L'impardonnable solitude de Julian Assange

Publié le 5 Janvier 2022

La concentration antidémocratique des pouvoirs médiatiques n'a jamais assumé, et encore moins défendu, un vrai journaliste comme Assange, mais s'est donné beaucoup de mal pour cacher des informations sur cette affaire.

Par Atilio A. Boron*

Página12, 2 janvier 2022 - Julian Assange est enterré par la "Justice" britannique dans une prison de haute sécurité. Buried n'est pas un appel rusé à un mot qui fait frémir, mais une description sobre de la cellule dans laquelle - petit à petit, heure après heure - le fondateur de WikiLeaks purge la peine de mort qui lui a été réservée.

La raison ? Pour avoir divulgué à la presse des centaines de milliers de documents prouvant les innombrables meurtres, tortures, bombardements et atrocités perpétrés par Washington en Irak, en Afghanistan et dans d'autres pays, qu'elle a soigneusement dissimulés. C'était le crime d'Assange : informer, dire la vérité. Et c'est un affront impardonnable à l'empire qui a persécuté le journaliste pendant des années.

 Le courage du président Rafael Correa (déjà démontré lorsqu'il a expulsé les troupes américaines de la base de Manta) l'a mis à l'abri de cette menace en lui accordant non seulement l'asile à l'ambassade d'Équateur à Londres, mais aussi la citoyenneté équatorienne. L'incapacité morale nauséabonde de son successeur corrompu, Lenín Moreno, a privé Assange des deux et l'a remis sans arme aux autorités britanniques, c'est-à-dire à l'un des lieutenants les plus méprisables de la Maison Blanche. Et il est toujours là, attendant ce qui semble être une fin inéluctable : son extradition vers les Etats-Unis.

Là, le journaliste sera exhibé comme un trophée, torturé psychologiquement et physiquement jusqu'à l'indicible, puis, avec une ruse maudite, condamné à une peine sévère, bien qu'inférieure aux 175 ans demandés par le procureur, et envoyé en prison, où il sera peu après poignardé à mort dans une "bagarre de détenus" bien orchestrée. Dans un étalage sans fin d'hypocrisie, Washington s'empressera de déclarer qu'il regrette cette issue malheureuse et le président enverra ses condoléances aux personnes endeuillées. Une morale que l'empire souhaite graver dans la pierre : "quiconque révèle nos secrets le paiera de sa vie".

Nous avons parlé de la solitude d'Assange en ces derniers jours de l'année fatidique 2021 et l'avons qualifiée d'impardonnable. Pourquoi ? Car l'épreuve qui a martyrisé l'Australien n'a pas provoqué, sauf à Londres, de manifestations massives de solidarité et de soutien à sa cause. Il est surprenant et inquiétant que cela n'ait pas été repris par la gauche et les mouvements populaires qui ont mené de grandes batailles à la fin du siècle dernier et au début de celui-ci contre l'Accord Multilatéral d'Investissement - avorté dès que ses clauses secrètes et léonines ont été révélées par des hackers canadiens - ou contre le néolibéralisme, la ZLEA et les accords de libre-échange, ne se mobilisent pas aujourd'hui pour demander la libération immédiate d'Assange. Je crois que cette situation malheureuse est due à plusieurs facteurs : premièrement, l'affaiblissement et/ou la désorganisation des forces sociales qui ont mené ces grandes batailles, en raison de l'attaque permanente subie aux mains des gouvernements néolibéraux ; deuxièmement, l'exclusivité suicidaire que les questions économiques ont dans la construction de l'agenda des mouvements de protestation, alors que celles-ci ne peuvent pas être la seule question qui fait appel à leur militantisme. La lutte anticapitaliste et anti-impérialiste a plusieurs facettes, et la bataille pour l'information et la publicité des actions du gouvernement en est une. Et Assange y est notre héros, qui résiste dans la solitude. À cela s'ajoute un troisième facteur : le rôle désastreux de la "presse libre", c'est-à-dire la concentration antidémocratique des pouvoirs médiatiques qui n'ont jamais pris la défense d'un vrai journaliste comme Assange, mais se sont plutôt donné beaucoup de mal pour cacher des informations sur l'affaire. Les "crapules médiatiques", qui n'ont rien à voir avec la noble profession de journaliste, se sont volontairement alignées pour cacher les crimes dénoncés par Assange et justifier son emprisonnement. En d'autres termes, il est devenu le complice de ses bourreaux.

Espérons que la gauche et les mouvements populaires réagiront à temps et abandonneront leur aboulie sur cette question. Beaucoup peut encore être fait pour sauver la vie d'Assange : d'un tweet mondial de soutien à sa cause à l'encouragement d'une cyber-militante massive dans les réseaux sociaux, en passant par l'organisation de manifestations de rue massives dans les principales villes du monde pour réclamer sa liberté et faire pression sur les gouvernements pour qu'ils se montrent solidaires du journaliste muselé... Il est encore temps. Les grandes organisations populaires ne peuvent et ne doivent pas être complices de son martyre. Ne lâchez pas la main d'Assange, ne le laissez pas seul !

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* Atilio A. Boron est un sociologue, politologue, professeur et écrivain argentin. Doctorat en sciences politiques à l'Université d'Harvard.

source d'origine https://www.pagina12.com.ar/392590-la-imperdonable-soledad-de-julian-assange 

traduction caro d'un article paru sur Servindi.org le 02/01/2021

Rédigé par caroleone

Publié dans #Assange, #Liberté de la presse, #prisonniers politiques, #Solidarité

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