Honduras : Une législation forte et efficace contre les abus des entreprises, demande Bertha Zúniga à la Commission européenne

Publié le 13 Novembre 2021

COPINH
11 novembre 2021

Bertha Zúniga, coordinatrice générale de COPINH, écrit à la Commission européenne pour demander que soit garantie une législation solide et efficace face à la proposition de loi de l'Union européenne sur la "gouvernance durable des entreprises".

"Je vous écris du Honduras au sujet de la proposition de législation de l'Union européenne (UE) sur la gouvernance durable des entreprises. Au nom du Conseil civique des organisations populaires et indigènes du Honduras (COPINH), je vous demande de veiller à ce que la législation soit solide et efficace, afin d'empêcher les violations brutales des droits de l'homme par les entreprises, telles que celles dont ma famille a été victime."

M. Didier Reynders, Commissaire à la Justice

M. Thierry Breton, Commissaire au Marché intérieur

Commission européenne

28 octobre 2021

RE : La proposition de loi européenne sur le gouvernement d'entreprise durable

Cher Commissaire Reynders, Cher Commissaire Breton,

Je vous écris du Honduras au sujet de la proposition de législation de l'Union européenne (UE) sur le gouvernement d'entreprise durable. Au nom du Conseil civique des organisations populaires et indigènes du Honduras (COPINH), je vous demande de veiller à ce que la législation soit solide et efficace, afin de prévenir les violations brutales des droits de l'homme par les entreprises, telles que celles dont ma famille a été victime.

Ma mère, Berta Cáceres, est née à La Esperanza, au Honduras, en 1971, sur le territoire du peuple indigène Lenca. Dès son plus jeune âge, elle a été sensible à la condition de violence et de discrimination des femmes Lenca. À l'âge de 22 ans, elle a cofondé le COPINH, dont l'objectif est de défendre les droits territoriaux et fondamentaux du peuple Lenca.

Des dizaines de communautés Lenca se sont organisées avec la nécessité d'obtenir la reconnaissance de leurs droits de propriété sur leurs terres ancestrales et de lutter pour la démilitarisation du Honduras.

Au cours des dernières années de sa vie, Berta Cáceres a été nommée coordinatrice générale du COPINH et a mené une campagne active contre les concessions accordées par les organismes publics après le coup d'État de 2009. Ces concessions illégales ont permis l'exploitation de terres et de ressources communales dans les territoires autochtones de tout le pays. Ces concessions violaient les droits spéciaux des peuples autochtones à la consultation libre, préalable et informée.

L'une des luttes les plus actives a été la défense du rio Gualcarque, où l'entreprise hondurienne DESA a tenté d'imposer par la force le projet hydroélectrique "Agua Zarca". Face au refus de l'État d'écouter les plaintes de la population locale, la communauté a mis en place un barrage routier. Comme il s'agissait d'une méthode efficace pour empêcher la construction du projet, l'entreprise, en alliance avec l'État, a déployé la répression, le harcèlement et la violence contre les communautés, le COPINH et surtout contre Berta Cáceres.

De 2013 jusqu'aux derniers jours de sa vie, Berta a dénoncé le financement et le soutien logistique que les banques et entreprises européennes apportaient au DESA. Après le meurtre de ma mère en mars 2016, ces entités financières et corporatives se sont dissociées du crime. Cependant, l'impact du crime et le tollé public ont été tels qu'ils ont dû geler temporairement les fonds. À la suite de l'arrestation des membres de DESA et de leur poursuite pour leur participation au crime, la société allemande et les banques néerlandaise et finlandaise ont dû se retirer du projet.

La vie de Berta Cáceres est irremplaçable. L'un des plus importants dirigeants indigènes et sociaux du Honduras a été sauvagement assassiné et les tribunaux honduriens ont récemment déclaré le président de DESA coupable d'avoir collaboré à l'organisation de son assassinat. Aujourd'hui, avec le COPINH, je cherche à obtenir la pleine justice pour ma mère et, même si je sais qu'elle ne reviendra pas, j'espère profondément que personne d'autre n'aura à vivre la douleur d'un tel crime.

La situation au Honduras n'est pas unique, ce type de crime se répète dans plusieurs pays d'Amérique latine et dans d'autres régions du monde. C'est pourquoi, en tant que peuple Lenca, nous soutenons la demande d'une plus grande régulation des entreprises, des banques et des investissements européens, afin d'éviter la répétition d'abus comme celui qui est arrivé à ma mère. Les entreprises européennes doivent appliquer les mêmes normes en matière de droits de l'homme que celles qui sont appliquées en Europe lorsqu'elles opèrent dans des pays comme le Honduras, où la vie de ceux qui défendent les territoires est gravement menacée.

Il est très encourageant pour nos communautés de savoir que la Commission européenne envisage de proposer une législation qui établirait des obligations juridiquement contraignantes pour les entreprises en matière de respect des droits de l'homme et de l'environnement. C'est une excellente occasion pour l'UE de montrer l'exemple en veillant à ce que les entreprises agissent de manière responsable. Toutefois, pour être significative et efficace, la législation doit être de grande envergure. Elle doit inclure la responsabilité de l'ensemble de la chaîne de valeur de l'entreprise et couvrir toutes les relations commerciales, y compris les investissements.

La législation devrait également exiger des entreprises qu'elles s'engagent de manière significative avec les communautés affectées et les défenseurs des droits de l'homme. Dans notre cas, si les entreprises et les banques européennes avaient été tenues par la législation de l'UE d'entreprendre un véritable processus d'évaluation des risques en matière de droits de l'homme, elles auraient dû déterminer que le projet était réalisé sans le consentement de nos communautés indigènes Lenca et, par conséquent, ne pas s'engager dès le départ dans une relation commerciale avec DESA.

Enfin, compte tenu des menaces graves et importantes auxquelles sont confrontés les défenseurs des droits de l'homme dans le monde, la législation devrait exiger des entreprises qu'elles évaluent et traitent explicitement les risques de représailles liés à leur chaîne de valeur dans le cadre du processus de diligence raisonnable en matière de droits de l'homme et d'environnement.

Monsieur le Commissaire Reynders, et Monsieur le Commissaire Breton, vous pouvez contribuer à ce que cette législation européenne visant à protéger les droits de l'homme soit suffisamment forte et efficace pour empêcher que de tels cas ne se reproduisent, et qu'elle permette également aux victimes d'accéder à la justice devant les tribunaux européens lorsque des abus sont commis.

Bertha Zúniga Cáceres Coordinatrice générale

Conseil civique des organisations populaires et indigènes du Honduras (COPINH)

M. Didier Reynders, Commissaire à la Justice

M. Thierry Breton, Commissaire au Marché intérieur

Commission européenne

28 octobre 2021

traduction caro d'un communiqué paru sur Desinformémonos le 11/11/2021

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