Pérou : Atteinte aux droits des peuples indigènes isolés et de l'Amazonie : la construction illégale de routes détruit leur territoire et affecte les zones naturelles protégées face à la négligence de l'État

Publié le 17 Juillet 2021

Diverses organisations dénoncent l'ouverture de 58 km pour la construction illégale de la route LO-105, Jenaro Herrera - Colonia Angamos (Loreto). L'impact de la déforestation de la forêt vierge affecterait les réserves naturelles du Pérou et du Brésil.
 

Loreto, Pérou- Depuis l'initiative Cuencas Sagradas, Earth Right International (ERI), Instituto de Defensa Legal (IDL), Kené - Instituto de Estudios Forestales y Ambientales, Sociedad Peruana de Derecho Ambiental (SPDA), Pachamama Alliance Peru et l'Union des peuples indigènes de la vallée du Javari (UNIVAJA), mettent en garde contre l'ouverture illégale de la forêt vierge dans la région du Loreto, au Pérou, pour la réalisation de la future route LO-105 Jenaro Herrera - Colonia Angamos, qui relierait Loreto au pays voisin, le Brésil. 

La zone où le tronçon de route et le tracé projeté sont ouverts abrite des indigènes isolés, raison pour laquelle cela porterait gravement atteinte à leurs droits et aux différentes zones naturelles protégées concernées. À cet égard, les organisations ont formellement alerté les autorités compétentes sur l'impact sur leurs droits, l'absence de certification environnementale du projet et l'absence d'autorisation pour le défrichement des forêts. Ils ont également demandé aux autorités compétentes de faire une déclaration à ce sujet et de prendre des mesures urgentes pour mettre fin à l'exécution illégale du projet routier.

L'IMPACT SUR LES AUTOCHTONES EN SITUATION D'ISOLEMENT

L'exécution actuelle du projet routier Jenaro Herrera - Colonia Angamos a des impacts environnementaux et sociaux cumulatifs d'ampleur transfrontalière. Ceci est dû à l'impact sur la forêt primaire et les zones naturelles protégées¹ impliquant des territoires au Pérou et au Brésil. À cela s'ajoute la violation de divers droits des peuples indigènes isolés, comme le droit au territoire, à la vie et à la subsistance collective, tant du côté péruvien que brésilien. Elle affecte directement leurs écosystèmes et implique également la transgression des principes du droit international tels que le non contact et l'autodétermination, entre autres.

À cet égard, du côté péruvien, dans la zone où se trouve le tronçon de route en cours d'ouverture, il existe de multiples preuves de la présence de peuples autochtones isolés au cours des 50 dernières années. Ces dernières années, le ministère de la Culture a recensé diverses preuves concluantes de leur présence effective dans la région². Il a ainsi reconnu officiellement leur existence par le décret suprême n° 002-2018-MC, concluant avec cette reconnaissance la première étape de la création de la réserve indigène Yavari Mirim³. Cette réserve est actuellement dans la phase finale de sa création. 

Du côté brésilien, les impacts s'étendraient à la terre indigène de la vallée de Yavari, l'une des plus grandes réserves de ce pays et qui, dans le monde, abrite la plus grande diversité de peuples indigènes isolés et d'autres peuples ayant différents degrés de relation⁴.

PASSERELLE VERS UNE ACTIVITÉ ILLÉGALE

Les expériences antérieures sur les routes transfrontalières comme celle-ci prévoient l'apparition possible d'activités illégales, telles que le trafic illégal de ressources naturelles, l'exploitation forestière et le trafic d'animaux exotiques. Plus inquiétante encore est l'apparition de colonies d'étrangers sur le territoire, ainsi que le trafic de drogue, qui nuit non seulement à l'environnement mais aussi à la vie des communautés autochtones vivant à proximité.

Rappelons le cas de l'autoroute Pucallpa - Cruzeiro do Sul, dans un témoignage recueilli dans un article de Mongabay, sur le changement dans leur vie que ce projet routier a représenté : "Si tu ne les déranges pas, tu seras en sécurité", dit Edgar, un indigène Shipibo qui vit dans la région depuis plus de 50 ans. Le changement a été brutal, dit-il, car ils sont passés d'un sentiment de liberté à une sorte de prison, sous surveillance constante. Rien de ce qui se passe à Abujao ne passe inaperçu aux yeux des colons qui se sont installés dans la région ces dernières années. "Ce sont eux qui sont venus pour couper la forêt et planter de la coca. Et ils ne plantent pas un hectare, mais 20 à 50", explique Ernesto, un autre habitant indigène qui vit dans la région⁵.

SITUATION DE DEFORESTATION

 

Grâce à des images satellites, il a été détecté la progression de 40 km de déforestation de la section mentionnée, au milieu de la forêt amazonienne primaire (forêt avec une intervention humaine minimale ou nulle, avec un haut degré de conservation). Les images révèlent les travaux intenses qui ont débuté en novembre 2020 et se poursuivent au cours de l'année 2021. S'il n'est pas arrêté, il sera achevé en septembre 2021.

