Mexique : Le jour à l'ombre : l'année des peuples indigènes

Publié le 12 Août 2021

Sous un arbre, au crépuscule, si vous regardez le ciel, vous pouvez distinguer l'ombre des oiseaux, si vous restez immobile, vous verrez le jour filtrer à travers les feuilles, une brèche s'ouvrir entre les ailes. Avec de la patience, l'oiseau révèlera ses couleurs et l'histoire de son nom, qui vient peut-être d'une chanson ou d'un vol d'années avant votre regard.

En mè'phàà on dit mbi'i au jour, à ce qui est clair ou lumineux, ce qui révèle les couleurs dans la pierre des yeux. C'est le même mot pour le temps, majanú mbá mbi'i/il viendra un jour, et aussi pour le nom, xó mbi'ya/quel est ton nom.

Nom, temps et jour sont enracinés dans le même mot, cela signifie que chaque être est temps et jour dans la fabrication de son nom, un flottement de mots dans la mémoire, jùmà. La mémoire est une pensée dynamique dans les expériences de la connaissance, depuis ce jour où le soleil a mûri et où sa lumière est tombée sur le monde terrestre.

Quand, dans notre communauté, ils vont chercher du travail dans les champs agricoles du nord du pays, ou quand ils émigrent aux États-Unis, ou quand ils vont collecter le pavot dans les montagnes, nos pères, mères et frères disent : maga'ya mbi'yu/ Je chercherai mon nom. Dans cette recherche, beaucoup deviennent des tombes sans nom.

Le verbe être est traduit en Mè'phàà par ñajún/travail, lorsque nous nous présentons nous disons : ikúúún ñaju' Guillermo/je suis Guillermo/je suis le travail de Guillermo. Chaque nom est fait de travail, qui est en même temps du temps, du temps qui commence à partir du moment où nous ouvrons les yeux et bifurquons nos chemins pour être nid et oiseau.

Lorsque nous faisons la fête, nous disons : mo'nè mbààà ló' mbi'i/rendons cette journée formidable. Rendre le temps grand implique une responsabilité, celle de reconnaître dans cette existence le travail qui lui donne un nom, et non l'inverse, on ne peut pas avoir un nom s'il n'y a pas de travail derrière.

Avoir un jour mbí'i, c'est reconnaître une histoire du mot. Lorsque les calendriers indiquent le 9 août comme Journée des peuples autochtones ou le 21 février comme Journée de la langue maternelle, cela signifie-t-il que les langues et les peuples ne sont prioritaires que ce jour-là ? Et lorsqu'un nouveau jour se lèvera, resteront-ils invisibles en nom et en pensée ?

En 2019, l'Assemblée générale des Nations unies a proclamé l'Année internationale des peuples autochtones et, se référant aux langues autochtones, a déclaré l'urgence d'"attirer l'attention sur leur perte, ce qui entraîne la nécessité de les préserver, de les revitaliser et de les promouvoir aux niveaux national et international". Elle a ajouté que c'est l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture, l'UNESCO, qui sera l'organisme chef de file pour remplir cette tâche.

Début 2020, dans le cadre de la clôture de l'année proclamée, l'"Événement de haut niveau, construire une décennie d'action pour les langues autochtones" s'est tenu au Mexique. Le niveau élevé était, peut-être, pour souligner le langage colonial intrinsèque de la classe. Dans une lettre appelée "Déclaration de Los Pinos "1 , elle stipule quelques objectifs pour cette tâche, principalement un "projet à long terme visant à provoquer des changements structurels dans le monde entier afin de préserver, revitaliser et promouvoir les langues autochtones et de contribuer à améliorer la vie des utilisateurs de ces langues partout et dans tous les domaines de leur vie" : "étant donné que la Décennie internationale des langues autochtones sera en vigueur pendant dix ans, il convient d'établir un système de rotation des membres en charge du mécanisme de gouvernance internationale et de convenir de modalités de travail. "

Dans le cas où les institutions ont nommé des "gardiens de la culture" (dans la logique des individualités sur les collectivités), cette nomination n'a pas pris en compte les modes d'élection des représentants dans les villages, par exemple, la consultation en assemblée, qui a pour principe d'obtenir un nom-mbi'yu par le biais du travail communautaire ñajún et non de l'extérieur, comme le font les institutions qui distribuent les nominations.

Pendant ce temps, dans le Guerrero, sous la lumière du même jour, des enfants nahua âgés de 12 à 17 ans se sont armés et ont appris des tactiques de guerre pour défendre leur territoire contre l'incursion de groupes criminels. En plus de ce type d'agression contre les habitants de La Montaña, il y a eu des assassinats de défenseurs des droits de l'homme, comme Arnulfo Cerón Soriano, ainsi qu'un harcèlement accru à l'encontre des villages où se sont installées les entreprises minières canadiennes (Carrizalillo), à l'extérieur des hôpitaux, les femmes accouchent sans surveillance simplement parce qu'elles sont indigènes, les engrais pour planter le maïs sont conditionnés par les votes, et il y a des représailles contre les villages qui n'obéissent pas aux instructions de s'aligner sur les candidats des partis politiques. Des actions comme celle-ci auront des répercussions, la famine progressive visible dans les champs de maïs rabougris, la migration et la violence.

