devaient dépecer ou brûler vifs les Runas, les enfants de la Pachamama qui habitaient ces territoires qu'ils appelaient Tahuantinsuyo.

Il avait beaucoup de choses à dire, le Rimac

Une loi infâme faite pendant la dictature du "libérateur" Bolivar, qui déclarait la liberté de vente des terres communales ancestrales, a été utilisée à la fin de la défaite péruvienne dans la guerre du Pacifique, pour usurper, surtout par des moyens illégaux, les terres des communautés, Ayllus, qui avaient résisté à des siècles d'attaques, de menaces et de fléaux qui maintenaient ouvertes les blessures de l'exploitation impitoyable des paysans, pour être indigènes, pour avoir la couleur de la terre et pour ne pas avoir connu le Christ. La situation des femmes était encore pire, car leur sexe était condamné à la pire des indignités. Elles devaient non seulement servir la table du maître mais aussi se soumettre à la lascivité dépravée et démente des patrons, appelés "gamonales".

Cusco, la région qui était autrefois le siège d'un grand empire qui, au-delà du despotisme de ses dirigeants, avait réussi l'exploit de résoudre le problème de la faim, avec une abondance de nourriture, de vêtements, produits même en excès sur des métiers à tisser infatigables, utilisant le meilleur coton du monde et la laine d'alpaga, pour protéger ses habitants de l'inclémence du climat, l'empire qui avait fait des réalisations architecturales qui sont aujourd'hui la merveille du monde, était tombé en disgrâce. Taita Inti ne donnait plus de feu, il était pitoyable, ses enfants étaient réduits en esclavage. Gamonal était un propriétaire terrien qui pensait posséder la vie et la mort de ses peonada, ses Indiens. Sa méchanceté et son audace criminelle contre les Indiens n'avaient pas de limites, la perversité de ce misérable Gamonal fut gravée à jamais, puisque son nom de famille servit à désigner cette caste maladive qui s'empara des terres des enfants de la Pachamama.

Jusqu'à ce que Taita Illapa éblouisse à nouveau de sa force cosmique

Taita Illapa, la foudre, qui avec son énergie fit battre le cœur des premières runas, qui décolla la boue, dota de courage et d'esprit les soldats de pierre, les Pururaucas, qui donnèrent jadis gloire à l'Inca le Sapan Pachacutec pour produire de nouveaux rebelles. C'est ainsi que sont nés ceux qui ont affronté les Alfredo Romaiville, Abraham Marquez, Bartolomé Paz et tant de noms qui n'ont fait qu'attiser la haine à leur égard. C'est pour les affronter qu'est apparu Andres Gonzalez, dont la jambe a été brisée par Romainville en criant "Indien rebelle, indien de merde !"

Andrés Gonzáles y Hugo Blanco, bien des années plus tard

 

D'autres aussi comme Oscar Quiñones, Constantino Castillo... Remigio Huamán, chef rebelle assassiné par la police. ...Et ils se sont réunis Bien que l'histoire n'accepte pas les coïncidences, le fait est que dans une prison de Cusco, Hugo Blanco et Andrés González et d'autres leaders paysans se sont réunis. Là, ils ont décidé de faire un pas en avant dans l'histoire. On sait déjà que Blanco est devenu un arrendire (celui qui loue la terre) dans la région de González et à partir de là, il a commencé sa campagne de sensibilisation pour la formation de syndicats qui, dans le feu de la lutte, découvriraient la merveille de la grève paysanne qui leur permettait de ne plus travailler pour le propriétaire et de travailler leur propre terre. Blanco, dans sa campagne éducative utilisant des méthodes révolutionnaires, dénonce l'inutilité des méthodes légales et bourgeoises que le parti communiste de Cusco avait inculquées aux paysans. Les paysans, dit Blanco, ont dû passer à l'étape suivante, à l'action directe, en laissant derrière eux les formalités légales, le papier des cinquième et sixième sceaux, les paiements pour traiter les dossiers, les "petits cadeaux" au juge et même à l'évêque. L'action directe consistait d'abord à cesser de travailler gratuitement pour le patron, puis à réclamer des salaires que les patrons devaient régler directement avec le syndicat ou la Fédération. Blanco a rappelé les propos de Romainville : "Qui penserait que j'irais discuter avec mes indigènes de la manière dont ils doivent me servir, non ! Il faut mettre les chefs en prison et c'est tout".

