Costa Rica : Levi Sucre : "La gouvernance territoriale est cruciale pour la vie des peuples autochtones"

Publié le 29 Avril 2022

Levi Sucre, coordinateur général de l'Alliance méso-américaine des peuples et des forêts (AMPB). Photo : Joel Redman / Si ce n'est pas nous, alors qui ?

 

Servindi, 27 avril, 2022 - Servindi s'est entretenu avec Levi Sucre Romero, du peuple Bribri du sud du Costa Rica et coordinateur général de l'Alliance méso-américaine des peuples et des forêts (AMPB), qui rassemble des peuples autochtones et des communautés locales du Panama au Mexique.

Levi souligne que "la gouvernance territoriale (...) est importante et cruciale pour continuer à soutenir les moyens de subsistance des peuples autochtones et des communautés locales" et "constitue la première tranchée de défense des ressources naturelles".

Levi travaille avec les territoires Bribri et Cabecar des Caraïbes du Costa Rica et représente l'AMPB au sein de l'Alliance territoriale globale. Il participe aux espaces et processus climatiques internationaux tels que les Conférences des parties (COP) de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.

L'Alliance territoriale globale est composée de l'Alliance méso-américaine des peuples et des forêts (AMPB), de la Coordination des organisations indigènes du bassin de l'Amazone (COICA), de l'Articulation des peuples indigènes du Brésil (APIB) et de l'Alliance des peuples indigènes de l'archipel (AMAN). 
 

- La coalition LEAF, qui parraine le programme LEAF (Lowering Emissions by Accelerating Forest Finance), s'est formée après l'administration de Donald Trump, qui était négationniste et ne voulait pas contribuer à la question climatique. Maintenant, cette alliance de gouvernements et d'entreprises qui veulent contribuer à cette initiative appelée le programme LEAF pour réduire la déforestation a été formée. Dans quelle mesure le programme LEAF représente-t-il une avancée dans les politiques climatiques mondiales ?

Je pense qu'il y a trois facteurs à analyser dans cette coalition. Le premier facteur est précisément le retour des États-Unis dans l'agenda climatique dont ils s'étaient effectivement retirés depuis Paris. 

Le deuxième élément est qu'ils ne viennent pas seuls, mais en bloc, et cela est bon pour le dialogue, car il est plus facile de dialoguer avec un bloc que de dialoguer avec chacun séparément.

Le troisième élément est que non seulement les gouvernements viennent, mais aussi les entreprises privées. Cela crée donc un point de vigilance, disons, car ce qui va prévaloir dans l'initiative LEAF : la vision du gouvernement, la vision de l'entreprise privée, et cela va avoir des répercussions directes sur les droits des peuples autochtones et des communautés locales.

Quelle est l'orientation ou l'accent qu'ils souhaitent mettre sur leur  investissement au niveau national ? Donc, ce que je pense, c'est que c'est un mécanisme qui est plutôt un blocage et je ne peux pas dire si c'est plus positif ou moins positif, mais c'est vrai qu'à cause des trois facteurs qui sont là, il faut faire attention.

- Maintenant, cette question est liée à la norme. Vous y mentionnez qu'il existe une norme ART TREES pour le respect des droits des peuples, je voulais donc savoir si vous êtes informé des garanties qu'offre cette norme.

Eh bien, depuis le fait que LEAF a pris les ART TREES comme norme, cela a été une sonnette d'alarme pour les peuples autochtones et les communautés locales. Pourquoi ? Parce qu'il s'agit d'une norme qui, dans une certaine mesure, me donne le sentiment d'avoir été conçue sur mesure et c'est inquiétant car une norme est censée vérifier et contrôler que certains principes d'inclusion, de garanties, etc. sont respectés. Et la norme ART TREES n'a même pas fait cela. Leur processus de consultation était le plus éloigné de la consultation des peuples autochtones que j'aie jamais vu.

Ils tentent maintenant de rectifier le tir après que les organisations de l'Alliance mondiale des collectivités territoriales aient commencé à faire pression. Aujourd'hui, ils essaient de rectifier et d'adopter les mesures de sauvegarde de Cancun, mais c'est toujours comme une déclaration de vouloir faire quelque chose, mais sans savoir comment ils vont le faire.

- Cela signifie qu'il y a beaucoup de travail à faire en ce qui concerne ces garanties et cette norme. Maintenant, pour en venir à la question du REDD, pendant de nombreuses années, le mécanisme REDD a été critiqué pour être une incitation perverse, une fausse solution climatique parce que les bonus étaient destinés à des zones en danger et menacées par la déforestation. Mais pas autant pour les territoires qui étaient bien entretenus, bien protégés ou avec une faible déforestation. Dans ce sens, vous mentionnez que le REDD juridictionnel est plus complet, plus large, avez-vous une opinion à ce sujet ?

