Mexique : Tzam trece semillas : Quand je pense à la terre, je me souviens de toi

Publié le 16 Juin 2022

Photo : Terre. Pris par Yeimi López

Par Yeimi López

Quand on parle de terre, la première chose qui me vient à l'esprit, ce sont les histoires de mon grand-père, le père de mon père, qui a voyagé et connu, une à une, les frontières de notre village, dans les terres Ñuu savi.

Je me souviens aussi qu'il y a ceux d'entre nous qui vivent dans un pays étranger, qu'un jour nous ou nos mères et pères ont décidé de prendre leurs affaires, de les mettre dans un sac à dos ou une boîte en carton pour quitter leur patrie et aller travailler dans d'autres pays. Même dans ces terres lointaines, dans cet endroit où la brume recouvre tout le soir, où la rivière fait du bruit et où l'on peut cueillir des fruits dans les arbres sur la route, on peut encore entendre la voix de nos grands-mères et de nos grands-pères. Surtout quand la pluie tombait, quand la foudre tombait et que les éclairs illuminaient la nuit, mon père nous disait : " Mon père nous a dit... ", tandis que ma mère cherchait des bougies et des allumettes pour éclairer l'endroit où nous vivions. Puis, avec mes frères et sœurs, j'écoutais ce que mon père avait entendu de mon grand-père. Pour moi, il était inévitable de me déplacer sur le territoire Ñuu savi, d'imaginer les lieux et les frontières parcourus par mon grand-père, car les histoires tournent autour de la terre, du territoire, des multiples conflits territoriaux que les peuples Ñuu savi ont vécu, des confrontations armées entre peuples jumelés. 

Les hommes et les femmes s'organisaient pour défendre leurs territoires ; les mots de mon père me viennent à l'esprit : "les femmes partaient loin pour cuisiner, afin que la fumée du bois ne soit pas visible lorsqu'elles faisaient les tortillas, tandis que les hommes se préparaient à attaquer le village voisin qui avait envahi leurs terres". La scène que j'ai imaginée en entendant cela n'aurait pas pu être plus désolante : des maisons brûlées, des corps gisant dans la terre tachée de rouge, des images de saints et des cloches d'église prises comme trophées entre un village et un autre. 

Bien des années plus tard, j'ai retrouvé dans divers dépôts documentaires le témoignage de ce dernier, écrit dans différents bureaux, dans lequel on demandait l'intervention de l'armée pour mettre fin à plus de trente ans de conflit territorial qui s'était transformé en champ de bataille aux frontières. Mon étonnement était tel que je n'ai pu que me rappeler les mots de mon grand-père : "nos peuples étaient en guerre", une guerre que l'on pensait à un moment donné pouvoir résoudre en obtenant un document appelé "Résolution présidentielle". C'est alors qu'une autre étape de la lutte pour la terre a commencé. On rassembla les documents nécessaires, on sortit d'un vieil emballage en cuir, ceux qui rendaient compte de la lutte dans les Tribunaux de Première Instance, devant la Couronne de Castille et qui étaient passés de main en main pour être jalousement gardés dans la vieille armoire en bois ; une armoire où se trouvaient également les inventaires des objets considérés comme propriété de la communauté, des inventaires écrits dans de vieux livres où scintillaient les signatures de ceux qui étaient chargés de sauvegarder ces biens.  

Le territoire est à nouveau parcouru, cette fois pour tenter de conclure des accords avec les villages voisins, pour essayer d'établir des limites concrètes, pour établir avec la "Résolution présidentielle" une sorte de frontière plus imaginaire que réelle entre village et village. Ce n'était pas la première fois que l'on tentait d'établir des limites entre l'un et l'autre ; à Oaxaca, les lois de réforme, les règlements de 1862 et les étapes de la municipalisation avaient obligé les villes à établir leurs limites. Les résultats de tout cela, dans de nombreux cas, ont été plus que catastrophiques. La tentative de délimiter des villes qui avaient été unies avant l'arrivée des conquistadors les a obligées à s'affronter pour se conformer aux décrets de l'État-nation. Tout cela a ouvert une profonde blessure entre des peuples voisins qui partageaient autrefois des montagnes communes ou des eaux communes dans les rivières. Maintenant, ils devaient tracer une ligne entre eux.

La délimitation et la démarcation des terres semblaient être la solution aux nombreux problèmes causés par les conflits territoriaux, mais dans certains cas, elles ont amené les populations à une confrontation encore plus grande. En y repensant, j'ai lu dans certains documents, dans diverses archives, ce qu'ont souffert ces villages qui, dès le début de la colonie, ont été expropriés de leurs propres terres, leurs eaux et leurs rivières leur ont été enlevées, ils devaient maintenant payer un loyer pour leurs propres forêts et pour prendre l'eau qui se trouvait sur leur territoire. Pour se protéger, les autres villages ont décidé de s'unir. 

Pour toutes ces raisons, chaque fois que je vais aux archives, ici et là, je ne peux m'empêcher de me souvenir des mots de mon grand-père, de ses histoires sur les terres de notre peuple, car c'est ainsi que j'ai commencé mon voyage pour essayer de reconstruire des territoires, parfois imaginés et si souvent désirés parce que j'ai grandi loin de notre terre, de nos mots et de notre langue. C'est pourquoi, lorsque je parle de terre, lorsque je me plonge dans ces lieux de mémoire, je me souviens de toi. 

Portrait : Itali Sarabia López

PEUPLE MIXTEQUE

Yeimi López López

D'origine Ñuu savi, elle est née et a grandi dans la vallée de Mexico. Sa famille a migré de Santiago Nuyoo, Oaxaca. Son père lui a appris l'histoire de son peuple et comment renforcer la communauté dans la ville ; de sa mère, elle a appris l'importance de préserver la langue. Elle est historienne, sociologue, enseignante et doctorante en développement rural à l'UAM-Xochimilco. Son travail académique accompagne diverses communautés dans le sauvetage de la documentation historique liée au territoire et dans la défense des droits linguistiques.

traduction caro

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