Brésil : Les barrages sur le rio Jamanxim menacent l'environnement et les populations autochtones : 2 - Impacts des barrages prévus
Publié le 1 Avril 2022
Real Amazonia
Par Philip Martin Fearnside
Publié : 29/03/2022 à 18:54
Les trois projets hydroélectriques prévus sur le rio Jamanxim sont tous des barrages de stockage, ce qui signifie qu'ils disposent de réservoirs où le niveau d'eau peut être abaissé pour continuer à produire de l'énergie pendant la saison sèche, lorsque le débit non régulé de la rivière est insuffisant. Ce type de barrage a des impacts plus importants que les barrages au fil de l'eau, qui utilisent le débit naturel pour produire de l'énergie. Les barrages de stockage ont généralement des réservoirs plus grands par rapport à leurs capacités installées, inondant ainsi plus de terres (et de personnes), et l'eau du réservoir se stratifie généralement en couches, offrant des conditions idéales pour la production d'un puissant gaz à effet de serre : le méthane. En 2013, la présidente de l'époque, Dilma Rousseff, a annoncé un changement de politique visant à donner la priorité aux barrages de stockage plutôt qu'aux barrages au fil de l'eau [1], ce qui a été maintenu par les présidents suivants (par exemple [2]).
Les impacts environnementaux sur le rio Jamanxim incluent la perte d'écosystèmes aquatiques et terrestres, comme pour d'autres barrages amazoniens [3]. Les barrages amazoniens peuvent également émettre des quantités substantielles de gaz à effet de serre, en particulier du méthane [4, 5]. On a calculé que les trois barrages proposés ont un impact plus important sur le réchauffement de la planète que la production d'électricité à partir de combustibles fossiles [6] (figure 3). Ces barrages sont particulièrement dommageables pour le climat si l'on considère l'impact des gaz sur une période de 20 ans, qui est le délai dans lequel le réchauffement de la planète doit être contrôlé pour éviter les conséquences catastrophiques de laisser les températures mondiales franchir les points de basculement du système climatique mondial [7].
Figure 3 : Émissions de gaz à effet de serre calculées pour les trois barrages prévus sur le rio Jamanxim, en kilogrammes d'équivalent CO2 par mégawattheure d'électricité produite (Source : [6]). Le vert indique une méthode de calcul "ascendante", et l'orange "descendante". Les barres sont composées de points représentant les résultats de 10 000 simulations. La barre GWP100 utilise un horizon de 100 ans pour convertir le méthane en équivalents CO2, tandis que GWP 20 utilise un horizon de 20 ans, qui est l'horizon pertinent pour respecter l'accord de Paris et éviter de franchir les points de basculement climatique. Les facteurs de conversion ("GWP") sont issus du 5e rapport d'évaluation (AR5) du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) : 34 pour 100 ans et 86 pour 20 ans. Les lignes pointillées verticales du graphique représentent les émissions médianes des centrales électriques utilisées par le GIEC. Les lignes, de gauche à droite, concernent l'électricité, le gaz naturel, le pétrole et le charbon.
L'absence presque totale d'oxygène au fond d'un réservoir tel que ceux des barrages prévus sur le rio Jamanxim entraîne la production de méthane lorsque la matière organique se décompose dans les sédiments (par exemple, [8]). Les mêmes conditions conduisent au processus chimiquement similaire de méthylation du mercure, qui transforme le mercure élémentaire en méthylmercure hautement toxique [9]. Le mercure s'est naturellement accumulé au cours des millénaires dans les anciens sols de l'Amazonie [10, 11] et, dans cette partie de l'Amazonie, une grande quantité de mercure a été libérée par l'extraction de l'or [12].
L'utilisation du mercure est très répandue car c'est le moyen le moins cher de séparer l'or des sédiments alluviaux [13], et on a trouvé des concentrations de mercure de 0,060 à 0,126 milligrammes par litre dans l'eau sur les sites de ces barrages ([15], p. 35). Les concentrations de mercure augmentent par bioconcentration lors du passage dans la chaîne alimentaire, la concentration augmentant d'un facteur dix environ à chaque maillon de la chaîne [16]. Les poissons prédateurs, tels que le tucunaré (Cichla ocelaris), qui dominent souvent les réservoirs amazoniens, sont au sommet de la chaîne alimentaire aquatique, et les humains en sont le maillon suivant. Ainsi, les populations humaines vivant à proximité des réservoirs présentent des concentrations dangereusement élevées dans leur organisme [9, 17, 18].