Je crois que la question de REDD+ passe par la même chose que celle à laquelle nous sommes confrontés en ce moment, face à LEAF, c'est-à-dire que REDD a commencé avec une vision très externe vis-à-vis des territoires et il y avait même des soupçons d'objectifs pervers. Le changement que nous pouvons donner au REDD est plutôt de le faire dans l'autre sens, il est construit à partir des territoires vers l'extérieur et c'est là que l'investissement est canalisé. Donc, l'échec de l'approche est précisément cela, qu'elle est remplie de l'extérieur vers l'intérieur et non de l'intérieur vers l'extérieur.

Dans la question de la juridiction, la même chose se produit un peu, d'abord qu'il s'agit de la juridiction, c'est-à-dire, qui fait une juridiction, et ils essaient de comprendre la réalité des peuples indigènes et des communautés locales et la relation avec l'environnement d'un point de vue extérieur-intérieur. Il me semble donc que, quel que soit le nom qu'on lui donne, il sera couronné de succès à condition que nous le construisions dans l'autre sens, c'est-à-dire que l'on soulève d'abord les initiatives, les agendas, les connaissances des peuples et des communautés, et à partir de là, on part d'une proposition.

Je ne sais pas s'il s'agira d'un succès juridictionnel, cela dépendra de la manière dont il sera construit et de la vision qu'ils veulent mettre en œuvre. S'il s'agit d'une vision externe des donateurs, des gouvernements, ce sera probablement un échec ; mais s'il s'agit d'une construction de ce qui se passe dans les territoires qui a à voir avec les sauvegardes, les droits, les moyens de subsistance, les mécanismes de dialogue, la connaissance, ce sera probablement un succès. Je pense donc que la question est de savoir comment ces questions sont traitées au niveau territorial.

- Que pouvez-vous nous dire de l'importance de la gouvernance territoriale pour garantir le succès des fonds climatiques ou de tout soutien à la lutte contre la perte de biodiversité ? Que pouvez-vous nous dire de votre expérience en matière de gouvernance territoriale ?

Tout d'abord, nous entendons par gouvernance territoriale les processus d'organisation des moyens de subsistance, du dialogue culturel et de la prise de décision propres aux peuples autochtones. De ce point de vue, nous comprenons la gouvernance territoriale, et je pense qu'il est important avant tout de faire face aux effets du changement climatique, mais aussi de garantir la vie dans les communautés. Le changement climatique affecte les territoires autochtones et les communautés locales, c'est une réalité. La gouvernance territoriale, de ce point de vue, est donc importante et cruciale pour continuer à maintenir les moyens de subsistance des autochtones et des communautés locales, c'est le premier aspect.

Le deuxième aspect est que la gouvernance territoriale est la première tranchée dans la défense des ressources naturelles. Parce que c'est un fait que la pression sur les ressources naturelles, les compagnies minières, hydroélectriques et pétrolières ont les yeux sur les forêts et les territoires autochtones et s'il n'y a pas de gouvernance, alors ces pressions et les intérêts économiques d'un développement qui n'est pas compatible avec la vision des peuples autochtones auront un impact beaucoup plus négatif s'il n'y a pas de gouvernance territoriale.

Le troisième élément, pour moi, je pense que la gouvernance territoriale est importante pour pouvoir influencer les politiques et les lois. S'il n'y a pas d'organisation communautaire, si personne ne prend de décisions, s'il n'y a pas de discussion, alors il n'y aura pas de propositions à présenter aux gouvernements, aux assemblées et à la population en général parce que parfois, là où ils écoutent le moins, ce sont les gouvernements, les assemblées où se trouvent les députés, mais bon, au moins la bonne gouvernance peut élever la voix à des niveaux où elle est entendue et où les demandes des peuples indigènes peuvent être prises en compte.

- Pour conclure cette courte interview, quels sont, selon vous, les principaux défis que présente ce programme LEAF pour les populations et les communautés locales ? 

Je pense que le défi est présenté par les deux parties. Le défi auquel nous sommes confrontés avec le FAEJ est que les peuples autochtones et les communautés locales nous comprennent. En d'autres termes, qu'ils comprennent que l'on ne peut pas construire du haut vers le bas mais qu'il faut courir d'ici à là, voilà notre défi.

Leur défi est de faire entendre la voix des communautés autochtones dans les pays, car leur vision est très présidentialiste, avec des ministres, et je ne pense pas qu'ils aient la capacité ou les connaissances nécessaires pour que ces organes de premier et de deuxième niveau, comme ils les appellent, entretiennent un dialogue avec les peuples autochtones et les communautés locales. D'où l'importance de renforcer les ART TREES. Si ART TREES n'est pas renforcé, s'il n'exige pas ce dialogue et cette participation ou cette consultation, LEAF sera probablement un échec total.

Ainsi, le dialogue que nous avons suit deux lignes, l'une que ART TREES comprend, qu'il ne dit pas seulement que vous adoptez la sauvegarde, mais qu'il doit avoir la capacité de surveiller, d'exiger au niveau des pays où il va y avoir des investissements LEAF qu'ils se conforment et que non seulement le gouvernement le dit, mais qu'ils se conforment, qu'ils vérifient qu'ils se conforment aussi. Ce sera le grand défi de la LEAF à travers sa norme.

Traduction caro d'un reportage paru sur Servindi.org le 26/04/2022

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