Tzam. Les treize graines zapatistes. Tsa'pxy. Crevasses
Publié le 22 Mai 2021
Tzam. Les treize graines zapatistes : Conversations depuis les peuples originaires
Tzam signifie "dialoguer" en ayapaneco, l'une des plus de 60 langues parlées sur le territoire ancestral, seule celle-ci, avec ses moins de dix locuteurs, est en danger de disparition. Tzam, pour le dialogue, est le cœur de ce projet.
Le premier jour de janvier 1994, des milliers, des millions de personnes au Mexique et dans de nombreuses régions du monde, ont appris l'histoire des peuples mayas organisés dans l'Armée zapatiste de libération nationale (EZLN). Leurs motifs et leurs douleurs ont été exprimés dans la Première Déclaration de la Selva Lacandona, un document dans lequel leurs intentions sont détaillées : "Nous demandons votre participation décisive pour soutenir ce plan du peuple mexicain qui lutte pour le travail, la terre, le logement, la nourriture, la santé, l'éducation, l'indépendance, la liberté, la démocratie, la justice et la paix", ont déclaré les insurgés. Et dans les mois qui ont suivi, à la suite de leurs rencontres avec la société civile, ils ont ajouté les droits des femmes et le droit à l'information. Treize demandes en tout.
Sans aucun doute, les premiers à être interpellés par cette déclaration ont été les peuples indigènes de tout le pays, mais l'appel était si large et les conditions qui prévalaient si généralisées que bientôt des personnes du reste du Mexique et de nombreux pays d'Amérique latine, ainsi que des États-Unis, de l'Italie, de la France, de l'Espagne, de l'Allemagne, du Japon et de l'Australie, pour n'en citer que quelques-uns, ont fait leurs les revendications.
Aujourd'hui, alors que les zapatistes et les membres du Congrès national indigène (CNI, selon ses initiales espagnoles) entreprennent un voyage transatlantique à travers une trentaine de pays d'Europe pour rencontrer leurs pairs du vieux continent, Desinformémonos propose un voyage parallèle. Il ne s'agit pas d'un nouveau voyage, puisque l'EZLN n'a cessé de le parcourir depuis plus de 27 ans, mais de réunir la pensée et la créativité de 130 collaborateurs issus de divers peuples, nations, tribus et quartiers indigènes, qui dialogueront avec chacune des revendications/graines zapatistes, une par mois. Concrètement, 10 participations mensuelles de différents peuples indigènes qui élaborent leur histoire et leur réalité actuelle, en prenant comme base chacune des graines/demandes. Treize graines, treize mois, 130 collaborateurs, de mai 2021 à mai 2022.
Dans ce projet, nous ne cherchons pas à faire appel à des journalistes ou à des historiens extérieurs aux communautés pour recueillir les récits et les voix des gens, mais à les amener à réfléchir, sous différentes formes, à leur façon de voir et d'affronter le monde, avec ou sans pandémie. C'est leur parole non médiatisée que nous trouverons ici.
Tout au long de ces treize mois, le dialogue avec les graines sera emballé dans différentes petites boîtes : une réflexion écrite, un poème, une histoire, une chanson, une composition musicale, un dessin, une illustration, un audio ou une vidéo, le tout pour continuer à assembler une partie de cet énorme puzzle de la résistance.
"Il y a un temps pour exiger, un temps pour donner et un temps pour exercer", ont évalué les zapatistes dix ans après leur soulèvement. Ce qui était leurs demandes est devenu des graines et des actions ; et au centre de l'autonomie sont restés non seulement eux, mais beaucoup de ceux qui continuent à construire avec tout contre eux.
"Treize est le chiffre sacré de nos grands-pères et grands-mères. Treize est la totalité, treize sont leurs demandes. Treize sont les gardiens de la sagesse. Treize sont nos revendications", ont-ils déclaré à l'occasion de la 13e année de la naissance de leurs régions autonomes. Par ici, tzam est toujours le pari.