La décision du gouvernement brésilien de commencer les préparatifs de ces trois barrages est de mauvais augure pour l'Amazonie à plusieurs égards. Le plan énergétique national 2050 [19] et les plans décennaux (par exemple [20]) contiennent des passages sinistres suggérant qu'il y aurait une expansion majeure des barrages au-delà de ceux actuellement listés pour la construction si les barrages dans les zones indigènes et les zones protégées (zones protégées pour la biodiversité) sont autorisés [21]. Le bassin de Tapajós accueille des plans pour 30 grands barrages, dont les trois qui sont actuellement en préparation [22].
Les impacts des barrages en Amazonie ont régulièrement été largement sous-estimés dans les évaluations d'impact environnemental utilisées dans le processus d'autorisation (par exemple, [23]). Ces barrages ne sont pas non plus justifiés par des raisons purement monétaires (par exemple [24, 25]). C'est un phénomène mondial, comme le montre une étude mondiale des barrages existants [26]. Le Brésil a la chance d'avoir de bien meilleures options, notamment en n'exportant pas d'électricité sous forme d'aluminium et d'autres produits à forte intensité électrique [27] et en développant l'énorme potentiel du pays en matière d'énergie éolienne et solaire [21, 28 -31].
Eletronorte a déclaré au journal O Estado de São Paulo que "tous les projets sont techniquement réalisables et apporteraient de grands avantages à la population brésilienne, car ils sont propres, renouvelables et potentiellement moins coûteux que les autres sources de production" [32]. Pour les raisons exposées dans les ouvrages cités ci-dessus, cet auteur conteste toutes ces affirmations.
L'image qui ouvre cet article montre une vue aérienne du rio Jamanxim à Novo Progresso, Pará (Photo : Vinícius Mendonça/Ibama).
Notas
1] Borges, A. 2013. Dilma defende usinas hidrelétricas com grandes reservatórios. Valor Econômico, 06 de junho de 2013.
[2] Borges, A. 2016. Diretor-geral de Aneel defende retorno de hidrelétricas com grandes reservatórios. O Estadão. 30 de setembro de 2016.
[3] Fearnside, P.M., E. Berenguer, D. Armenteras, F. Duponchelle, F.M. Guerra, C.N. Jenkins, P. Bynoe, R. García-Villacorta, F.M. Guerra, M. Macedo, A.L. Val & V.M.F. de Almeida-Val. 2021. Drivers and impacts of changes in aquatic ecosystems. Chapter 20 In: C. Nobre & A. Encalada (eds.)Amazon Assessment Report 2021. Science Panel for the Amazon (SPA). United Nations Sustainable Development Solutions Network, New York, USA. Part II, p. 305-343.
[4] Fearnside, P.M. 2019. Hidrelétricas em florestas tropicais como fontes de gases de efeito estufa. p. 77-110. In: A.V. Galucio & A.L. Prudente (eds.) Biota Amazônica – Museu Goeldi 150 Anos. Museu Paraense Emílio Goeldi-MPEG, Belém, Pará. 387 p.
[5] Fearnside, P.M. 2016. Emissões de gases de efeito estufa das represas hidrelétricas da Amazônia brasileira (tradução de Fearnside, P.M. 2016. Greenhouse gas emissions from Brazil’s Amazonian hydroelectric dams. Environmental Research Letters 11: art. 011002.
[6] de Faria, F.A.M, P. Jaramillo, H.O. Sawakuchi, J.E. Richey & N. Barros. 2015. Estimating greenhouse gas emissions from future Amazonian hydroelectric reservoirs. Environmental Research Letters 10(12): art. 124019.
[7] Fearnside, P.M. 2017. Hidrelétricas e o IPCC. Amazônia Real.
[8] Fearnside, P.M. & S. Pueyo.2012. Underestimating greenhouse-gas emissions from tropical dams. Nature Climate Change 2(6): 382–384.
[9] Forsberg, B.R., M. Melack, T. Dunne, R.B. Barthem, M. Goulding, R.C.D. Paiva, M.V. Orribas & U.L. Silva, Jr. 2017. The potential impact of new Andean dams on Amazon fluvial ecosystems. PLoS ONE 1(8): art. e0182254.
[10] Wasserman, J.C., S. Hacon & M.A. Wasserman. 2003. Biogeochemistry of Mercury in the Amazonian Environment. Ambio 32(5): 336-342.
