Pérou : La CIDH a entendu la situation des défenseurs criminalisés pour s'être opposés à Conga
Publié le 22 Mars 2022
Le rapporteur José Francisco Calí Tzay a rappelé que l'État avait l'obligation de reconnaître les droits des autochtones. Photo : IISD
Après l'audience publique à laquelle ont participé des représentants des patrouilles paysannes (rondas) de Cajamarca et de l'État péruvien, la Commission analysera si l'affaire doit passer devant la Cour.
Servindi, 16 mars, 2022 - La Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH) a entendu la situation des paysans criminalisés qui dénoncent l'absence de consultation préalable pour le mégaprojet minier Conga à Cajamarca.
Lors d'une audience publique, à laquelle a participé le rapporteur des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, les représentants des patrouilles paysannes ont également fait connaître les failles environnementales du projet.
Pour leur part, les représentants de l'État ont fait valoir qu'il n'était pas approprié d'appliquer la consultation préalable dans ce cas car, selon eux, les patrouilles paysannes de la région n'appartiennent pas aux peuples autochtones.
"La seule chose que l'État doit faire est de reconnaître ce type d'auto-identification et d'auto-organisation qu'ils [les patrouilles paysannes] ont décidé de prendre", a déclaré le rapporteur José Francisco Calí Tzay lorsqu'il a été consulté.
Après évaluation de l'affaire, il sera décidé si elle sera portée devant la Cour interaméricaine des droits de l'homme (Cour CIDH).
Audience de la Commission
Le mardi 15 mars s'est tenue l'audience publique de l'affaire 13.641, au cours de laquelle les Communautés et Patrouilles Paysannes de Celendín, Hualgayoc-Bambamarca et Cajamarca sont intervenues devant l'Etat péruvien.
L'affaire dénonce la responsabilité de l'État péruvien pour le manque de consultation et de consentement libre, préalable et informé des communautés paysannes dans l'installation et l'exploitation de Conga, ainsi que la criminalisation des dirigeants communautaires.
Manuel Ramos Campos, représentant des Rondas Campesinas de Bambamarca, a dénoncé le fait que l'État n'a consulté à aucun moment afin d'établir des concessions minières dans "la source d'eau la plus importante de Cajamarca".
" L'État établit des exigences supplémentaires pour appliquer les droits des peuples autochtones, mais selon ses propres critères. L'État a ses propres directives qui limitent les droits des peuples autochtones", a-t-il déclaré.
Comme il l'a indiqué, les communautés n'ont découvert le projet que lorsque Yanacocha était prêt à réaliser les travaux, situation pour laquelle elles se sont mobilisées pour protester et se sont adressées à toutes les instances locales, régionales et nationales.
Devant la Commission, le leader rondero, bénéficiaire d'une mesure de précaution de la CIDH, a souligné que le gouvernement a toujours voulu imposer le projet par la force : avec l'utilisation de policiers et de militaires et l'état d'urgence.
En ce sens, il a rappelé le harcèlement et la persécution que subissent encore les ronderos, avec d'innombrables plaintes, des poursuites pénales et des condamnations injustes, comme dans le cas du communicateur César Estrada.
"Nous sommes criminalisés pour avoir défendu nos territoires ancestraux, nos lacs, nos rivières et nos sources. Chaque fois qu'ils sont sortis pour manifester, ils ont été dénoncés par les procureurs de l'État et les avocats de Yanacocha", a déclaré Ramos Campos.
Il a également rappelé que la mine à ciel ouvert aura un impact sur les activités de subsistance telles que l'agriculture, l'élevage et le tourisme. Une situation qui n'a pas été envisagée dans sa véritable dimension dans l'étude d'impact environnemental.
"Elle affectera 700 sources, 120 systèmes d'eau potable, plus de 18 canaux d'irrigation, plus de 200 hectares de zones humides, plus de 17 200 hectares de prairies...", a déclaré le leader rondero.
Identité refusée
Au cours de l'audience, le principal argument avancé par l'équipe représentant l'État portait sur la question de savoir si les communautés et les patrouilles paysannes de la région pouvaient être considérées comme faisant partie d'un peuple autochtone.
En outre, ils ont fait valoir que les instances internes de l'affaire n'avaient pas été épuisées et que la CIDH n'avait aucune compétence dans le processus des procédures de reconnaissance ou d'identification d'un collectif en tant que peuple autochtone.
Carlos Llaja Villena, représentant du Bureau du médiateur, a souligné la préoccupation de l'État quant au manque de clarté des représentants légaux, des pétitionnaires et des victimes présumées.
