La musique indigène et l'identité : les espaces musicaux des communautés mapuche urbaines

Publié le 19 Avril 2021

Chili : La musique indigène et l'identité : les espaces musicaux des communautés mapuche urbaines
par
Jorge Martínez Ulloa

"Je ne sais pas pourquoi les Winkas insistent pour nous voir comme nous étions il y a 500 ou 400 ans : avec des lances et des flèches, dans des rucas... On ne les voit pas avec des armures, des chevaux et des arquebuses..." (opinions des musiciens mapuche de Santiago).

 

VUE D'ENSEMBLE

La musique indigène pose de grands problèmes théoriques : le concept de "musique" utilisé dans la culture occidentale et urbaine est-il similaire ou du moins comparable à celui utilisé par les groupes ethniques afro-caribéens ? Le son, qui est au cœur de la réflexion musicologique, existe-t-il avec les mêmes caractéristiques conceptuelles et phénoménologiques dans la musicalité indigène ? Étant donné que notre perception est largement déterminée par notre propre culture à travers les descriptions du "réel", est-il possible d'affirmer que des individus appartenant à des cultures différentes partagent le même environnement, la même réalité ? La musique indigène a-t-elle également une résonance pour l'observateur extérieur ? Que percevons-nous lorsque nous sommes confrontés à une musicalité "autre" ? Enfin, qu'est-ce qu'un indigène ou qui en est un ?

Dès l'instant où l'on affirme sa propre humanité, on affirme, volontairement ou non, sa propre limitation linguistique : on sait ce que l'on peut ou est capable de nommer, et cela détermine son rapport particulier avec la réalité. On le sait par les descriptions et c'est le langage 1 qui détermine la qualité du rapport avec la réalité et, bien sûr, avec les autres êtres humains ; cependant, le langage lui-même suppose, peut-être indirectement, un certain développement sensible qui déstabilise constamment ses propres limites culturelles. Les êtres humains savent qu'ils savent, et cette qualité est peut-être la base de leur humanité ; ils se rapportent à la réalité par le biais de descriptions, mais ils savent qu'il s'agit de descriptions, de signes ou d'interprétations. Avec la manipulation de son langage, de ses connaissances qu'il connaît, il peut générer de nouveaux espaces descriptifs, de nouvelles réalités sensibles, il peut, en somme, innover son texte culturel pour générer des données épitextuelles 2 avec lesquelles il peut "soupçonner" "entrevoir" de nouvelles réalités, jamais nommées auparavant : le non vérifié, le non(m)-prévu. Les cultures, selon Lotman 3 , ont une double fonctionnalité : la génération de règles et un système de compréhension et de signification pour nommer ce qui est connu et un système de sondes pour pouvoir intégrer de nouvelles choses.

La possibilité de connexion, pour ainsi dire translinguistique, produit le dynamisme du système signifiant. L'observation des données épitextuelles s'inscrit dans un processus communicatif4 et permet l'interaction entre l'environnement et l'individu, l'épigenèse5 de l'organisme culturel avec son environnement : l'autre peut être quelque chose de plus que la négation de son propre.

Un autre ordre de difficultés dans la prise en compte de la "musique indigène" se vérifie dans l'"altérité" envisagée uniquement comme une possibilité de négation de son propre système culturel : l'autre comme une négation du sujet. C'est ainsi que l'on finit par ne considérer l'"autre musical" de la musique indigène que comme l'opposition de ce que l'on considère comme sa propre condition musicale : l'ex-otique, l'ex-étranger.

La préoccupation de nombreux chercheurs créoles 6 pour la "pureté" des manifestations culturelles indigènes les conduit à nier toute valeur aux manifestations considérées comme "contaminées" par rapport à cette virginité paradigmatique. Cette position est symétrique à un système de valeurs idéologisé qui nie à "l'autre" la possibilité d'être quelque chose de plus que la négation de la culture créole elle-même, en bref, d'être "un" et le sujet de sa propre évolution. Cette subalternité de "l'autre" nous renvoie à la rigidité idéologique avec laquelle on considère sa propre situation culturelle et musicale comme quelque chose de statique et d'autoréférentiel.

L'indigène et sa musique, évidemment définie à partir de sa propre description ethnocentrique, apparaît au créole comme le lieu archaïque 7 de la pureté et de la simplicité spirituelles, liées à des forces magiques et surnaturelles incompréhensibles, dans un naturalisme romantique qui refuse à cette "autre" musique tout ce que le créole désire pour sa propre musique : être un véhicule de la situation sociale et existentielle actuelle, se développer et vivre avec elle. La critique citée au début de ces lignes, exprimée par des musiciens mapuches de Santiago, est assez éclairante.

L'objet de cet article est composé de quelques réflexions sur la condition actuelle des musiciens mapuche à Santiago et le rôle que joue ce qu'ils définissent comme "musique mapuche" dans l'affirmation de leur propre identité et la reproduction de leur propre culture, en tension et en échange avec une situation de subalternité économique et socio-politique. Cette situation limite pour toute musicologie remet en question les hypothétiques sondes qui ont jusqu'à présent défini le "discours sur la musique" dans la culture créole chilienne.

La place de la musique mapuche, ses mutations et son épigenèse, sa situation d'altérité et de subalternité par rapport à la culture créole hégémonique, son dynamisme communicatif, motivent une réflexion sur le rôle de la musique en général en tant qu'espace de reproduction sociale et culturelle : on a beaucoup écrit sur la façon dont la culture et la société déterminent la musique qu'elles produisent, un peu moins sur la façon dont elle reproduit la société qui la contient.

La musique des Mapuche urbains, leurs manifestations rituelles, leurs genres et leurs espèces musicales sont une bonne occasion de réaffirmer la perméabilité de toutes les cultures, le dynamisme de la reproduction musicale-culturelle.

Si une version traduite en français de ce travail vous intéresse merci de me laisser un message sur la page d'accueil du blog.

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