[11] Fearnside, P.M. 2015. Impactos Sociais da Barragem de Tucuruí. p. 37 -52. In: Hidrelétricas na Amazônia: Impactos Ambientais e Sociais na Tomada de Decisões sobre Grandes Obras. Vol. 1. Editora do Instituto Nacional de Pesquisas da Amazônia (INPA), Manaus, Amazonas. 296
[12] Nevado J.J.B., R.C.R. Martín-Doimeadios, F.J.G. Bernardo Jiminez, M. Moreno, A.M. Herculano, J.L.M. do Nascimento & M.E. Crespo-López. 2008. Mercury in the Tapajós River basin, Brazilian Amazon: A review. Environment International 36(6): 593-608.
[13] Roulet, M., M. Lucotte, J.R.D., Guimarães & I. Rheault .2000. Methylmercury in water, seston, and epiphyton of an Amazonian River and its floodplain, Tapajos River, Brazil. Science of the Total Environment 261: 43–59.
[15] Forsberg, B.R. 2015. Qualidade da água: Monitoramento dos níveis de mercúrio. p. 31-36. In: R. Nitta & L.N. Naka (eds.) Barragens do rio Tapajós: Uma avaliação crítica do Estudo e Relatório de Impacto Ambiental (EIA/RIMA) do Aproveitamento Hidrelétrico São Luiz do Tapajós. Greenpeace Brasil, São Paulo, SP. 99 p.
[16] Kasper, D. B.R. Forsberg, H.A. Kehrig, J.H.F. Amaral, W.R. Bastos & O. Malm. 2018. Mercury in black-waters of the Amazon. p. 39-56 In: Randall W. Myster (Ed.) Igapó (black water flooded forests) of the Amazon Basin. Springer, Amsterdam, Paises Baixos. 311 p.
[17] Leino, T. & M. Lodenius. 1995. Human hair mercury levels in Tucuruí area, State of Pará, Brazil. The Science of the Total Environment 175: 119-125.
[18] Passos, C. & D. Mergler. 2008. Human mercury exposure and adverse health effects in the Amazon: A review. Cadernos de Saúde Pública 24: S503–S520.
[19] EPE (Empresa de Pesquisa Energética) 2020. PNE 2050 Plano Nacional Energia. Ministério de Minas e Energia, EPE, Brasília, DF. 230 p.
[20] EPE (Empresa de Pesquisa Energética) 2020. Plano Decenal de Expansão de Energia 2029. *, DF. 391 p.
[21] Fearnside, P.M. 2020. Os preocupantes planos do Brasil para hidrelétricas na Amazônia (opinião). Mongabay, 10 de novembro de 2020.
[22] Fearnside, P.M. 2015. Barragens do Tapajós. Amazônia Real.
[23] Fearnside, P.M. 2016. A Hidrelétrica de São Luiz do Tapajós. Amazônia Real.
[24]) Fearnside, P.M. 2014. Barragens do Rio Madeira-Impactos. Amazônia Real.
[25] Fearnside, P.M. 2017. Belo Monte – Atores e argumentos. Amazônia Real.
[26] Ansar, A., B. Flyvbjerg, A. Budzier & D. Lunn. 2014. Should we build more large dams? The actual costs of hydropower megaproject development. Energy Policy 69: 43–56.
[27] Fearnside, P.M. 2016. Alumínio e Barragens: Amazônia Real.
[28] Baitelo, R., M. Yamaoka, R. Nitta & R. Batista. 2013. [R]evolução energética: A caminho do desenvolvimento. Greenpeace Brasil, São Paulo, SP.
[29] Fearnside, P.M. 2019. Justiça ambiental e barragens amazônicas. Amazônia Real.
[30] Prado, A.P., S. Athayde, J. Mossa, S. Bohlman, F. Leite & A. Oliver-Smith 2016: How much is enough? An integrated examination of energy security, economic growth and climate change related to hydropower expansion in Brazil. Renewable and Sustainable Energy Reviews 53: 1132-1136.
[31] Moreira, P.F. (ed.) 2012: Setor elétrico brasileiro e a sustentabilidade no século 21: Oportunidades e desafios. 2a ed. Rios Internacionais, Brasília, DF.
[32] Borges, A. 2022. Aneel libera estudos para instalar três megausinas na Amazônia. Estadão Conteúdo, 27 de janeiro de 2022.
traduction caro d'un article paru sur Amazônia real le 27/03/2022