Californie : La dernière femme d'une langue
Publié le 16 Octobre 2021
Imaginez que vous êtes la dernière personne dans le monde entier à parler la langue dans laquelle vous êtes né, la langue qui vous a donné votre voix et votre nom. Toute votre tribu parle anglais et a oublié le premier mot, la racine, l'origine. Qui vous murmure maintenant les histoires qu'ils vous racontaient chaque soir avant de vous endormir ? Marie Wilcox était la seule femme sur terre qui parlait le wukchumni (yokut). Elle nous a quittés la semaine dernière, mais son héritage demeure. Grâce à son travail de récupération, elle a tout fait pour ne pas être la dernière, pour éviter que la langue qu'elle parlait enfant ne meure avec elle.
Dans Tristesse de la terre, l'écrivain Éric Vuillard parle de ces endroits des cimetières qui sont éloignés, mal entretenus, sans signes ni croix. Il n'y a pas de noms, pas de fleurs, personne ne leur rend visite. Parfois, on y trouve un caillou, une fleur qui a séché, un mot écrit à la craie sur le sol. Il n'y a rien d'autre. Pour lui, il n'y a rien de plus émouvant que ces tombes, parce que ce sont les tombes de l'humanité. Ne nous sommes-nous jamais interrogés sur les langues, les mots et les voix qui sont aussi allés sur terre avec eux ?
Il existe une légende qui raconte qu'il y a très, très longtemps, il n'y avait pas d'hommes, il n'y avait que des animaux. Et un jour, Aigle, le chef de tous, a décidé que les animaux devaient créer des personnes. Tous les animaux voulaient que les gens aient des mains comme les leurs.
Coyote et Lézard voulaient que leurs mains soient les mains choisies pour ceux à venir. Aigle a donc décidé qu'ils feraient la course l'un contre l'autre jusqu'au point le plus haut de la montagne. Celui qui atteindrait le sommet en premier et le toucherait de ses mains serait le gagnant. Et c'est Lézard qui est arrivé le premier. En sautant et en riant, il a dit : "Maintenant, les gens auront des mains comme les miennes."
Telle est l'histoire de Comment nous avons obtenu nos mains, une légende des Yokuts, une tribu californienne dont il ne reste que 200 membres. Mais un seule d'entre eux pouvait parler l'intégralité de leur langue, le wukchumni. Elle s'appelait Marie Wilcox et est décédée la semaine dernière à l'âge de 87 ans. Elle était la seule femme à le parler couramment et travaillait depuis plus de 20 ans sur un projet visant à empêcher la disparition de sa langue. Grâce à son travail, elle a créé une sorte de dictionnaire de la langue et un registre des enregistrements, mot à mot, avec l'aide de sa fille et de son petit-fils, afin que les racines de sa tribu et la langue dans laquelle elle est née survivent et ne disparaissent pas à jamais.
Le dictionnaire de Marie Wilcox n'a pas encore été publié.
Elle a passé de nombreuses journées à taper à la machine avec un doigt de chaque main, avec une détermination infinie à faire revivre la langue dans laquelle elle a grandi. Un retour à l'enfance pour retrouver le Wukchumni : à la mort de sa grand-mère, seule femme de sa famille à n'avoir jamais parlé anglais, la racine et la langue sont parties avec elle. Et la tâche que Marie a entreprise n'était pas facile, car la langue n'avait jamais été écrite. Grâce au Dictionnaire de Marie, le merveilleux documentaire d'Emmanuel Vaughan-Lee, nous avons pu voir l'amour et la constance de la dernière femme à parler une langue en voie de disparition. Et c'est aussi grâce à ce disque que la famille de Marie a pris conscience de la valeur de ce que faisait leur grand-mère. Ils avaient besoin de voir leur grand-mère et ses paroles dans un documentaire pour apprécier sa culture, sa propre langue et le travail dont ils étaient témoins à la maison. Ils ont depuis rejoint le travail et le plaidoyer du Wukchumni. Nicholas Luna, Apache et contributeur au dictionnaire de Marie, dit qu'elle a allumé une flamme en eux, un feu qui les a encouragés à continuer à soigner et à parler leur langue. "Maintenant je rêve en Wukchumni".
Selon l'Unesco, rien qu'aux États-Unis, plus de 130 langues sont menacées de disparition, dont plus de 70 sont en danger critique d'extinction. Dans ce reportage du New York Times sur le travail de Marie Wilcox, nous découvrons également un fait accablant : on estime à 7000 le nombre de langues menacées dans le monde. La plupart d'entre elles sont issues des peuples autochtones. Beaucoup d'entre elles ne sont pas parlées, elles ne sont pas écrites, il n'y a même pas de traité ou de dictionnaire qui compile leurs histoires et leurs mots. L'assimilation culturelle et la relocalisation, toutes deux forcées, ont été, parmi d'autres facteurs qui ont fait tant de mal à ces peuples, la cause du fait que beaucoup de ces langues sont en danger d'extinction. Une culture de la terre infinie et précieuse que nous ne pouvons pas laisser mourir. En ces temps d'incertitude et d'urgence climatique où nous nous posons tant de questions et imaginons de nouveaux lendemains, les mots anciens et nouveaux peuvent peut-être nous aider à habiter le territoire et à créer de nouveaux liens, de manière diverse et différente, qui nous apprennent d'autres façons de voir le monde et d'entrer en relation avec lui et avec les autres êtres.
traduction caro d'un article du site almciga-jwa.es
La última mujer de una lengua - almáciga
Imagina que eres la última persona en todo el mundo que habla la lengua que te vio nacer, que te dio la voz y el nombre. Que toda tu tribu habla en inglés y ha olvidado la primera palabra, la ra...