Pérou : La loi qui autorise le don d'armes à feu aux comités d'autodéfense ruraux menace la vie des peuples indigènes

Publié le 9 Juin 2021


La mise en œuvre dépendrait du pouvoir exécutif

Photo : ANDINA/Juan Carlos Guzmán 

Pérou - Le 22 avril 2021, l'assemblée plénière du Congrès de la République a approuvé la "Loi qui reconnaît les Comités d'autodéfense et de développement rural et les incorpore au système de sécurité citoyenne", créée à partir de l'unification des projets de loi n° 5424/2020 de Perci Rivas Ocejo de Alianza para el Progreso ; et du PL n° 5679/2020 de la députée de Fuerza Popular, Valeria Valer Collado.

Avant leur débat en plénière, les deux projets de loi ont été étudiés en commission de la défense, où ils ont reçu des avis techniques défavorables du ministère de l'intérieur (MININTER) et du ministère de la défense (MINDEF). Les ministères qui ont signalé leur infaisabilité, en soulignant les dangers de faciliter l'armement et le paramilitarisme des groupes civils au sein des communautés, entre autres. Ainsi, l'apparition précoce de ces groupes dans leur environnement constitue une menace sérieuse pour la tranquillité de la vie des communautés. (Voir l'avis approuvé par la Commission de la défense le 23.11.20).

"Nous n'avons pas l'habitude et l'usage de la forme proposée par le Congrès. Cette norme devrait reconnaître la forme de contrôle et de surveillance pacifique que les peuples indigènes pratiquent depuis des années".
Lizardo Cauper, président de l'AIDESEP
 

Affecter la gouvernance des communautés

Cette loi pose, entre autres, un grave conflit de compétences entre les Comités d'autodéfense rurale (ci-après CAD) et les patrouilles paysannes et communautaires. Principalement parce que la loi attribue aux CAD des fonctions et des avantages dont ces derniers ne bénéficient pas. Cela se traduit par l'imposition des CAD au détriment des organisations communautaires, les délégitimant et violant la gouvernance dans les communautés. L'une des prérogatives que cette loi établit pour les CAD est abordée ci-dessous, elle concerne l'acquisition collective d'armes¹.

Historiquement, les comités d'autodéfense ruraux ont joué un rôle transcendantal dans la lutte contre le terrorisme. De même, les organisations de droit indigène telles que les patrouilles paysannes et communales ont joué un rôle important dans la protection des territoires de leurs communautés, et pas seulement pendant le conflit interne.

Ces organisations sont des référents de la gestion communautaire fondamentale, dont les processus de résistance et de lutte doivent être reconnus de manière égale par l'État, sans superposer l'un sur l'autre. Respecter l'autodétermination des peuples.

Promotion du militarisme civil dans les communautés

La loi en question établit que les CADs peuvent acquérir collectivement des armes, soit par achat, soit par don de l'Etat ou de particuliers. Le texte qui suit est un extrait de l'avis approuvé en séance plénière :

 

Elle détermine également que les forces armées seront chargées de leur formation adéquate à l'utilisation des armes :

Permettre l'armement collectif des comités d'autodéfense ruraux ne serait rien d'autre que la promotion de groupes civils armés, du paramilitarisme, au sein des territoires indigènes, des centres habités, des colonies, etc. Les zones rurales où l'État est généralement absent. Des territoires constamment exposés à des activités extractives légales et illégales telles que l'exploitation minière, l'exploitation forestière, le trafic de terres et le trafic de drogue.

En légalisant la défense armée de certains groupes et en leur donnant des prérogatives, on ouvre la possibilité qu'ils défendent les intérêts des particuliers au détriment des droits des communautés, ce qui constitue une menace sérieuse. Il s'agit d'inquiéter non seulement le pouvoir de recevoir des dons d'armes, mais même d'obtenir des financements (art. 15) de la part de parties privées, sans transparence des buts particuliers de ceux qui font ces dons. Pire encore, l'État est incapable de contrôler l'utilisation des armes à feu² reçues par les CADs³.

Ce sont des questions vraiment préoccupantes qui méritent plus d'attention et de débat. Comme contexte dans notre pays, il convient de noter que i) à la fin de la période de violence terroriste (années 80 et 90), les CADs ont été désactivés et désarmés, mais se sont opposés à ces derniers⁴ ; ii) la controverse autour de la proposition de doter la police municipale ou le serenazgo d'armes, qui a provoqué un débat conscient étant donné que ces mesures sont applicables dans les villes mais pas dans les zones rurales⁵ ; et iii) l'augmentation des activités illicites dans des contextes tels que l'Amazonie. Ces questions n'ont pas été abordées lors de l'étude de la proposition de loi, ni lors du débat en plénière.