S'il convient d'attirer l'attention sur la question des peuples indigènes à l'échelle mondiale, le respect des diversités de pensée, de couleur, de vie et de langue doit être une priorité et non un simple discours. C'est loin d'être le cas, le néolibéralisme prétend être inclusif afin d'annihiler la différence.

La déclaration d'un jour, d'une année, d'une décennie ou d'un siècle suffira-t-elle à résoudre le problème du colonialisme, de la dépossession et du racisme dont les peuples autochtones ont été historiquement victimes ? Dix ans suffisent-ils à effacer la mémoire de la violence exercée sur les corps et les territoires des peuples autochtones ? Peut-être la dimension du problème et son urgence ne sont-elles pas comprises ; prendre la question à la légère revient à victimiser à nouveau les peuples dans l'histoire de la dépossession.

Le respect doit commencer maintenant et se poursuivre jusqu'à ce que l'humanité rende son dernier souffle. Les peuples autochtones ne doivent pas être un projet à court ou à long terme, comme s'ils étaient des vies sans histoire, sans temps et sans nom (mbi'i ná ndaa mbi'yuun).

Le problème est systématique à l'échelle de l'économie mondiale, c'est une lutte à mort où ce sont les peuples indigènes qui seront enterrés, dans cette situation, l'effort minimum pour renforcer est valorisé, mais que faire si cet effort au lieu de renforcer ne fait que creuser la tombe ?

Chaque langue a un territoire, un corps qui nomme sa mémoire. Dans ce pays en guerre, la plupart des personnes déplacées sont des autochtones. Pour parler d'une journée des langues indigènes, d'une année ou d'une décennie, il est important de parler du corps en tant que territoire, il ne suffit pas de réunir des représentants des peuples (des individualités sur des collectivités), d'organiser des événements étrangers aux demandes des peuples ou d'essayer de civiliser avec des missions issues de la logique de la colonisation.

À chaque instant, lecture, conférence, réunion, forum, tout se lit dans le cadre de l'"Année internationale des peuples autochtones", un nom qui est donné à toutes les activités conçues et organisées par les institutions, un nom qui ressemble à une marque ou à un second nom de famille.

Déclarer cette année impliquait d'élargir le temps du jour, qui est travail-être et nom dans l'histoire de l'humanité. 2019 s'est écoulée et combien de langues ont été sauvées ? La pensée et l'histoire des peuples sont-elles reflétées dans les programmes des niveaux d'enseignement ? Les institutions chargées de la sauvegarde des peuples autochtones continuent de penser à partir du folklore.

Combien de réformes législatives sur les droits des autochtones ont été approuvées ? Dans le Guerrero, la loi sur la "Reconnaissance des droits collectifs des peuples indigènes et afro-mexicains dans la Constitution" est attendue et sans réponse claire des députés pour sa législation ; au contraire, il y a omission, ajournement et opposition à l'initiative.

Dans La Montaña de Guerrero, il n'y a pas eu de changement par rapport à l'année précédente. Le peuple continue à résister à la dépossession, comme il l'a toujours fait ; il protège cette peau de terre, qui est sa vie. Les institutions incitent les peuples à ne pas perdre leur langue, qui devrait être assumée comme une fierté nationale, à se rendre dans des forums pour parler de la question indigène, comme si c'était à eux de sensibiliser une société qui a été systématiquement raciste.

Notre conception du nom du jour est différente. Pour nous, cela implique de faire du travail, et cela se termine quand la mort vient à nous, quand nos morts disent : "les vivants travaillent pour nous". Dans le village de la mort, la recherche du nom continue, et ne s'achève qu'avec la voix de cette pluie qui s'éteint dans une rivière en crue.

Quand tu regarderas à nouveau le ciel, le jour qui s'immiscera dans tes yeux sera le nom qui habille la mémoire des mots, les oiseaux qui sous l'ombre révèlent leur être. Le vent viendra sous la forme d'une danse, kadxajoo kadxajoo kadxajoo pour nous l'oiseau ne chante pas, il danse avec sa voix, sa voix devient un nom et ramène à la mémoire chaque tour du jour dans lequel le soleil naît et meurt. Si vous restez sous l'arbre, l'oiseau vous reconnaîtra comme faisant partie de son monde, l'ombre des feuilles révélera son mouvement. Vous devez chercher le bon angle et avant qu'il ne batte des ailes, vous devez savoir que lorsque la mort arrive, nous disons, nijanú mbi'yaa/votre nom est arrivé.

Hubert Matiúwàa

 Écrivain en langue Mè'phàà.

traduction carolita d'un article paru sur le site Tlachinollan.org le 09/08/2021

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