Le Pérou peut-il célébrer la Journée de l'environnement sans ratifier Escazú ?
Publié le 5 Juin 2022
"Il est honteux que notre pays passe cette date importante sans ratifier l'accord d'Escazú", déclare le leader indigène Herlin Odicio lorsqu'on l'interroge à ce sujet.
Servindi, 3 juin 2022 - La Journée mondiale de l'environnement est commémorée le 5 juin, mais comment le Pérou peut-il se joindre à cette célébration s'il n'a pas encore ratifié l'accord d'Escazú ?
Un leader indigène se demande pourquoi le traité sur l'environnement n'a pas été approuvé, malgré les chiffres sur la violence à l'encontre des défenseurs, tandis qu'un spécialiste explique les raisons de ce vide honteux.
Occasion manquée
En 2020, le Pérou a eu l'occasion de ratifier le premier traité environnemental d'Amérique latine et des Caraïbes à établir des dispositions spécifiques pour la protection des défenseurs de l'environnement.
En plus de garantir les droits d'accès à l'information, de participation du public et d'accès à la justice en matière d'environnement, comme l'indique le nom officiel de l'accord.
Malgré les nombreuses voix qui ont demandé et recommandé sa ratification - de la part de l'exécutif, du judiciaire, du bureau du procureur général, du bureau du médiateur, des organisations civiles et des peuples autochtones - le Congrès l'a rejetée.
Mais cela ne s'est pas fait du jour au lendemain. Derrière cela, il y a eu toute une campagne de désinformation promue par le secteur des affaires lié aux partis de droite pour justifier cette décision.
Ils ont affirmé que, en ratifiant l'accord, le Pérou devrait céder 53% de son territoire, entre autres arguments qui ont été démentis à l'époque par les spécialistes consultés par Servindi.
Cependant, aucun argument de clarification n'a empêché la Commission des relations extérieures du Congrès de voter pour mettre en attente la proposition de ratification de l'accord le 20 octobre 2020.
Des perspectives sombres
Près de deux ans se sont écoulés depuis, mais loin de changer la situation - comme au Chili, où l'accord vient d'être ratifié - les nouvelles autorités péruviennes n'ont pas amélioré les choses.
Bien que le président actuel, Pedro Castillo, se soit engagé lors de sa campagne à faire pression pour la ratification de l'accord, il n'a pas fait grand-chose depuis son entrée en fonction en juillet 2021.
En outre, la décision finale de ratifier ou non l'accord reste entre les mains du Congrès, qui n'est pas exactement connu pour son intérêt pour les questions environnementales.
Selon le juriste constitutionnel Juan Carlos Ruiz Molleda, ce dernier point complique la ratification de l'accord car la corrélation actuelle des forces politiques au Congrès n'est pas propice à cette fin.
"Vous avez un Congrès avec des secteurs progressistes de gauche qui ont perdu du terrain et une élite politique de droite qui n'est pas intéressée par la protection de l'environnement ou des droits civils", dit-il.
A cela s'ajoute, dit--il, le fait que "les gens de la gauche radicale finissent par voter comme ceux de la droite, tout comme ils ont voté pour élire une Cour constitutionnelle conservatrice".
Sans parlementaires intéressés par la protection de l'environnement et avec des secteurs qui s'alignent en fonction d'intérêts particuliers, il est difficile d'obtenir la ratification de l'accord, estime l'avocat de l'Instituto de Defensa Legal (IDL).
Les intérêts en jeu
Mais ce n'est pas tout ce qui joue contre Escazú. Pour Ruiz Molleda, ce qui se cache réellement derrière le rejet politique de l'accord, c'est "un très fort lobby de l'exploitation forestière".
"Je pense qu'il y a beaucoup d'intérêts derrière tout ça. Tout d'abord, il y a un très fort lobby de l'exploitation forestière, les mêmes personnes qui sont derrière ce Comité de coordination pour le développement de Loreto (CDL)", dit-il.
L'avocat fait référence au groupe dirigé par Christian Pinasco Montenegro, qui a récemment suscité l'indignation en demandant l'abrogation d'une loi qui protège les peuples autochtones isolés.
En effet, Servindi a pu vérifier que ce groupe a également promu la non-ratification de l'accord d'Escazú, dans le cadre de son programme visant à garantir que l'exploitation des ressources dans les territoires indigènes soit autorisée.
"Le discours de ce groupe est qu'il n'est pas autorisé à profiter de ces ressources. Si vous regardez cela et que vous lisez El sueño del celta de Vargas Llosa, vous vous rendez compte que les collecteurs de caoutchouc du roman ont été ressuscités", dit l'avocat.
Conformément à leurs intérêts, le collectif CDL a réussi à obtenir le soutien d'Elisbán Ochoa, le gouverneur régional de Loreto, la plus grande région amazonienne du Pérou.
