Tzam. Les treize graines zapatistes. Dxiiña’ xti’ gunaa binniza riui’ xtiidxa’ ca benda. Le travail d'une femme nuage qui raconte les histoires de ses sœurs

Publié le 25 Mai 2021

Tzam. Les treize graines zapatistes : Conversations depuis les peuples originaires

 

Tzam signifie "dialoguer" en ayapaneco, l'une des plus de 60 langues parlées sur le territoire ancestral, seule celle-ci, avec ses moins de dix locuteurs, est en danger de disparition. Tzam, pour le dialogue, est le cœur de ce projet.

Le premier jour de janvier 1994, des milliers, des millions de personnes au Mexique et dans de nombreuses régions du monde, ont appris l'histoire des peuples mayas organisés dans l'Armée zapatiste de libération nationale (EZLN). Leurs motifs et leurs douleurs ont été exprimés dans la Première Déclaration de la Selva Lacandona, un document dans lequel leurs intentions sont détaillées : "Nous demandons votre participation décisive pour soutenir ce plan du peuple mexicain qui lutte pour le travail, la terre, le logement, la nourriture, la santé, l'éducation, l'indépendance, la liberté, la démocratie, la justice et la paix", ont déclaré les insurgés. Et dans les mois qui ont suivi, à la suite de leurs rencontres avec la société civile, ils ont ajouté les droits des femmes et le droit à l'information. Treize demandes en tout.

Sans aucun doute, les premiers à être interpellés par cette déclaration ont été les peuples indigènes de tout le pays, mais l'appel était si large et les conditions qui prévalaient si généralisées que bientôt des personnes du reste du Mexique et de nombreux pays d'Amérique latine, ainsi que des États-Unis, de l'Italie, de la France, de l'Espagne, de l'Allemagne, du Japon et de l'Australie, pour n'en citer que quelques-uns, ont fait leurs les revendications.

Aujourd'hui, alors que les zapatistes et les membres du Congrès national indigène (CNI, selon ses initiales espagnoles) entreprennent un voyage transatlantique à travers une trentaine de pays d'Europe pour rencontrer leurs pairs du vieux continent, Desinformémonos propose un voyage parallèle. Il ne s'agit pas d'un nouveau voyage, puisque l'EZLN n'a cessé de le parcourir depuis plus de 27 ans, mais de réunir la pensée et la créativité de 130 collaborateurs issus de divers peuples, nations, tribus et quartiers indigènes, qui dialogueront avec chacune des revendications/graines zapatistes, une par mois. Concrètement, 10 participations mensuelles de différents peuples indigènes qui élaborent leur histoire et leur réalité actuelle, en prenant comme base chacune des graines/demandes. Treize graines, treize mois, 130 collaborateurs, de mai 2021 à mai 2022.

Dans ce projet, nous ne cherchons pas à faire appel à des journalistes ou à des historiens extérieurs aux communautés pour recueillir les récits et les voix des gens, mais à les amener à réfléchir, sous différentes formes, à leur façon de voir et d'affronter le monde, avec ou sans pandémie. C'est leur parole non médiatisée que nous trouverons ici.

Tout au long de ces treize mois, le dialogue avec les graines sera emballé dans différentes petites boîtes : une réflexion écrite, un poème, une histoire, une chanson, une composition musicale, un dessin, une illustration, un audio ou une vidéo, le tout pour continuer à assembler une partie de cet énorme puzzle de la résistance.

"Il y a un temps pour exiger, un temps pour donner et un temps pour exercer", ont évalué les zapatistes dix ans après leur soulèvement. Ce qui était leurs demandes est devenu des graines et des actions ; et au centre de l'autonomie sont restés non seulement eux, mais beaucoup de ceux qui continuent à construire avec tout contre eux.

"Treize est le chiffre sacré de nos grands-pères et grands-mères. Treize est la totalité, treize sont leurs demandes. Treize sont les gardiens de la sagesse. Treize sont nos revendications", ont-ils déclaré à l'occasion de la 13e année de la naissance de leurs régions autonomes. Par ici, tzam est toujours le pari.

