Brésil : "Nos ancêtres étaient des ennemis. Mais aujourd'hui, le gouvernement est notre principal rival"

Publié le 3 Septembre 2021

Mercredi, 01 Septembre 2021

Discours de Mydjere Kayapó ; les indigènes du bassin du Xingu rejoignent la mobilisation de Luta pela Vida, pour la terre et contre le cadre temporel à Brasilia

Pour les peuples indigènes du Brésil, la vie et la terre sont synonymes. Ce n'est qu'avec des terres libres et délimitées que les autochtones peuvent garantir leur propre existence : cultures, pêche, chasse, eau potable, fêtes et ancestralité. C'est pourquoi, dans le campement Luta pela Vida qui rassemble des milliers d'indigènes à Brasilia depuis le 22 août, la lutte porte sur la terre.

Le camp a été organisé par l'Articulation des peuples indigènes du Brésil (Apib) pour accompagner le procès du "cadre temporel"" devant le Tribunal suprême fédéral (STF) et pour protester contre l'agenda anti-indigène du gouvernement et du Congrès. La thèse du "cadre temporel" est la consolidation de toutes les violences subies par les peuples autochtones au cours des derniers siècles. Elle stipule que seules les terres indigènes qui étaient occupées le 5 octobre 1988, date de la promulgation de la Constitution, seront reconnues, ignorant les expulsions et les déplacements forcés de ces peuples au cours des derniers siècles.

"Ancestralement, la terre est la source principale, c'est-à-dire la terre mère, la nature. La terre offre la vie. C'est pourquoi nous nous battons pour avoir un espace de terre où nous pouvons vivre", dit Maurício Yek'wana, du peuple Yek'wana, à propos du nom du camp.

"Nous sommes venus pour unir nos forces avec d'autres parents. La lutte est pour la vie, car nous allons sauver la vie de tous, la vie de la planète", déclare Karin Yudjá, leader du peuple Yudjá, du territoire indigène de Xingu (TIX).

Selon l'Articulation des peuples indigènes du Brésil (APIB), il s'agit du pire gouvernement de la période démocratique pour les peuples indigènes. Le gouvernement Bolsonaro a unifié le mouvement indigène. Parmi les chants et les danses les plus divers, il y avait un cri commun à tous : "Dehors Bolsonaro". "Nous sommes au milieu d'une guerre", explique Maurício Yek'wana. "Donc, dans cette guerre, nous devons rester ensemble, unir nos forces, sinon nous serons facilement renversés".

Mardi (24/8), en descendant l'Esplanade des ministères en direction de la Cour suprême fédérale, des délégations venues de tout le pays portaient des drapeaux simulant des plaques de la Funai portant le nom de leurs terres. Ce sont ces plaques qui, dans les territoires, indiquent les limites pour ceux qui viennent de l'extérieur. Ils ont déposé chacune de ces plaques devant le Congrès et ont entamé une veillée pour que le cadre temporel ne soit pas accepté au sein du STF. La veillée a duré trois jours, jusqu'à jeudi, lorsque le procès a commencé et, après la lecture du rapport par le ministre Edson Fachin, a été suspendu. Elle reprendra mercredi (1/9) . Les indigènes ont décidé de prolonger la mobilisation et de rester campés à Brasilia jusqu'à la décision finale. Suivant les protocoles sanitaires de lutte contre le Covid-19, le groupe d'environ un millier d'indigènes s'associera à la deuxième marche des femmes indigènes, qui aura lieu du 7 au 11 septembre.

"L'avenir de la vie des peuples autochtones est menacé. Par conséquent, c'est pour la vie. Le cadre temporel, PL 191, 490. Tous ces projets qui sont discutés au Congrès menacent la vie. La vie des peuples indigènes, de la biodiversité, de la planète Terre", déclare Mayalu Txucarramae, du peuple Kayapó.

"La mobilisation qui a lieu actuellement est entrée dans l'histoire. Il y a plus de 6 000 autochtones qui se battent et crient contre le cadre temporel", opine Mydjere Kayapó. "Il est très important pour tous ces peuples d'être ensemble. Nos ancêtres étaient des ennemis. Mais le plus grand ennemi aujourd'hui est le gouvernement actuel, qui veut approuver ce projet de loi. Avant nous étions ennemis, aujourd'hui nous nous prenons la main et ne la lâchons plus", dit-il.