Par ailleurs, la Surintendance nationale pour le contrôle des services de sécurité, des armes, des munitions et des explosifs à usage civil (SUCAMEC) a annoncé en mars 2020 que, dans le cadre d'une intervention dans une localité du Vraem, elle était parvenue à enregistrer près de 300 armes à feu utilisées par les comités d'autodéfense de la communauté indigène de Cubantía (district de Pangoa, dans la région de Junín), cette intervention étant la première dans la vallée des rios Apurímac, Ene et Mantaro (Vraem). Le communiqué n'indique pas que cette campagne fait partie d'un plan articulé visant à établir le contrôle des armes que les CADs possèdent déjà, et encore moins que l'État dispose d'un registre actualisé des armes qu'ils possèdent ou des mécanismes permettant de contrôler leur utilisation. Ces informations auraient dû faire partie de l'analyse pour évaluer si la loi qui permettra aux CADs de recevoir des armes à feu, même si elles sont données par des particuliers ou par l'État, est adéquate ou non.

Expériences dans la région

Photo : Difusión

En juillet 2000, la Colombie a lancé le "Plan Colombie" pour résoudre le trafic de drogue et le conflit interne, qui impliquait, outre les forces de l'État, des groupes de guérilla et paramilitaires autorisés à utiliser des armes. Les violations des droits de l'homme à l'encontre des populations dans les zones où opèrent ces groupes armés ont augmenté dès le début du plan. 

Le Washington Office on Latin America - WOLA, a signalé de multiples cas de collaboration des forces de sécurité avec des groupes paramilitaires, les cas dits de faux positifs, dans lesquels des civils ont été tués par les militaires pour les faire passer pour des guérilleros tombés au combat (voir plus).

Fin 2019, l'ONG vénézuélienne FundaRedes a élaboré un rapport où elle expose des données sur la guérilla colombienne recrutant des mineurs dans au moins 325 écoles de la zone frontalière avec le Venezuela. Une note du journal Crónica Uno le détaille ainsi :

"Plus de 30 000 filles, garçons et adolescents ont été recrutés dans des établissements d'enseignement pour les incorporer dans des groupes criminels opérant aux frontières vénézuéliennes, au cours de l'année 2019. Le rapport annuel de FundaRedes indique qu'ils ont recruté indirectement au moins 15 000 mineurs et jeunes."

lien de l'article en espagnol
 

De cette façon, l'expérience latino-américaine nous montre les graves violations de la vie des communautés et des populations comme conséquence de l'armement libre des groupes civils. Cette menace est accrue au Pérou par la légalisation de l'intervention du secteur privé par le biais de dons, comme nous l'avons déjà mentionné dans les paragraphes précédents.  

Inconstitutionnalité

La création d'organisations parallèles aux Forces Armées et à la Police Nationale du Pérou, empiète sur les compétences exclusives de ces institutions, comme le mentionne l'Art. 166 de la Constitution péruvienne : " La Police Nationale a pour objectif fondamental de garantir, maintenir et rétablir l'ordre interne. Elle assure la protection et l'assistance aux individus et à la communauté. Il garantit le respect des lois et la sécurité du patrimoine public et privé".

De même, le PL stipule que les CADs seront sous le contrôle et la surveillance des Forces Armées, ce qui n'est pas autorisé par l'Art. 165. 165 : "Les Forces armées n'ont pas de compétence en matière d'ordre interne, sauf si nous sommes en état d'urgence, auquel cas elles peuvent y entrer, mais toujours en remplissant une fonction auxiliaire similaire à celle de la police, comme le précise l'article 137 de la Constitution. La fonction des forces armées est de garder les frontières, et non de contrôler les organisations sociales comme le prétend cette loi".

Le chevauchement des compétences et l'attribution de fonctions qui contreviennent à notre Constitution sont à la base de l'infaisabilité de la loi.

Entre les mains de l'exécutif

Le 2 juin, un réexamen de la loi a été débattu et rejeté. Par conséquent, il est prêt à être envoyé par le Congrès à la branche exécutive.

À partir de ce moment, Francisco Sagasti a 15 jours pour signer ou observer la loi qui reconnaît les comités d'autodéfense ruraux et les autorise à s'armer et à exercer d'autres prérogatives. Si son observation est levée, le projet de loi retournera au Congrès pour être réorganisé en séance plénière. Toutefois, cela ne garantit pas que les bancs de Fujimori et de l'APP insisteront sur la promulgation de leur projet de loi, sans oublier que 92 membres du Congrès ont voté en faveur de ce projet (voir les pages 33 et 34 du vote ici).  

Rejet des voix indigènes

"Au nom des peuples indigènes amazoniens du Pérou, en l'occurrence l'AIDESEP, nous exigeons et demandons au président Sagasti de ne pas le signer ou la promulguer car il s'agit d'une attaque contre les peuples indigènes, [...] ce serait une provocation à la tranquillité et à la paix dans lesquelles nous, peuples indigènes, vivons". [...] par conséquent, Monsieur le Président Sagasti, ne signez pas mais envoyez-le au Congrès pour son archivage définitif".