Mais il était trop tard pour les bravades. Les paysans avaient relevé la tête et un nouvel horizon s'offrait à eux, et le cri de "La terre ou la mort" devenait une prière matin et soir, menant à la rédemption des fils de la terre. Habitués à servir les patrons, les chefs de la police et de l'armée ne visent qu'un seul but, noyer dans le sang les grondements rédempteurs. Les indigènes ne doivent pas quitter le calvaire, le Golgotha créé par les propriétaires terriens comme une condamnation éternelle. "Les gamonales ne sont pas arrivés avec la terre sur leurs épaules, ils nous l'ont prise et nous sommes en train de la récupérer", a souligné Blanco, lors de son pèlerinage dans la vallée de La Convención... et au-delà. Le rio Vilcanota qui parle aussi, convainc l'Apurimac, le Huallaga, le Chaupihuaranga, le Marañon... le Rimac, ils agitent le message des runas de Cusco, Prenons la terre !

Le Pérou a été gouverné à la fin des années 50 par l'oligarque Manuel Prado Ugarteche. Ce personnage de triste mémoire s'est montré incompétent face à la tempête andine et le coup d'État du général Pérez Godoy a eu lieu. Il a décrété la réforme agraire à Cusco, mais a accordé aux propriétaires le statut de paysans afin qu'ils puissent "récupérer" les terres. Mais ils ont dit Non, nous ne les acceptons pas ! Au contraire. Le message des rivières s'était déjà réveillé et était devenu chair de Cusco à Cerro de Pasco où la confrontation a eu lieu contre la compagnie minière Cerro de Pasco Mining Co, une épopée qui est marquée dans la saga littéraire de Manuel Scorza, ayant comme son itinéraire, Apurimac, Ayacucho, Junín.

L'histoire raconte qu'à une occasion, une délégation de Cajamarca est arrivée à Cusco pour poser des questions sur le Sindicato qui "dit-on, cède des terres". La lutte des paysans de Cusco était devenue légendaire et les puissants de Lima ont dû aiguiser leurs épées et huiler leurs canons. Les grands seigneurs de Cusco, armés du soutien de la police, ont intensifié leurs exactions, disant "Indiens voleurs, je vais vous tuer". Ils volent mes terres". Les dirigeants de la Fédération se sont rendus à la police et ont reçu cette réponse : "Indien sans vergogne, partez ! Vous n'avez pas le visage pour vous plaindre. Ne voyez-vous pas que vous volez la terre du patron et qu'il a le droit de vous tuer comme des chiens ?

Un propriétaire terrien, accompagné d'une bande d'assassins à gages, dont un garde civil nommé Briseño, s'est rendu au domicile d'un leader paysan pour l'arrêter et peut-être le faire disparaître. Un enfant qui était en visite est sorti.

Le propriétaire lui a demandé : "Où est ton père ? Je ne sais pas, monsieur, parle ou je te tire dessus", et le garçon a commencé à pleurer pendant que le propriétaire arrachait son pistolet au garde Briseño et tirait sur le garçon à la bouche. Lorsque le leader paysan l'a appris, il s'est rendu à une réunion de la Fédération et a décidé de former la Brigade d'autodéfense de l'Union paysanne Remigio Huamán. Les paysans ont généralement des fusils de chasse pour protéger leurs cultures du sihuayro (cochon d'Inde géant), du khuchi (sanglier) et de l'ukuko (ours). De cette manière rudimentaire, la brigade d'autodéfense a été formée. Mais ils étaient armés de courage. Le groupe était en route pour retrouver le gangster qui avait blessé le garçon, mais il a été découvert par le poste de police de Pucyura. Blanco est entré dans le poste et s'est adressé au policier assis au bureau principal, exigeant qu'ils remettent leurs armes, "celles-ci appartiennent au peuple et devraient être utilisées pour nous défendre, mais vous défendez les patrons abusifs et meurtriers".

Le gardien Briseño, celui-là même qui avait remis son arme avec laquelle le gamonal avait tiré sur le garçon, était celui qui se trouvait au bureau et a tendu la main pour sortir son arme et a été blessé par Hugo, qui a tiré en état de légitime défense. Blanco a fait en sorte qu'il soit immédiatement transporté au poste médical où il est décédé peu après. Le gouvernement a donné l'ordre de capturer Hugo Blanco, la Garde civile a reçu l'ordre et a assumé la responsabilité de son assassinat. Les conditions d'une guerre civile étaient réunies. C'est la raison pour laquelle le président, qui a renvoyé l'oligarque Prado, a décrété une réforme agraire à Cuzco. Mais la rébellion devait être réprimée, et pour ce faire, la tête d'Hugo Blanco, le leader trotskyste qui avait déclenché l'insurrection des paysans indiens et de leurs femmes, a été mise à prix. La persécution est implacable, mais c'est sans compter sur le fait que le peuple est favorable à Blanco et le protège pendant quelques mois, mais dans des circonstances qui ne peuvent durer longtemps. C'est ainsi que le 30 mai 1963, Blanco a été capturé par une patrouille de la PIP et, à son arrivée, la Guardia Civil a exigé sa reddition afin de l'assassiner, comme le voulait l'ordre. À cette époque, la PIP et la Guardia Civil se vouaient une haine farouche et c'est grâce à la capture de Blanco par la PIP qu'il a pu sauver sa vie. Puis vint le procès dans lequel le gouvernement du "démocrate", Fernando Belaúnde Terry, prépara les preuves pour demander la peine de mort.