Yásnaya Aguilar, Ayutla, Oaxaca
Gloria Muñoz, Mexico
Mai 2021

 

Première graine : le travail

 

Depuis une certaine tradition, le travail a été positionné comme le moteur fondamental qui sert de médiateur entre l'humanité et la nature, un moteur qui, dans le cadre du capitalisme, devient un processus qui profite de la force des personnes pour convertir les biens communs naturels en marchandises et concentrer la richesse dans un petit nombre. Dans d'autres traditions, le travail est récupéré comme le moyen, souvent festif, de rendre la vie possible par un effort commun. D'une part, nous avons le travail communautaire qui résout les problèmes de la vie (un incendie, un glissement de terrain, une inondation) ou qui rend possible les désirs collectifs (une milpa communale, la construction d'un bâtiment scolaire ou d'un terrain de sport) ; d'autre part, nous avons le travail salarié dans le système capitaliste qui arrache les fruits de l'effort, dépossède et asservit.

Entre les deux, il existe un éventail de phénomènes et de possibilités. Au point qui va d'un extrême à l'autre, les peuples indigènes ont maintenu le travail festif pour satisfaire les désirs collectifs et résoudre les problèmes que la vie pose, mais d'autre part, l'exploitation, le racisme et la dépossession ont confronté ces peuples à la réalité du travail salarié inscrit dans la logique du capitalisme. Des peuples O'dam, Ayuujk, Mazateco, Zapotèque, Nahua, Tsotsil, Mazahua et Totonaco viennent les réflexions, sous forme de texte, de poème, de chanson ou d'image, de dix femmes indigènes qui se concentrent sur le premier des 13 thèmes, énoncés comme des revendications, dans la Première Déclaration de la Selva Lacandone de l'Armée Zapatiste de Libération Nationale : le travail.

La vision occidentale a choisi les hommes comme salariés, ignorant, sous-évaluant et rendant invisible le travail des femmes qui fait vivre les communautés. Dans les réflexions sur la première des treize graines, ce sont des femmes de divers peuples indigènes qui parlent du travail dans des contextes de violence, du travail des travailleuses domestiques indigènes, du travail dans les champs, du travail de la parole dans le journalisme et des contrastes qui vont du travail communautaire au travail salarié, de leurs tensions et de leurs horizons. Ce sont les femmes qui sèment les graines de leurs paroles dans ce premier sillon.

Dxiiña’ xti’ gunaa binniza riui’ xtiidxa’ ca benda. Le travail d'une femme nuage qui raconte les histoires de ses sœurs

 

Photo : Femmes zapotèques en fête / Roselia Chaca

Par Roselia Chaca

Lorsque je parle de travail chez les femmes zapotèques de l'isthme de Tehuantepec, je pense immédiatement à la "racadxiiña", qui se traduit littéralement en espagnol par "le lieu du travail communautaire", un espace où les femmes se rassemblent autour d'une fiesta, offrant leur tequio aux organisateurs d'une célébration sociale ou religieuse pour préparer la nourriture qui sera distribuée aux invités ; le travail n'a pas de récompense monétaire, mais renforce plutôt les liens de fraternité et de solidarité.

J'ai grandi en courant entre les jupons de ma mère, de mes tantes et de mes grands-mères qui participaient à cette forme d'organisation. Dans la "racadxiiña", j'ai entendu pour la première fois les femmes zapotèques nommer le sexe comme un lapin et décrire en plaisantant les rapports sexuels, suivis de rires hilarants. Dans cet espace public, je les ai vus maîtresses d'elles-mêmes, intrépides, audacieuses, féroces, blasphématrices, ravisseuses, non censurées, sans aucun souci d'exposer leur intimité aux autres.

Le comportement libre des femmes zapotèques dans ce lieu de travail communautaire m'a impressionné dans mon enfance, tout comme il a impressionné et continue d'impressionner de nombreux voyageurs et artistes qui les filment et les photographient, montrant ce côté romantique et folklorique des femmes des nuages (binnizá), une image commerciale qui se répète dans d'autres espaces publics comme les marchés, les rues et les festivals, où les femmes zapotèques ont l'air fortes, mais dans l'espace privé, derrière des portes fermées, elles sont réduites au silence, humiliées et assassinées.