Selon les enquêtes, ce tronçon aurait été ouvert jusqu'au km 18 de l'itinéraire les années précédentes. L'image suivante est enregistrée en date de novembre 2020. 

Sur cette deuxième image satellite prise en février 2021, on peut voir la progression du tracé jusqu'au km 58. En moins de quatre mois, la déforestation aurait avancé de 40 km, des territoires à protéger car il existe des preuves de l'existence de peuples autochtones en situation d'isolement et de premier contact (PIACI).


Déforestation prévue


Comme on peut le voir sur la carte de la déforestation projetée basée sur des expériences similaires, on estime que les effets de la déforestation et des changements d'utilisation des terres s'étendront sur un rayon de 5 km autour de la section d'ouverture, soit environ 974 kilomètres carrés (97 400 hectares) de forêt primaire qui seraient perdus en raison de ce projet routier. Cela affecterait les territoires transfrontaliers, générant un impact binational entre le Pérou et le Brésil.

SUR LE DOSSIER DU PROJET ROUTIER

En août 2016, l'étude de préinvestissement au niveau du profil pour la route LO-105 a été approuvée par la résolution directoriale N° 483-2016-MTC/21⁶.

Selon le Mémorandum N° 1366-2021-MTC/16 (daté du 24 juin 2021) du Ministère des Transports et des Communications (MTC), il est fait savoir que " (...) la Direction de la Gestion Environnementale-DGASA (...) propose de donner au projet un statut de catégorie II (...). ) propose d'attribuer au projet une EIE semi-détaillée de catégorie II et il est noté que la route projetée est située dans la zone tampon de la réserve nationale de Pacaya Samiria et dans la zone tampon de la réserve nationale Matsés, raison pour laquelle le propriétaire doit demander l'avis technique contraignant correspondant au SERNANP. A ce jour, aucun dossier n'a été reçu pour l'évaluation de cette communication.

En conséquence, l'Instituto de Defensa Legal (IDL) a mené une enquête formelle auprès de diverses entités pour obtenir des informations sur les études d'impact environnemental du projet susmentionné, afin de vérifier la légalité du processus ou de leur demander de prendre des mesures immédiates. Ainsi, le 13 juillet, IDL a reçu une réponse de PROVIAS DESCENTRALIZADO⁸. Dans cette communication, PROVIAS a informé qu'un contrat avait été signé avec une entreprise pour préparer le dossier technique (étude définitive) de ce projet, qui a un code d'investissement unique n° 2327139. Cette étude est en cours d'élaboration et que le "(...) 14 avril 2021, le rapport n° 01 a été approuvé et, à ce jour, les observations du rapport n° 02 sont en cours d'examen". Ils indiquent également qu'ils ont demandé le début de la procédure de sélection du service de conseil pour obtenir la certification de l'instrument environnemental pour le projet routier en question et que, par conséquent, "à ce jour, compte tenu du fait que l'étude d'ingénierie et l'étude d'impact environnemental ont commencé, il n'est pas possible de fournir une copie de la copie numérique de l'instrument de gestion environnementale". Dans le même sens, elle indique que " le présent projet est au stade de l'élaboration du dossier technique et non de l'exécution ; l'autorisation de défrichement doit être demandée après l'obtention de la certification environnementale mais avant le démarrage des opérations ou la suppression du couvert forestier ".

Par conséquent, PROVIAS DESCENTRALIZADO a confirmé que ce projet routier ne dispose pas d'un dossier technique complet et approuvé, ni d'une certification environnementale ou d'une autorisation de défricher la couverture forestière accordée par les autorités compétentes.

D'autre part, le Service national de certification environnementale pour les investissements durables (SENACE) a informé l'IDL qu'il a transmis les informations sur l'avancement irrégulier du tronçon routier à Loreto au Service national des espaces naturels protégés par l'État (SERNANP), au Service national des forêts et de la faune (SERFOR), au ministère de la Culture et au procureur du ministère de l'Environnement, afin qu'ils puissent agir dans le cadre de leurs compétences et, le cas échéant, présenter les faits au ministère public⁹.

L'INACTION ET LE SILENCE QUI TUENT

La construction de cette route contrevient au cadre juridique relatif à l'environnement, à la protection des zones naturelles protégées et aux droits des populations autochtones isolées. À cet égard, il est frappant de constater que cela n'a pas suscité de réaction de la part d'entités telles que le ministère de la Culture, qui est responsable de la protection des personnes isolées, le SERNANP, le bureau du médiateur, le ministère des Transports et des Communications, ainsi que le SERFOR.