Nous allons le sauver, disaient-ils

Ce30 mai 1963, les rivières se sont tues, Taita Inti a versé une larme qui s'est transformée en une terrible tempête. Porté à pied comme le martyr du Golgotha, Blanco est arrivé au poste de police de Chaupimayo. Les indigènes ont passé le mot, ils ont capturé Hugucha, nous allons le sauver, dit-il. Les officiers ont compris que la confrontation ne serait pas facile, ils ont donc décidé d'emmener Blanco immédiatement dans un hélicoptère et de le conduire ensuite à la prison d'Arequipa. Selon le bien aimé écrivain uruguayen Eduardo Galeano, Hugo Blanco est né deux fois, la première fois lorsque sa mère l'a mis au monde, la seconde lorsqu'il a été témoin d'une "carimba", le châtiment cruel qui marquait au fer rouge les fesses du paysan qui tentait de fuir l'Hacienda. Il est né pour la troisième fois lorsque, comme il le raconte dans la deuxième lettre qu'il a écrite à José María Arguedas, il a rencontré Lorenzo Chamorro, qui a été estropié lorsque le prieur du couvent dominicain de Pata Pata a décidé de l'éliminer à coups de feu pour avoir eu l'audace de critiquer les Dominicains qui se sont comportés comme de véritables tyrans, en prenant les terres des Indiens et en violant leurs femmes. Chamorro n'est pas mort, il est resté invalide et Blanco, par solidarité avec lui, lui a apporté de la nourriture, préparée par des femmes humanitaires, puis a profité de sa conversation.

Chamorro était un professeur, un philosophe éduqué dans la lutte, et il lui a expliqué la cause de ses tourments jusqu'à lui dire que tout ce qu'il lui disait était pour que Blanco, alors un garçon de 12 ans, apprenne que la vie consiste à se battre pour la justice et l'égalité. Et ainsi de suite jusqu'au jour où, sentant que le moment était venu de faire un pas vers sa prochaine vie, Chamorro enlève son poncho et le mette sur Blanco. Par ce geste, il lui a donné son âme et ainsi Hugo Blanco est né pour la troisième fois. Et il a continué à naître lorsqu'il lui a sauvé la vie en cette sombre journée du 30 mai 1963.

Ou lorsqu'il a échappé à la peine de mort en 1966, ou lorsqu'il a été déporté en Argentine pour que la dictature de Videla puisse le faire disparaître, ou lorsqu'il a pu fuir le Chili en 1973, après le coup d'État de Pinochet, ou lorsqu'il a été sauvé alors qu'il était poursuivi par le Fujimorisme et le Sentier lumineux, qui se sont alors donné la main pour mettre fin à sa vie.

Hugo Blanco, aujourd'hui âgé de 87 ans, est toujours en vie et encourage la publication de Lucha Indígena, le magazine qu'il a fondé il y a 17 ans et qui est toujours d'actualité. Tout comme ses exemples de moralité et de lutte. Blanco, qui aurait pu recevoir un salaire de retraité, puisqu'il a été constitutionnaliste en 1979 puis deux fois député, a refusé la pension à laquelle il avait droit selon la loi, car "mes luttes n'avaient pas pour but d'obtenir des avantages". Blanco, le révolutionnaire incorruptible, qui a rendu possible la récupération de milliers d'hectares de terres pour les paysans indigènes, n'a jamais essayé d'obtenir une parcelle de terre, pas même pour remplir un pot de fleurs. Pour paraphraser Atahualpa Yupanqui, on peut dire que Blanco ne possède que la poussière qu'il soulève en marchant. Au-dessus d'une gauche gangrenée par la corruption et qui, pour cette raison, marginalise les vrais fils du peuple, les hommes d'avenir, Hugo Blanco, mon ami et camarade, vit et vivra dans le cœur de son peuple et je lui souhaite une longue vie, paisible et pleine de joie et de bonheur.

 

 

En Hugo Blanco, la voix du peuple résonne, dans les campagnes, il a crié "La terre ou la mort" ! En tant que candidat à l'Assemblée constituante en 1979, il a milité pour un gouvernement des travailleurs, sans généraux et sans patrons !

Rédigé par caroleone

Publié dans #ABYA YALA, #Pérou, #Hugo Blanco, #Peuples originaires

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