Commencer à écrire sur cette réalité, depuis ma position de journaliste, c'était me dépouiller de toute idéalisation, car je voyais les Zapotèques, je me voyais moi-même, comme l'autre nous voit : à partir de magazines, de livres, de peintures et de photographies. Je me suis mise dans leur corps, dans celui de l'étranger, pendant un instant j'ai cru au matriarcat, au paradis. 

En écrivant ces lignes, je vois devant moi une photo de ma grand-mère maternelle, Na Elvia, une femme dont le métier était d'être voyageuse, c'est-à-dire qu'elle faisait des voyages dans d'autres États comme le Chiapas ou Veracruz, elle allait jusqu'en Amérique centrale pour échanger des produits de l'isthme d'Oaxaca, comme beaucoup de Zapotèques de son époque. En outre, elle nourrissait les travailleurs des fermes de coton au Chiapas ; mais, bien qu'étant la principale source de revenus, mon grand-père était chargé de gérer l'argent, l'indépendance économique dont elle faisait preuve n'était pas réelle, et elle n'assumait pas non plus d'engagements sociaux sans le consentement de son mari, et comme elle, la plupart des femmes voyageaient, sauf si elles étaient veuves. Je me souviens d'elle rentrant du marché après une journée de travail en tant que marchande et s'asseyant devant son mari pour compter les ventes de la journée. Pendant longtemps, je n'ai vu, comme les étrangers la voyaient, qu'une femme imposante assise à son étalage de huarache, puissante, libre, ce qu'elle était jusqu'à son retour à la maison. 

Après 17 ans de marche main dans la main avec le journalisme à travers les communautés zapotèques, mixes, zoques, huaves et chontales, j'ai compris que même ma grand-mère vivait en dehors du folklore dépeint dans les reportages télévisés sur les Zapotèques, dans les promotions touristiques du gouvernement, dans les magazines et les journaux. J'ai également compris qu'il ne suffisait pas de générer de l'argent pour être indépendante, pire encore si vous êtes pauvre, analphabète ou veuve, le panorama devient plus désavantageux.

En tant que journaliste, j'ai observé que les femmes indigènes présentant ces désavantages étaient privées de leurs terres et de leurs enfants, qu'elles étaient assassinées à la machette sans jamais recevoir de justice, qu'elles mouraient d'un cancer à cause de la jalousie de leur mari, à cause du machisme, qu'elles ne pouvaient pas voter et être élues sous la bannière des us et coutumes, que leur "honnêteté", leur "courage" et leur virginité se mesuraient au fil de sang qu'elles laissaient sur un drap. 

Il y a dix ans, j'ai décidé d'écrire sur ces femmes, sur celles qui fendent la terre avec une charrue et ne possèdent même pas les pierres, celles qui travaillent dans des métiers rudes et sont stigmatisées, celles qui sont pointées du doigt parce qu'elles vendent de la bière pour survivre, celles qui font du travail communautaire après une tragédie comme un tremblement de terre et sont des héroïnes anonymes.

L'espace de la "racadxiiña" continue d'exister ; bien que modifié au fil du temps, les femmes zapotèques y imposent toujours leur présence, impressionnent toujours avec leurs rires de stentor et leurs jupons de fleurs, l'objectif principal est maintenu : la solidarité et la fraternité. De temps en temps, je participe, mais maintenant, contrairement à mon enfance, je n'écoute pas seulement leur intimité, mais aussi la violence qu'elles subissent, et j'écris à ce sujet. 

traduction carolita

PEUPLE ZAPOTEQUE
 

Roselia Chaca

Journaliste zapotèque de Juchitán, Oaxaca. Elle a étudié la littérature et les langues hispaniques à l'université de Veracruz. Elle est journaliste depuis 17 ans. Elle est actuellement correspondante pour El Universal à Oaxaca. Parmi ses récompenses, elle a reçu le septième prix national de journalisme "Gilberto Rincón Gallardo" dans le domaine du reportage dans la presse écrite en 2011.

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