Lors de l'audience, le leader rondero a également été interrogé par Carlos Miguel Reaño Balarezo, qui l'a questionné sur son statut d'indigène et sur le niveau de représentation des rondas campesinas à Bambamarca.
M. Ramos a réaffirmé son identification en tant que descendant de peuples ancestraux et a rappelé les pratiques collectives que les patrouilles paysannes maintiennent aujourd'hui.
Par ailleurs, interrogé par le procureur sur le soutien d'autres leaders rondero au projet Conga, Ramos a rappelé que ces acteurs sont des opérateurs de la compagnie minière Yanacocha, par le biais de son ONG Foncreagro.
Obligation de comptabilisation
L'audience a également été abordée par le rapporteur José Francisco Calí Tzay qui, en tant qu'expert en la matière, a expliqué le cadre juridique qui protège les demandes d'auto-identification des autochtones.
Bien qu'il ait maintenu qu'il n'existe pas de définition stricte des peuples autochtones dans le droit international, il a précisé que cela n'était pas nécessaire pour défendre leurs droits.
À des fins pratiques, il a souligné qu'il leur suffit de s'auto-identifier, ainsi que certains des aspects liés au territoire, à la continuité historique, à la langue, à l'organisation, entre autres.
"Ce sont les peuples autochtones qui décident de cette auto-identification : parler de leur histoire, parler de leur appartenance à un peuple ancestral, avoir un territoire défini, s'organiser de la même manière que leurs ancêtres", a déclaré le rapporteur.
Dans le même ordre d'idées, Calí Tzay a indiqué que les rondas campesinas étaient des formes claires d'organisation des peuples indigènes au Pérou, et qu'elles "répondent donc aux critères établis par la Convention 169 de l'OIT".
"La forme d'organisation des peuples autochtones n'est pas statique. Au fil du temps, ils ont réussi à se transformer. Ce qui est certain, c'est que les patrouilles paysannes ont des formes historiques de pratique de leur identité communautaire", a-t-il souligné.
Par ailleurs, l'expert a souligné que les communautés paysannes sont connues en tant que telles depuis 1969 au Pérou. Toutefois, ce changement imposé n'annule pas leurs droits, car les rondas campesinas appartiennent aux peuples autochtones.
"Il n'est pas forcément nécessaire de réaliser des études pour identifier leur identité indigène, car nous donnerions à l'État le droit de définir qui est indigène et qui ne l'est pas. Ce droit appartient aux peuples autochtones et à leurs communautés", a-t-il déclaré.
Le rapporteur a également indiqué que la non-reconnaissance des droits des autochtones est un échec historique des États du continent et d'autres régions. Or, ils ne veulent pas les reconnaître comme tels afin de ne pas appliquer la consultation préalable.
"Ce sont les peuples autochtones qui doivent s'auto-identifier et l'État a l'obligation de les reconnaître", a déclaré Calí Tzay.
Routes fermées
Comme l'a rappelé la représentation juridique de la partie pétitionnaire, dirigée par l'avocate Raquel Yrigoyen, le mégaprojet Conga durerait environ 20 ans et assècherait tout le système hydrique des têtes de bassin versant de la région.
Si certains lacs seront utilisés pour l'extraction de l'or et du cuivre, des centaines d'autres sources serviront de réservoirs, a précisé Mme Yrigoyen.
"Comme nous sommes à la tête des bassins fluviaux, cela affectera tous les habitants en aval, les communautés paysannes et les rondas campesinas", a-t-elle déclaré.
En ce qui concerne la mise en cause des représentants de l'État pour non-épuisement des instances internes, l'avocate a rappelé la série de sentences rendues par la Cour constitutionnelle, comme la récente négation de la consultation préalable comme droit fondamental.
"La voie de la Cour constitutionnelle a été fermée aux peuples, non seulement en termes de consultation et de consentement, mais aussi en termes de défenseurs", a-t-elle déclaré.
"La Cour constitutionnelle a fermé la voie aux peuples pour qu'ils puissent protéger leurs droits de cette manière, c'est pourquoi ils ont dû s'adresser à la Commission interaméricaine", a-t-elle ajouté.
Compte tenu de tout cela, elle a demandé à la Commission d'admettre l'affaire afin qu'elle puisse être portée devant la Cour interaméricaine des droits de l'homme (CIDH), de sorte que les demandes des communautés de Cajamarca contre Conga puissent être entendues.
traduction caro d'un article paru sur Servindi.org le 16/03/2022
CIDH escuchó situación de defensores criminalizados por oponerse a Conga
Tras la audiencia pública en la que participaron representantes de rondas campesinas de Cajamarca y del Estado Peruano, la Comisión analizará si el caso pasa a la Corte. Servindi, 16 de marzo ...