Les peuples autochtones demandent à ce que l'on fasse le point sur l'histoire coloniale des Amériques
Publié le 9 Août 2021
07/08/2021
Du Canada à la Colombie, des manifestations ont éclaté contre l'héritage de violence, d'exploitation et d'effacement culturel laissé par le colonialisme.
Par John Bartlett / Natalie Alcoba / Joe Parkin Daniels / Leyland Cecco De.. : Santiago du Chili / Buenos Aires / Bogotá / Toronto - Traduction par Emma Reverter - Source : eldiario.es
Alors que des statues de reines et de conquistadors sont renversées dans le cadre de manifestations en Amérique du Nord et en Amérique latine, les peuples autochtones font pression pour que toute la région reconnaisse l'héritage amer du colonialisme, fait de massacres et d'effacement culturel.
Du cercle polaire à la Terre de Feu, les autochtones américains demandent des comptes à l'Église catholique, aux gouvernements nationaux et à d'autres institutions puissantes.
Du Canada à la Colombie
Au Canada, la découverte macabre de tombes non marquées d'enfants autochtones près de bâtiments qui étaient autrefois des pensionnats catholiques a suscité de nombreux appels à une révision de l'histoire coloniale du pays et des inégalités structurelles qui persistent aujourd'hui.
Au Chili et en Colombie, les révoltes contre les inégalités sociales se sont également accompagnées de demandes de révision des récits nationaux et des séquelles persistantes de la conquête.
Et si les contextes et les histoires varient considérablement d'un pays à l'autre, l'expérience commune de la marginalisation, de la pauvreté et de la faible espérance de vie a conduit de nombreux autochtones à établir des parallèles au-delà des frontières coloniales.
Après son élection le mois dernier à la présidence de la nouvelle assemblée constituante du Chili, Elisa Loncón, membre du principal peuple autochtone du pays, les Mapuche, a exprimé sa solidarité avec les Premières nations et dénoncé la découverte de pensionnats canadiens où des milliers d'enfants sont morts en un siècle. "Il est honteux de voir comment le colonialisme a sapé l'avenir des Premières nations", a-t-elle déclaré.
Mme Loncón présidera à la rédaction d'une nouvelle constitution chilienne destinée à remplacer celle de l'ère Pinochet, qui ne reconnaît même pas l'existence des peuples indigènes du pays, alors qu'ils représentent environ 12,8 % de la population. En ce sens, elle a affirmé qu'il s'agit "d'un rêve de nos ancêtres et ce rêve est en train de se réaliser ; il est possible, frères et sœurs, compañeros et compañeras, de refonder ce Chili".
De l'autre côté des Andes, dans la capitale bolivienne, La Paz, des militantes féministes ont récemment organisé une marche vers la statue défigurée de Christophe Colomb, dénonçant le génocide perpétré contre les communautés indigènes.
Adriana Guzmán, une Aymara membre du groupe Feminismo Comunitario Antipatriarcal de Bolivie, souligne qu'ils l'avaient déjà fait à maintes reprises, mais que la découverte des tombes au Canada a jeté de l'huile sur le feu. "On suppose, dans une perspective colonialiste, que le Canada est la perfection", dit-elle. "Mais c'est précisément la logique coloniale. Elle efface la mémoire de nos communautés et elle efface ses propres crimes."
Les pensionnats canadiens s'inscrivaient dans le cadre d'une politique d'assimilation forcée des enfants autochtones dans la société coloniale, qui a séparé au moins 150 000 enfants de leur famille pendant un siècle. "L'objectif des pensionnats était de déstructurer les communautés autochtones, de s'attaquer au cœur de notre culture et d'assimiler notre peuple à un corps politique de colons. Cela était nécessaire dans le cadre du projet colonial qu'est le Canada. Le pays a dû s'établir au prix de la déstabilisation des communautés autochtones", explique Courtney Skye, chercheur à l'Institut Yellowhead, dirigé par les Premières nations.
"Une partie de la stratégie consistait à séparer les enfants de leurs familles, à déplacer les populations autochtones... Tous ces outils politiques ont dépouillé les populations autochtones de leurs terres. À partir de là, le Canada a pu plus facilement exploiter les ressources naturelles et bâtir son économie.
Statues renversées
La découverte récente de plus de 1 300 tombes non marquées à proximité des pensionnats a provoqué une vague de protestation, conduisant des manifestants à jeter de la peinture sur des églises et à arracher des statues des reines Victoria et Elizabeth II.