Yásnaya Aguilar, Ayutla, Oaxaca
Gloria Muñoz, Mexico
Mai 2021
Première graine : le travail
Depuis une certaine tradition, le travail a été positionné comme le moteur fondamental qui sert de médiateur entre l'humanité et la nature, un moteur qui, dans le cadre du capitalisme, devient un processus qui profite de la force des personnes pour convertir les biens communs naturels en marchandises et concentrer la richesse dans un petit nombre. Dans d'autres traditions, le travail est récupéré comme le moyen, souvent festif, de rendre la vie possible par un effort commun. D'une part, nous avons le travail communautaire qui résout les problèmes de la vie (un incendie, un glissement de terrain, une inondation) ou qui rend possible les désirs collectifs (une milpa communale, la construction d'un bâtiment scolaire ou d'un terrain de sport) ; d'autre part, nous avons le travail salarié dans le système capitaliste qui arrache les fruits de l'effort, dépossède et asservit.
Entre les deux, il existe un éventail de phénomènes et de possibilités. Au point qui va d'un extrême à l'autre, les peuples indigènes ont maintenu le travail festif pour satisfaire les désirs collectifs et résoudre les problèmes que la vie pose, mais d'autre part, l'exploitation, le racisme et la dépossession ont confronté ces peuples à la réalité du travail salarié inscrit dans la logique du capitalisme. Des peuples O'dam, Ayuujk, Mazateco, Zapotèque, Nahua, Tsotsil, Mazahua et Totonaco viennent les réflexions, sous forme de texte, de poème, de chanson ou d'image, de dix femmes indigènes qui se concentrent sur le premier des 13 thèmes, énoncés comme des revendications, dans la Première Déclaration de la Selva Lacandone de l'Armée Zapatiste de Libération Nationale : le travail.
La vision occidentale a choisi les hommes comme salariés, ignorant, sous-évaluant et rendant invisible le travail des femmes qui fait vivre les communautés. Dans les réflexions sur la première des treize graines, ce sont des femmes de divers peuples indigènes qui parlent du travail dans des contextes de violence, du travail des travailleuses domestiques indigènes, du travail dans les champs, du travail de la parole dans le journalisme et des contrastes qui vont du travail communautaire au travail salarié, de leurs tensions et de leurs horizons. Ce sont les femmes qui sèment les graines de leurs paroles dans ce premier sillon.
Crevasses
On dit qu'Honorato
le soleil a noirci sa peau
car elle l'a enveloppé en le brûlant dans le champ,
Hortencia était poursuivie par le soleil
même quand il était caché
ça la brûlait dans la gorge
quand la nuit elle a réalisé
l'impuissance de ses dieux,
elle s'est réveillée à l'aube
et a balayé la tristesse que la nuit lui avait laissée
jour après jour, elle soulevait les cendres
de ses trois hommes qui lui ont été arrachés
et le fils que le vent a entraîné dans la fosse à charbon
pour devenir du feu...
Je la connaissais pieds nus
avec ses talons tout fendus
ma mère disait
qu'elle avait aussi des crevasses sur ses seins
que dans sa chair elles ont été creusées
pour avoir tenu sept enfants flous...