Ochoa n'a eu aucun problème à signer une déclaration contre les droits des indigènes aux côtés du groupe dirigé par Pinasco, un ingénieur condamné pour corruption, comme l'a révélé Servindi.
Ces médias ont également révélé les liens que ce groupe entretient avec des hommes d'affaires et des personnes proches du Fujimorisme, particulièrement intéressés par l'exploitation des territoires indigènes de la région amazonienne.
Défenseurs sans protection
Alors que ce mélange de rejets intéressés empêche la ratification de l'accord d'Escazú au Pérou, les dirigeants et défenseurs autochtones de l'Amazonie continuent de subir les conséquences du manque de protection.
Selon le coordinateur national des droits de l'homme (CNDDHH), quatorze défenseurs du territoire et de l'environnement ont été assassinés depuis le début de la pandémie, jusqu'à début mai 2022.
La liste ne comprend pas Jesús Antahua Quispe, Nusat Benavides de la Cruz et Gemerson Pizango Narvaez, des villageois ashéninkas assassinés le 22 mars 2022 à Puerto Inca (Huánuco).
Ni Ulises Rumiche, directeur de Pueblos Originarios Amazónicos de la Municipalidad Distrital de Pangoa/Peuples Originaires Aamazoniens de la Municipalité du district de Pangoa, dans la province de Satipo (Junín), assassiné le 19 avril.
Mar Pérez, avocat de la CNDDHH, a expliqué au site Mongabay Latam que ces cas devaient encore faire l'objet d'une enquête plus approfondie "pour déterminer la raison de ces crimes".
Des vies en danger
Mais, outre les décès, il y a actuellement de nombreux dirigeants et défenseurs autochtones dont la vie est en danger pour avoir défendu leurs territoires en Amazonie contre les activités illégales.
L'un d'entre eux est Herlin Odicio, président de la Fédération autochtone des communautés kakataibo (Fenacoka), qui a dû fuir plus d'une fois sa communauté face aux menaces.
"Ces menaces ont recommencé à se renforcer parce que le 11 mai, certaines autorités se sont rendues à Puerto Inca (Huánuco) pour la cérémonie d'initiation à la titularisation de la communauté Unipacuyacu", dit-il.
À la suite de cet événement, les menaces sont maintenant également dirigées contre le président de la communauté, Marcelino Tangoa, et d'autres membres de la juridiction, dit le leader kakataibo.
Le 1er juin, Servindi a également rendu public l'appel de plus de 40 organisations autochtones et civiles demandant la protection des défenseurs autochtones du rio Cenepa, dans l'État d'Amazonas, qui sont menacés par des mineurs illégaux.
Dans ce cas, les menaces se sont intensifiées après qu'un comité indigène a arrêté 7 mineurs illégaux en flagrant délit d'autodéfense en l'absence des autorités.
En raison de cette situation de manque de protection, le leader kakataibo Herlin Odicio trouve "honteux" que le Pérou arrive à la Journée mondiale de l'environnement sans avoir ratifié l'accord d'Escazú.
"Il est honteux que notre pays passe cette date importante sans que l'accord d'Escazú ait été ratifié, ce qui est très regrettable dans un pays qui possède une immense forêt amazonienne", dit-il.
Où aller à partir de maintenant
Dans ce contexte, l'avocat Ruiz Molleda estime qu'il est temps de commencer à examiner avec plus d'intérêt d'autres alternatives juridiques qui garantissent la protection de l'environnement.
Il mentionne l'avis consultatif 023 de 2017 de la Cour interaméricaine des droits de l'homme (CIDH), qu'il appelle " l'autre accord d'Escazú " en raison de sa portée.
Dans cet avis, selon l'avocat, "on a approuvé un ensemble d'obligations en matière de protection de l'environnement qui sont similaires et même plus exigeantes que celles approuvées dans l'accord d'Escazú".
L'analyse de cet avis mérite une note séparée, mais ce qui est certain, c'est que sa portée est fondamentalement liée aux droits d'accès à la justice, d'accès à l'information et de participation du public.
Ce sont précisément ces droits que l'accord d'Escazú, un traité environnemental que le leader kakataibo Herlin Odicio espère voir ratifié le plus tôt possible, cherche à garantir.
"Ils peuvent nous effrayer, mais nous ne nous lasserons pas de défendre nos territoires et d'exiger la ratification de l'accord d'Escazú. Nous allons poursuivre dans cette voie", déclare Odicio.
traduction caro d'un article paru sur Servindi.org le 03/06/2022
¿Perú puede celebrar el Día del Ambiente sin ratificar Escazú?
"Es vergonzoso que nuestro país pase esta fecha tan importante sin que el Acuerdo de Escazú haya sido ratificado", dice el líder indígena Herlin Odicio consultado al respecto. Servindi, 3 de ju...