Dakichi Wamanokkaeri Dari Ontanojpua
Publié le 20 Septembre 2021
Image du sage Carlos Kameno, il y a un à deux ans. Photo : Paolo Peña.
Pour nous, il était bien plus qu'un ancien à respecter, bien plus qu'un leader. Il était un sage "Wayorokeri" (expert en prévisions) largement reconnu dans notre village. Il possédait l'esprit de l'eau (waweri)".
Dakichi Wamanokkaeri Dari Ontanojpua. Adieu au sage Harakbut Carlos Kameno
Par Héctor Sueyo Yumbuyo*.
Radio Madre de Dios, 18 septembre 2021 - Le titre qui précède ce texte rend grâce (dakichi) car, malgré la douleur que cette nouvelle nous cause, nous devons remercier la vie d'avoir fait du sage Harakbut Carlos Kameno une partie importante de notre existence en tant que peuple et en tant qu'êtres humains.
Revoir sa vie en quelques lignes, c'est sentir qu'une bonne partie de notre histoire nous quitte. C'est pour sentir et confirmer que nous devons poursuivre son héritage et continuer à transmettre les innombrables enseignements qu'il nous a laissés.
C'est pourquoi nous, le peuple Harakbut (sous-groupe Amarakaeri et/ou Arakbut), sommes en deuil car nous avons perdu une partie de notre encyclopédie culturelle, une partie de notre pharmacie ancestrale. Nous allons vous dire pourquoi.
Le mardi 14 septembre 2021, dans la communauté indigène Amarakaeri - Boca Inambari, Carlos Kameno Yorey, dont le nom ancestral était "Dari ontanojpua", est décédé à l'âge de 86 ans. Un vrai Wayorokeri et Wamanokkaeri.
Pour nous, il était bien plus qu'un ancien à respecter, bien plus qu'un leader. Il était un sage "Wayorokeri" (expert en prévisions) largement reconnu par tout notre peuple. Il possédait l'esprit de l'eau (waweri).
Il était également un spécialiste de la chasse au sachavaca, au perroquet, à l'ara, entre autres espèces.
Pour cela, les esprits des eaux et des animaux (wachipay) lui avaient transmis leur connaissance de la nature. C'est pourquoi il savait prédire par les rêves et interpréter les chants des oiseaux pour annoncer ce qui allait se passer avec l'avenir de la communauté à court, moyen et long terme.
Tout ce savoir ancestral a été transmis à son frère Manuel Kameno Yorey, qui est le chef ancestral harakbut à ce jour, et qui a repris le flambeau.
Grand-père Kameno était aussi un Wamanokkaeri (guérisseur). Pour cela, il utilisait trois techniques : d'abord, la plante ishanga (machirik) avec laquelle il soignait avec le chant-rituel de guérison en soufflant dans l'ishanga. Ensuite, il donnait des coups de fouet sur la partie de l'affection du patient. Comme les feuilles de l'ishanga tombent, cela indiquait qu'il continuerait la thérapie jusqu'à ce qu'il soit bien guéri.
La seconde était d'utiliser la payba (feuille de tabac séchée) dans la chacra ou dans un endroit sans beaucoup de monde autour. Il se concentrait sur la feuille de tabac séchée placée dans l'enveloppe de l'épi de maïs, et le patient devait boire le jus du concentré de l'incantation.
La troisième était avec le cashimbo (pipe en bois fabriquée à la main) pour fumer du tabac avec des os d'animaux ou d'oiseaux. De cette façon, en fumant son tabac et avec la fumée, il pouvait souffler et faire des massages légers pour que la maladie quitte le corps.
Par exemple, Don Carlos m'a guéri une fois. L'esprit de l'eau (waweri) m'avait "cutipado". Si ce n'était de sa guérison par le tabac, je ne serais peut-être pas en train de raconter le bref récit de notre Wamanokkaeri.
Pour toujours avec l'esprit de la forêt
Notre Wamanokkaeri Dari Ontanojpua est né le long du ruisseau Abukwe, un affluent du rio Shisöe, qui se jette dans le rio Wadakwe, puis dans le rio Karene (Colorado), qui se jette dans le rio Madre de Dios.
Le sage harakbut appartenait au clan Yaromba de la maloca Apodn'nerit Tapoeri. Il a grandi pendant son enfance et son adolescence avec le leader harakbut Antonio Sueyo Irangua car ils appartenaient tous deux à la même maloca. Son père était Kameno (Yaromba), et sa mère Irey (Masejnawa).
Avant d'entrer en contact avec les missionnaires dominicains, il a effectué son "Sine", le rituel d'initiation pour le passage de l'adolescence à la jeunesse, qui est considéré comme la cérémonie la plus importante dans la vie d'un Harakbut.
Dans les années 1940 et 1950, les missionnaires dominicains de l'Église catholique, dirigés par le missionnaire José Álvarez, plus connu sous le nom d'" Apagntone ", ont planifié et réalisé plusieurs expéditions fluviales avec l'aide des " Toyoeris " (Wachipaeris), qui les ont guidés vers les Amarakaeri et/ou les Harakbut. C'est ainsi que le contact avec la société nationale a été établi.
Au cours du processus de contact, il a d'abord vécu dans la mission de Palotoa, l'actuelle communauté autochtone Palotoa Teparo. Puis à la mission San Miguel Arcángel de Shintuya, aujourd'hui communauté indigène de Shintuya. Après plusieurs années de contact, il est venu vivre dans la mission de El Pilar, l'actuelle communauté indigène de El Pilar, près de Puerto Maldonado.
C'est là que sont nés ses fils Julio Kameno Sanehue, José Kameno Sanehue et Miguel Kameno Sanehue, qui ont pu donner une plus grande continuité et force à leur héritage culturel en tant que culture vivante pour les générations futures.
Don Carlos laisse 6 petites-filles et 4 petits-fils. Avant sa mort, il vivait déjà depuis plusieurs années dans la communauté indigène Amarakaeri - Boca Inambari, dont il était l'un des fondateurs avec son frère, le leader harakbut Manuel Kameno Yorey.
Il convient également de noter qu'il était l'un des érudits les plus enthousiastes dans la pratique et la préservation de l'identité culturelle harakbut. Lors des visites, non seulement des autorités mais aussi des gens, il arrivait spontanément, joyeux, en chantant, entonnant son chant-rituel ancestral, celui-là même qui faisait partie de son répertoire dans le rituel d'initiation Ebaypak.
Repose en paix Wamanokkaeri Dari Ontanojpua.
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* Héctor Sueyo est sociologue et directeur adjoint de la participation citoyenne et des communautés autochtones du gouvernement régional de Madre de Dios.
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Source : Publié le 17 septembre par le portail web de Radio Madre de Dios :
https://noticias.madrededios.com/articulo/local-sociedad/dakichi-wamanokkaeri-dari-ontanojpua-adios-sabio-harakbut-carlos-kameno/20210917105821020236.html
traduction carolita d'un article paru sur Servindi.org le 18/09/2021
Dakichi Wamanokkaeri Dari Ontanojpua
Para nosotros era mucho más que un anciano al que guardar respeto, mucho más que un líder. Era un sabio 'Wayorokeri' (experto en realizar pronósticos) reconocido ampliamente por todo nuestro pu...