Lizardo Cauper, président de l'Association interethnique pour le développement de la selva péruvienne (AIDESEP), qui fait partie de l'alliance de l'Initiative des bassins versants sacrés, a exprimé son inquiétude face à ce règlement qui impose des formes d'organisation différentes de celles des communautés. A cet égard, il a déclaré : "La forme proposée par le Congrès n'est pas notre usage et notre coutume. Cette loi devrait reconnaître la forme de contrôle et de surveillance pacifique que les peuples indigènes pratiquent depuis des années", [...] "Il n'y a aucune raison de promulguer cette loi, elle générerait des conflits internes, et nous, les peuples indigènes du Pérou, rejetons catégoriquement cela".

Enfin, il a élevé la voix au nom des organisations que l'AIDESEP regroupe et a adressé un message au président Francisco Sagasti, car c'est à lui qu'il revient d'observer ce projet de loi : "Au nom des peuples indigènes amazoniens du Pérou, en l'occurrence l'AIDESEP, nous exigeons et demandons au président Sagasti de ne pas le signer ou le promulguer, car il s'agit d'une attaque contre les peuples indigènes, [...] ce serait une provocation à la tranquillité et à la paix dans lesquelles nous, les peuples indigènes, vivons. [...] Par conséquent, le président Sagasti ne devrait pas le signer mais l'envoyer au Congrès pour son archivage définitif.

 

Notes jointes

Les prérogatives des CADS établies par cette loi sont les suivantes : i. elle les reconnaît comme des entités juridiques et leur fournit les conseils du SUNARP pour leur enregistrement (Art. 3.1) ; ii) ils recevront collectivement des armes données par l'État ou par des particuliers (Art. 8) ; iii) ils recevront une formation du MININTER et du MINDEF en matière d'arrestation citoyenne, d'intervention, de réduction, d'utilisation de la force publique, d'utilisation d'armes à feu, etc. (Art. 9). iv) leurs membres bénéficient d'une défense juridique gratuite de la part du MININTER et du MINDEF lorsqu'ils font l'objet d'enquêtes ou de plaintes pour la commission présumée de crimes commis dans le cadre de la prestation de leurs services (art. 13).(v) ils peuvent recevoir des subventions financières des collectivités locales régionales et des entités de l'État ou des dons du secteur privé pour exercer leurs fonctions ; etc.

² Le Pérou a signé et ratifié le Traité sur le commerce des armes TCA en 2016, c'est un instrument international de lutte contre le trafic illicite d'armes que le Pérou. Pour plus d'informations, consultez le site : https://www.un.org/disarmament/es/armas-convencionales/el-tratado-sobre-el-comercio-de-armas

3. Chez aucun autre acteur de la guerre, la ligne de démarcation entre l'auteur et la victime, entre le héros et le méchant n'est aussi mince et poreuse que chez les comités d'autodéfense (CAD) ou les patrouilles paysannes antisubversives. Leur attitude pendant la guerre, leur subordination aux Forces armées (FFAA), l'obstination avec laquelle ils refusent de rendre leurs armes et leur contribution indéniable à la défaite militaire du Parti communiste péruvien - Sentier lumineux (PCP-SL) et, par conséquent, au rétablissement de la paix ont suscité des opinions divergentes. Commission Vérité et Réconciliation (2003), Rapport final, volume II, deuxième section, chapitre 1.5. Les comités d'autodéfense, p. 437, disponible sur https://www.cverdad.org.pe/ifinal/pdf/TOMO%20II/CAPITULO%201%20-%20Los%20actores%20armados%20del%20conflicto/1.5.%20LOS%20COMITES%20DE%20AUTODEFENSA.pdf.

⁴"Selon les informations du ministère de la Défense, l'armée a distribué 15 179 armes aux CAD dans tout le pays." Il note également les différentes raisons invoquées par les membres du CDA pour rendre leurs armes. Ibid. p. 456-458.

⁵Solange Avila, Les agents de serenazgo doivent-ils porter des armes ? ", in .Edu, 20 juillet 2015, disponible sur https://puntoedu.pucp.edu.pe/noticia/los-serenos-deben-portar-armas/ ; Débat : les serenazgo doivent-ils porter des armes non létales ? ", in El Comercio, 26 février 2016.

⁶Le réexamen a été soulevé par le député Lenin Bazán. Le débat sur le réexamen est disponible sur le site https://www.facebook.com/CongresoPeru/videos/158445722960781.

Traduction carolita d'un article paru sur Cuencas sagradas 

Rédigé par caroleone

Publié dans #ABYA YALA, #Pérou, #Peuples originaires, #Comités d'autodéfense

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