Il convient de souligner que l'exploitation forestière non autorisée est considérée comme un crime en vertu de l'article 310¹⁰ du code pénal. Étant donné qu'elle se déroule dans une zone où il existe des preuves de l'existence de peuples indigènes isolés, il s'agit d'une circonstance aggravante au sens de l'article 310-C numéral 1¹¹¹ du même article.  

ACTION IMMÉDIATE

Sur la base de ce qui précède, nous réitérons notre demande de PRONONCEMENT ET D'ACTION IMMÉDIATE ET COORDONNÉE de la part des entités susmentionnées, DANS L'EXERCICE DE LEURS COMPÉTENCES ET DE LEURS DEVOIRS, entités dont nous attendons une réaction énergique face à l'avancée de la route qui représente une menace sérieuse et imminente pour la vie, les moyens de subsistance et la survie culturelle des peuples indigènes isolés, et qui aura de graves conséquences environnementales.

Nous demandons également au Contrôleur général de la République de mener les enquêtes correspondantes sur l'exécution du budget public impliqué dans ce projet routier, qui est exécuté en violation des normes légales. Des mesures URGENTES doivent être prises pour stopper IMMÉDIATEMENT la progression de cette inquiétante menace pour la vie.

Notes

¹ Il s'agit des zones naturelles protégées et de leurs zones tampons : la réserve nationale Matsés, la réserve nationale de Pacaya Samiria et la zone de conservation communautaire régionale de Tamshiyacu-Tahuayo.

² Selon les éléments de preuve, le " Plan directeur de la Réserve nationale  Matsés période 2017-2021 " établit des mesures de protection des peuples autochtones isolés dans l'un de ses secteurs qui jouxte le tracé proposé pour la construction de la route en question. Pour plus d'informations, voir le plan directeur actualisé de la réserve nationale Matsés 2017-2021, p. 43. Celui-ci a été approuvé par la résolution présidentielle N° 257-2017-SERNANP, datée du 31 octobre 2017, disponible sur https://cdn.www.gob.pe/uploads/document/file/506275/-292448810422259883620200203-11250-116m5br.pdf.

³ Publié dans le journal officiel El Peruano le 16 mars 2018, disponible à l'adresse https://busquedas.elperuano.pe/download/url/decreto-supremo-que-declara-el-reconocimiento-de-los-pueblos-decreto-supremo-n-002-2018-mc-1626765-3.

⁴Pour plus d'informations, voir Portal web Terras Indígenas No Brasil, disponible sur https://terrasindigenas.org.br/pt-br/terras-indigenas/3895.

⁵ Article disponible sur https://es.mongabay.com/2021/04/pucallpa-cruzeiro-do-sul-la-carretera-que-podria-disparar-la-violencia-en-ucayali/

⁶ Econ. Alexei Oblitas Chacón, directeur exécutif - PROVIAS DESCENTRALIZADO. "Resolución Directoral N° 483-2016-MTC/21". Lima, Pérou (26 août 2016).

⁷ L'avis technique contraignant susmentionné est prévu à l'article 116 du règlement de la loi sur les zones naturelles protégées, approuvé par le décret suprême n° 038-2001-AG.

⁸ Note de service n° 1305-2021-MTC/21.GE, de l'ingénieur Walter Pineda Sanchez, directeur des études (e), adressée au fonctionnaire chargé de fournir des informations publiques dans le cadre de la loi sur la transparence et l'accès à l'information publique.

⁹ SENACE a communiqué avec IDL par la Lettre N° 011-2021-SENACE-PE du 02 juillet 2021 et a transmis l'alerte respective à SERFOR, SERNANP, MINCU et MINAM par les Oficios N° 074, 075, 076 et 077-2021-SENACE-PE du 02 juillet 2021.

¹⁰ Article 310 du Code pénal - Délits contre les forêts ou les formations boisées : Quiconque, sans permis, licence, autorisation ou concession accordée par l'autorité compétente, détruit, brûle, endommage ou abat, en tout ou en partie, des forêts ou autres formations boisées, naturelles ou plantations, sera condamné à un emprisonnement de quatre ans au moins et de six ans au plus et à un travail d'intérêt général de quarante à quatre-vingts jours. (soulignement personnel)

¹¹Article 310-C du Code pénal - Formes aggravées : Dans les cas prévus aux articles 310, 310-A et 310-B, la peine privative de liberté ne peut être inférieure à huit ans et supérieure à dix ans, dans l'une des circonstances suivantes : Si le délit est commis sur des terres appartenant ou possédées par des communautés autochtones, des communautés paysannes, des peuples indigènes, des réserves indigènes ; ou dans des réserves territoriales ou des réserves indigènes en faveur de peuples indigènes en premier contact ou en isolement volontaire, des zones naturelles protégées, des zones fermées, des concessions forestières ou des zones de conservation privées dûment reconnues par l'autorité compétente (...).

traduction carolita d'un article paru sur le site de Cuencas sagradas 

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