Oreme Ikpeng, du peuple Ikpeng, explique que l'histoire de son peuple est un parfait exemple de l'injustice de la thèse du cadre temporel. Au moment de la démarcation du Territoire indigène du Xingu (TIX), qui a fêté ses 60 ans en 2021, son peuple a été retiré de son propre territoire et transféré dans le Parc indigène du Xingu de l'époque (aujourd'hui TIX). Depuis les années 2000, ils réclament le retour à leur territoire traditionnel, la terre indigène de Jatobá. Si la thèse du Cadre temporel est acceptée, la possibilité de leur retour est encore plus éloignée. En 1988, les Ikpeng étaient dans le TIX, transférés contre leur gré. Ainsi, selon cette thèse, ils n'auraient aucun droit sur leur territoire traditionnel dont ils ont été chassés par la force - à moins qu'ils ne puissent prouver qu'ils se battaient pour celui-ci devant les tribunaux ou dans la région elle-même à la même date du 5 octobre 1988.

Pendant toutes les journées de mobilisation, il a été possible d'entendre les chants, les prières et les danses de plusieurs peuples différents. Les Guarani chantent en chœur, les tambours des Huni-Kuin, la danse des Yudjá, la danse guerrière des Xavante, une symphonie de maracas rythmés. Dans leurs cercles, ils ont demandé que le cadre temporel soit rejeté, permettant ainsi un meilleur avenir pour les centaines de peuples qui n'ont pas encore vu ce droit essentiel reconnu. Sur les réseaux sociaux, le chant inlassable des Guarani, l'un des peuples ayant le plus ancien contact avec les colonisateurs, et qui n'ont pas abandonné leurs chants et danses traditionnels, est devenu viral. Sur les images qui ont circulé surles réseaux, les Guarani revenaient de la place des Trois Pouvoirs et entraient dans le camp avec une foule enchantée par les chants, qui ont continué toute la nuit.

La lutte se fait également contre le projet de loi 490, qui peut rendre les démarcations non viables et ouvrir les terres indigènes à des activités prédatrices comme l'exploitation minière. Le projet de loi (PL) 490/2007 permet au gouvernement de retirer unilatéralement de la possession des peuples autochtones des zones qui ont été officielles pendant des décennies.

Comprendre ici (https://www.socioambiental.org/pt-br/noticias-socioambientais/projeto-qu...).


"Ce projet de loi va libérer nos terres pour les blancs. Les Blancs vont voler notre terre, prendre notre terre", déclare Mydjere Kayapó. "Ce gouvernement veut que les indigènes soient blancs. Mais il veut asservir les Indiens. Si nous donnons nos terres à ces Blancs, nous n'aurons plus rien".

Communicateurs indigènes

La communication du camp était la responsabilité des communicateurs autochtones. Plusieurs collectifs ont enregistré les mobilisations à tout moment et, même sans la visibilité nécessaire dans les grands médias, le camp est devenu viral dans le pays et à l'étranger.

C'était les débuts du réseau Xingu + de communicateurs indigènes dans la couverture d'une grande mobilisation. Le réseau Xingu + rassemble des associations et des organisations de tout le bassin du Xingu, qui traverse les États du Pará et du Mato Grosso. Les communicateurs ont des représentants parmi les populations indigènes et riveraines de tous les peuples Xingu. Le réseau de communicateurs a été créé juste avant la pandémie, de sorte que toutes les réunions ont été virtuelles. C'était la première réunion en face à face, avec beaucoup de masques et de gel alcoolisé. Pendant les démonstrations, les communicateurs ont pris des photos et mis en ligne leurs propres points de vue sur les réseaux sociaux. Ils ont également produit une vidéo et un podcast sur le thème "A qui appartient le combat pour la vie ?", dans lesquels ils ont interviewé des leaders de différents peuples (voir ci-dessous).

"C'était une expérience incroyable, je ne l'oublierai jamais de ma vie. J'ai rencontré mes collègues, qui ont une capacité incroyable en matière de tournage et de photographie. Nous avons échangé des informations, j'ai partagé mes connaissances sur la façon de configurer la caméra et les fichiers", explique Renan Suya, du peuple Kisêdjê. Il souligne l'importance de l'information produite par les communicateurs pour la mobilisation dans le village. "En tant que communicant, je peux apporter des informations en temps réel. Ces informations aident les villages à manifester contre ce recul qui se produit. Notre rôle de communicateurs est important dans ce sens", dit-il.

Un autre point fort a été le partenariat avec Mídia Índia, un autre collectif de jeunes communicateurs indigènes, qui a rencontré les communicateurs de Xingu + pour échanger des expériences. Erick Terena, membre de Mídia Índia du peuple Terena, souligne l'importance de la couverture réalisée par un regard indigène, dans un format différent de celui proposé par les grands médias.

"Nous sommes avec un très grand nombre de communicateurs indigènes en train de délimiter les réseaux et les écrans", déclare Erisvam Guajajara, également de Mídia Índia. "Nous utilisons la communication comme un outil de combat. Nous avons réussi à occuper cet espace qui nous a longtemps été refusé. Nous cherchons d'autres récits, en racontant notre histoire comme elle devrait être racontée", dit le communicateur.


Clara Roman, ISA

Traduction carolita d'un article paru sur le site de l'ISA le 01/09/2021

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