Patricio Manns : Patricio Manns (1971)
Publié le 28 Septembre 2021
Cinquième album du compositeur chilien Patricio Manns, publié par Philips en 1971, avec la participation de l'Orchestre Symphonique du Chili, l' Orchestre Philarmonique de Santiago, les groupes Inti-Illimani et Los Blops, sous la direction du maestro Luis Advis. Toutes les chansons appartiennent à Patricio Manns, sauf "Edurne" et "Fiesta", qui sont l'œuvre du Catalan Joan Manuel Serrat. La chanson "El exiliado del sur" est une composition de Manns basée sur un texte de Violeta Parra.
L'album est actuellement épuisé.
Commentaire de Marisol García :
L'équipe musicale à l'origine du cinquième album de Patricio Manns s'inscrit dans une ère de talents d'une taille impressionnante et d'une volonté inhabituelle de travailler ensemble. La Nueva Canción Chilena a été, entre autres, un mouvement d'alliances, et pas seulement entre des musiciens liés par un même son ou un même engagement politique, mais aussi un pont entre des genres qui n'auraient jamais été liés de manière aussi étroite auparavant ou depuis. Los Blops, par exemple, sont présents sur quatre des douze titres de cet album, et leur présence se fait sentir comme on peut l'attendre d'un groupe de rock : avec une guitare électrique insistante dans "Su nombre ardió como un pajar" - un hommage à Che Guevara -, avec un clavier vif qui se teinte de psychédélisme dans "Tamara Bunke" et "Estación terminal", et avec la direction d'une guitare calme qui cède la place à une forte batterie dans "Edurne" (une reprise de la célèbre chanson de Joan Manuel Serrat, qui est l'un des deux titres de l'auteur catalan sur cet album : il y a aussi "La fiesta"). Mais il y a aussi des violons, des flûtes, des charangos et du cajón péruvien sur ces morceaux, puisque Inti-Illimani et l'orchestre philharmonique de Santiago sont les autres ensembles qui ont accompagné Manns sur un album dirigé artistiquement, par ailleurs, par Luis Advis. Les noms impliqués sont énormes. Il est surprenant qu'un album aussi historique reste aujourd'hui un objet de collection.
Le répertoire est également classique. " Valdivia en la niebla " est l'une des compositions les plus connues de l'auteur, qui combine habilement la description d'un virage sud et la nostalgie d'une passion amoureuse qui le submerge et lui fait chercher refuge - sans succès - dans le paysage :
Je me lasse de regarder l'eau parce que tes yeux sont dedans.
L'obscurité de la hauteur ne me libère pas de l'étoile.
Je ne veux pas toucher à tes terres et je m'éloigne dans les terres,
Je ne veux pas toucher l'air et je m'enveloppe dans une épaisse couverture,
Je ne veux pas mordre ton nom et je fume et fume en silence.
mais tu m'assailles de tout parce que tus vis dans tout.
Une guitare, la voix et ces vers désolés suffisent à imposer une solennité touchante.
Le mélange de nature et de romance est une constante de la discographie de Manns, deux préoccupations liées à son éducation méridionale et à l'intensité sentimentale qui a défini son charisme. C'est ce même regard que l'on retrouve dans "El canto de los gallos", autre fine ballade d'évocation amoureuse, qui rejoint en esprit les nombreux couplets d'adieu de cet album essentiellement nostalgique :
Au chant du coq
J'ai regardé ton départ
sculpté avec les signes
de deux pieds solitaires
se perdant si loin
que je peux à peine déchiffrer
tes promenades dans l'oubli.
La neige d'hiver
n'a pas pu me débarrasser de tes pas.
vidés dans les champs.
Les aromates ne peuvent pas non plus
mentir sur tes cheveux,
ni le féroce puelche
déformer tes chants
renversés en vol.
Bien que sorti en 1971, il s'agit du dernier album de Manns avant qu'il ne s'exile. Sorti en pleine Unité Populaire, on pourrait s'attendre à un enthousiasme évident d'Allende dans ses vers, mais celui-ci est à peine perceptible dans "No cierres los ojos" ("Ce sont des hommes de mon pays / répartis au hasard / qui brandissant leur espoir / et brandissant leurs lambeaux / et brandissant leur confiance / sont allés aux élections / pour gagner"), et l'auteur-compositeur-interprète semble plus intéressé à lier son agitation révolutionnaire à des histoires intimes, comme celles de "Morimos solos" ou "La ventana", toutes deux sur le départ anonyme de jeunes hommes vers la guérilla. Cette récurrence de récits de séparations, d'adieux et d'éloignements se lit avec inquiétude à la lumière des événements historiques : en moins de deux ans, Manns partira pour Cuba en asile, entamant un exil de quinze ans. "Estacion terminal", une chanson tendue et pleine de ruptures imaginatives, ne peut qu'être interprétée comme un avant-goût du magnifique chant d'exil que Manns lui-même développera plus tard en Europe :
Mon peuple, endormi par l'hiver, m'attendait.
A quoi je retourne ? A quoi je retourne ?
Vers quoi dois-je retourner ?
Suis-je le même solitaire
gardien des aubes
qui un jour a disparu ?
C'est un album plein de surprises, comme le précédent, et il contient aussi la grande injustice d'avoir la version originale mais peu connue de "El exiliado del sur". La musicalisation par Manns des décimas de Violeta Parra deviendra célèbre dans l'interprétation d'Inti-Illimani, enregistrée quelques mois après cet album pour Autores chilenos. Ici, ce sont également les Inti qui soutiennent Manns dans les arrangements, mais c'est sa voix qui mène le chant. En comparaison, cette première version semble plus brute (il n'y a pas d'harmonies vocales), mais tout aussi étonnante. Ce que Manns a fait avec une poésie encore inédite lorsqu'il l'a découverte et mise en musique, et qui, des années plus tard, a été reconnue comme correspondant à une forme folklorique appelée "cuerpo repartido", ne sera jamais pleinement apprécié. Violeta Parra, Inti-Illimani et Patricio Manns réunis dans une même chanson sur l'affection pour le Chili et le déploiement spirituel sur tout le territoire est l'un des sommets de notre musique populaire, mais ici il est présenté sans grand attirail comme un titre de plus sur un album qui n'était pas encore conscient de sa pertinence historique.
Marisol García
Source : Descatalogados
traduction carolita du site Perrerac.org
01. Edurne [Joan Manuel Serrat] (4:13)
02. Canción para levantar una casa [Patricio Manns] (4:52)
03. Estación terminal [Patricio Manns] (3:16)
04. Morimos solos [Patricio Manns] (3:48)
05. El exiliado del sur [Violeta Parra – Patricio Manns] (2:56)
06. Su nombre ardió como un pajar [Patricio Manns] (2:32)
07. Fiesta [Joan Manuel Serrat] (2:57)
08. Tamara Bunke [Patricio Manns] (2:26)
09. No cierres los ojos [Patricio Manns] (4:01)
10. El canto de los gallos [Patricio Manns] (4:09)
11. La ventana [Patricio Manns] (4:07)
12. Valdivia en la niebla [Patricio Manns] (5:33)
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