Ces incidents sont à l'image des protestations qui ont lieu dans les Amériques, où les peuples indigènes s'opposent de plus en plus à la vénération systématique des colonisateurs. Lorsque le Chili a éclaté en manifestations en 2019, des statues de conquistadors espagnols ont été arrachées et, dans certains cas, remplacées par des représentations de héros indigènes.
De même, lorsque la Colombie a été secouée par des manifestations contre la pauvreté cette année, les statues des colonisateurs ont à nouveau été prises pour cible par les manifestants, qui ont déclaré que ces statues représentaient une classe envahissante de bellicistes et de tyrans. "Ce sont des symboles qui représentent l'esclavage et l'oppression", déclare Tata Pedro Velasco, un leader du peuple Misak du Cauca. Au premier jour d'une grève nationale, les manifestants Miskitu de Cali ont renversé une statue de Sebastián de Belalcázar, un espagnol qui a fondé la ville (ainsi que la capitale équatorienne, Quito) mais qui est depuis longtemps méprisé par de nombreuses communautés autochtones andines.
Fin juin, un monument à la gloire de Christophe Colomb a été démoli à Barranquilla, une grande ville de la côte caraïbe de la Colombie. Pour éviter qu'elle ne soit détruite, les autorités ont également retiré une statue du héros de l'indépendance sud-américaine Simon Bolivar.
"En tant que peuples autochtones, il est important de commencer à réviser l'"histoire officielle" et de comprendre que la colonisation des peuples autochtones persiste cinq siècles plus tard dans toutes les Amériques", déclare Velasco.
Lourdes Albornoz, travailleuse sociale et membre de la communauté Diaguita, dans la province argentine de Tucumán, affirme que les événements survenus au Canada lui ont rappelé l'expérience de son propre peuple. Il y a une génération, les riches propriétaires terriens de Tucumán avaient l'habitude de faire travailler les jeunes filles indigènes chez eux, explique-t-elle. "Ils prenaient la moitié des vaches, la moitié de la récolte et les jeunes filles. Les filles ont vu leurs noms remplacés par des noms catholiques, ont reçu de nouvelles dates de naissance correspondant à des saints catholiques et ont été enregistrées comme membres des partis politiques préférés de leurs kidnappeurs.
"Elles ont perdu leur identité, ont travaillé gratuitement, ont été exploitées et abusées sexuellement", déclare Albornoz, qui note qu'aujourd'hui encore, ces expériences sont niées ou ignorées. "Nous embrassons nos frères et sœurs au Canada, car ce doit être une période très difficile pour ces communautés", dit-elle. "Ils ne sont pas seuls. Nous souffrons avec eux. Mais de cette douleur, et de ces larmes, nous renaîtrons."
Le gouvernement canadien a présenté ses excuses aux peuples autochtones pour ses actions, mais Albornoz affirme que les pratiques coloniales se poursuivent dans toute l'Amérique latine, cette fois sous la forme de projets miniers, souvent dans des territoires revendiqués par les peuples autochtones et qui ont contribué à la dégradation de l'environnement, aux déplacements forcés et aux violations des droits de l'homme.
"Pour chaque acte de génocide, il doit y avoir des réparations".
Dans l'ensemble des Amériques, les peuples autochtones sont nettement moins bien lotis dans la grande majorité des indicateurs, de la pauvreté multidimensionnelle à l'espérance de vie et aux perspectives d'emploi.
Au-delà des mesures symboliques et des faibles déclarations de solidarité, beaucoup exigent désormais des améliorations concrètes et tangibles de leur vie, après des siècles de demandes rejetées ou mises de côté.
"Malgré les différentes phases de colonisation qu'a connues l'Amérique latine, le tissu culturel des nations originaires n'a pas été détruit", affirme Fernando Pairicán, historien mapuche à l'université de Santiago. "Pour tout acte de génocide, il doit y avoir une réparation économique, politique et sociale. Ce n'est qu'alors que nous pourrons avancer vers l'autodétermination, l'égalité et la restitution des terres aux peuples autochtones de toutes les Amériques".
traduction carolita d'un article paru sur Mapuexpress le 07/08/2021
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Los indígenas exigen un ajuste de cuentas con la historia colonial en toda América
De Canadá a Colombia han estallado protestas contra el legado de violencia, explotación y borrado cultural que dejó el colonialismo Por John Bartlett / Natalie Alcoba / Joe Parkin Daniels / Leyland