le soleil a consumé sa peau jusqu'aux os
et ainsi assoiffée
la terre qu'elle a laissée ouverte également
qui lui a offert du réconfort
alors qu'elle désirait ardemment avoir un compagnon,
de ses crevasses des racines ont poussé
qui ont percé le sol
jusqu'au plus profond
son coeur somnole dans l'ocote le plus haut
car il aspire un jour à atteindre le ciel,
de cette façon
les blessures sont devenues des ombres
affrontant seule l'incendie
puis
il n'y avait plus de peaux ouvertes
ni de flammes dans la poitrine
Diana Domínguez traduction carolita
Grietas
Dicen que a Honorato
el sol ennegreció su piel
pues lo envolvía ardiente en el campo,
a Hortencia el sol la persiguió
aún cuando éste se ocultaba
le quemaba en la garganta
cuando por las noches caía en la cuenta
del desamparo de sus dioses,
despertaba de madrugada
y barría la tristeza que la noche le había dejado
día a día levantaba las cenizas
de sus tres hombres que le arrancaron
y al hijo que el viento arrastró a la fosa de carbón
para volverse fuego…
la conocí con los pies descalzos
con los talones todos agrietados
mi madre decía
que también tenía ranuras en los pezones
que en su carne se hacían huecos
por sostener a siete hijos desvaídos…
el sol consumió su piel hasta los huesos
y así sedienta
también quedó la tierra que dejó abierta
quien le ofrendó consuelo
como ansiaba de un compañero,
de sus grietas surgieron raíces
que taladraron el suelo
hasta lo más profundo
su corazón dormita en el ocote más alto
pues anhela un día alcanzar el cielo,
de esta suerte
las heridas se volvieron sombra
enfrentándose sola contra el incendio
entonces
ya no hubo pieles abiertas
ni llamaradas en el pecho
Por Diana Domínguez
Tsa’pxy
Te’n wyä’änt ku ojts ja Honorato
Kajaanaxy ja än yakyëjk
Ku amäjtspë’m tsyä’äyy näjty kämwempojty
Ja Hortencia tu’uky ja xëë ja än näjty pyatity
Eyte’n näjty tëë tsyu’uyën
Jajp ja än näjty nyayu’utsy yyu’ktijpy
Jëts akxon näjty ja yyo’kt takjäjy takteyy
Ku ja tjënmayy tiikëjxp tyosteety natyu’uk
Ja jyujky’äjtë’n tyamëmastuut
Joknëm mëny näjty pyëti’iky
Jëts ja jotmay tpatmujkkixy
Japom japom näjty tjä’äxi’iky
Ja tëkëëk jëtyëjk mëte’ep ojts ja jujky’äjtë’n tyakë’piky
Jëts ja kyutëëm mëte’ep ojts ja po’ tjëëntsëmpety
Mää ja ju’uy këëtääjketpy
Pakwä’äts ojts ja’ n’ejx’aty
Tëë ja tyeky’ëjx tukë’y näjty tyimytsä’pxkëjxn
Te’n ëjts ja nan näjty y’anä’äny
Ku tëë nayte’n ja tsye’tskjëëjp näjty y’awätskëjxn
Ku te’n ja jëxtujk y’u’nk y’anä’äjk ojts takya’kkixy
Ojts ja än ja nye’kx ja kyojpk waanety waanety
Takmëktëtspety, jëts ja myojk ja kyäm
nayte’n ojts jyëntëkeeny
atuknäx ojts ja jyujky’äjtë’n kyukëx
mëët ja näjx ja käm, ja tyëjk ja tyu’u
mëte’ep ojts pyutëk pyuxäj
ëxtam tu’uk jamyëëtë’n
Akxon ojts ja tyeky’ëjx nyas’ääts
Këëjknaxy ojts ja y’äätstëk
Amuum mëj tseenë’n
mëte’ep jantsytimykëjxp yonp
mëte’ep ja xëë tyimynaspäätyanpy
te’nte’n ojts ja tsäätsy y’apjënpity
ku ja xëë ojts tjënkuwä’äk
nejtnëm ja atäm ne’kx nyëtso’oky
nejtnëm ja n’änmëjä’än jotkujk’äjtë’n tpääty
PEUPLE AYUUJK
Diana Dominguez
San Pedro et San Pablo Ayutla, Mixe, Oaxaca, 1994. Elle a obtenu un diplôme en travail social avec une spécialisation en gérontologie à l'université nationale autonome de Mexico. Elle a suivi des ateliers de création littéraire en langue maternelle au Centre de Création Littéraire Xavier Villaurrutia. Elle a participé au court documentaire "Miradas y Voces de los Pueblos Originarios" présenté à l'université de Séville, en Espagne.
traduction carolita