Décoloniser l'histoire. Thanksgiving, un jour de deuil pour les Indiens d'Amérique du Nord
Publié le 13 Février 2022
Le troisième jeudi de novembre, jour de Thanksgiving, les Américains se souviennent du festin par lequel, en 1621, les colons pèlerins et le peuple Wampanoag ont rendu grâce pour leur première récolte sur le sol américain. Pour les autochtones, en revanche, c'est le jour de deuil national.
L'histoire officielle raconte qu'en 1620, la Virginia Company a organisé le voyage du navire Mayflower avec un groupe de pèlerins puritains qui fuyaient les persécutions religieuses en Europe et voulaient établir une colonie en Amérique. Les voyageurs débarquent à Plymouth, aujourd'hui Massachusetts, plus au nord que prévu et à l'orée de l'hiver. Pendant les mois qui suivirent, ils survécurent grâce aux Wampanoag de la région, auprès desquels ils obtinrent de la nourriture et de la subsistance, ainsi que la technique de culture des denrées alimentaires américaines. Il se trouve que si la moitié d'entre eux sont morts cet hiver-là de faim et de froid à bord du Mayflower, les autres, après avoir cultivé la terre, ont eu une bonne récolte l'automne suivant. Pour célébrer et remercier Dieu, ils ont organisé un festin et l'ont partagé fraternellement avec les indigènes, à qui ils devaient tant. Ce fut l'origine de Thanksgiving.
Ce mythe fondateur des Anglo-Saxons en Amérique du Nord, dont la célébration justifie l'un des rares jours fériés aux Etats-Unis, comporte un certain nombre d'inexactitudes, notamment dans l'occultation des aspects aberrants de la colonisation.
D'emblée, il convient de noter que :
- La colonisation anglo-saxonne était une entreprise privée à des fins économiques et de liberté de culte pour les puritains, qui ne représentaient que 30% de l'entreprise.
- À leur arrivée, les colons trouvent les Wampanoag, une confédération de 69 tribus, chacune gouvernée par un sachem qui, à son tour, répondait à un sachem général (massasoit), nommé Osamequen, de la tribu Masphee, élu par ses pairs.
- Avant l'arrivée du Mayflower, les pirates et les commerçants de fourrures avaient déjà établi des contacts avec les Indiens. Ainsi, certains indigènes comprenaient et s'exprimaient en anglais (c'est le cas de Squanto, emmené comme esclave en Angleterre et revenu en Amérique comme "opérateur" pour le compte de ses maîtres) ou encore que les Wampanoag souffraient, depuis trois ans, d'une épidémie dévastatrice d'origine européenne qui les désavantageait face aux Narragansett, avec lesquels ils étaient en guerre.
Face à cette situation, et après avoir "surmonté" l'hiver au prix de grandes privations (ils ont même profané des tombes et mangé la nourriture laissée en offrande), les Pèlerins ont déployé une stratégie grossière pour déloger les Wampanoag de leurs terres en échange de la protection d'armes à feu.
L'interprète Squanto a joué un rôle néfaste dans cette opération, lui qui, dès le début, s'est comporté comme un intermédiaire consentant (il a appris aux colons à cultiver des plantes alimentaires), mais qui, plus tard, au moyen d'une traduction trompeuse, a incité les indigènes à signer un traité aux termes duquel ils se sont soumis aux autorités coloniales. Les humiliations, les abus et les dépossessions ont rapidement usé les relations et les Wampanoag ont commencé à vivre dans un état d'alerte et de méfiance.
Après leur première récolte, les colons organisent une fête et, dans la liesse, tirent une volée de coups de feu en l'air. Alarmé, Osamequen se présente au village avec 90 hommes sur le sentier de la guerre, les Anglais n'ont donc pas d'autre choix que de partager le repas avec eux. Ils n'ont jamais été invités.
L'issue de cette situation ne pouvait être que violente et, après de multiples affrontements, seules 3 des 69 tribus initiales ont survécu à l'occupation des territoires par les colons blancs.
Il convient de noter que toutes ces informations, fondées sur les chroniques publiées en 1622 par le chef des pèlerins Edward Winslow et d'autres références de l'époque (qui servent de base aux historiens effectuant des recherches sur le sujet) ne précisent pas la date de la célèbre fête. Ce que l'on sait, c'est qu'en 1863, en pleine guerre civile et cherchant à réconcilier les parties belligérantes, le président Abraham Lincoln a formellement imposé le jour de Thanksgiving le dernier jeudi de novembre.
Thanksgiving et résistance
En novembre 1969, un groupe de militants indiens a organisé le premier acte public de protestation en occupant la prison d'Alcatraz, dans la baie de San Francisco. Ils réclamaient la justice et le respect des 368 traités auxquels le gouvernement n'a jamais prêté attention. C'est ainsi qu'est née la visibilité des droits autochtones ignorés et du pouvoir de la protestation.
En 1970, le Sachem Frank James a été invité à écrire un discours commémorant l'arrivée des Pèlerins en 1620. Il a notamment déclaré : "Nous, les Wampanoag, t'avons accueilli à bras ouverts, homme blanc, sans savoir que c'était le début de la fin". Face au refus de James de corriger son discours, le gouverneur Frank Sargent lui interdit de prendre la parole, ce qui entraîne la création du National Day of Mourning le jour de Thanksgiving, exprimant ainsi un profond sentiment de résistance.
En 1970 également, un groupe de militants a escaladé le Mont Rushmore, occupant le site pendant des mois, et en 1973, la réserve de Wounded Knee dans le Dakota du Sud. En 2016, la réserve de Standing Rock, également dans le Dakota du Sud, a été occupée en opposition au pipeline Dakota Access.
L'année dernière, comme c'est devenu la coutume, le jour du deuil, des centaines de Wampanoag et de membres d'organisations de défense des droits des autochtones se sont réunis à Plymouth pour protester contre "le génocide de millions d'autochtones, le vol de leurs terres et l'effacement de leur culture". Pendant ce temps, sur Alcatraz, vers 4 heures du matin, des centaines de bateaux tournaient déjà autour de l'île en souvenir de la saisie de 1969. Une semaine plus tôt, dans une reconnaissance sans précédent, la secrétaire fédérale à l'intérieur Deb Haaland, originaire du Laguna Pueblo, au Nouveau-Mexique, a visité l'île, rejoignant ceux qui n'oublieront pas la véritable histoire de la rencontre avec les blancs et ses conséquences dévastatrices. "Nous ne sommes pas partis", tel est le slogan.
Par Maria Ester Nostro
sources
https://indiancountrytoday.com/news/400-years-later-we-did-not-vanish?fbclid=IwAR3sbVhJF4BnuL-rGOWmHa2fRv0u3C959Q0W8GzucdzgPAuTZdjhADFMU5Q400 años después, "no desaparecimos"
https://latinta.com.ar/2021/11/estados-unidos-resistencia-indigena/
11/02/2022
traduction caro d'un article paru sur Elorejiverde le 11/02/2022
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