Colombie : Trino Morales : Comment est né et que signifie "Unidad Indígena" ?

Publié le 22 Février 2021

Dans le cadre du 50e anniversaire du Conseil régional indigène du Cauca (CRIC), Servindi partage un texte historique : le premier éditorial du journal Unidad Indígena, publié en janvier 1975, dirigé par Trino Morales.

Cette publication a été un outil de communication essentiel du mouvement indigène colombien et son directeur un personnage clé dans sa consolidation.

Unidad Indígena a été publié pendant plusieurs décennies par l'Organisation nationale indigène de Colombie (ONIC) et a cimenté une longue tradition de communication dans ce pays et a servi de stimulant aux mouvements indigènes dans d'autres pays.

Par exemple, le communicateur Shipibo, Cecilio Soria (Pérou) dit que sa rencontre avec Trino Morales et Unidad Indígena l'a inspiré pour créer Voz Indígena, le bulletin d'information de l'Association Interethnique de Développement de la Selva Péruvienne (Aidesep).    

 

Comment est né et que signifie Unidad Indígena ?

Par Manuel Trino Morales

Unidad Indígena est le journal des communautés indigènes de Colombie. Il est apparu comme une réponse au développement de notre mouvement indigène et en accord avec la nécessité d'avoir notre propre journal qui nous servirait à présenter nos besoins et les moyens par lesquels nous essayons de les résoudre de manière juste et correcte.

C'est lors du troisième Congrès paysan de l'Anuc, qui s'est tenu à Bogota du 1er au 4 septembre 1974, qu'un groupe de 400 compañeros indigènes a décidé de notre propre initiative de fonder un journal qui serait le porte-parole de nos intérêts et qui s'appellerait Unidad Indígena (Unité indigène). Nous avons pris cette décision en nous basant sur le projet que les compagnons du Cric avaient déjà de fonder ce journal. Plus tard, lors de la réunion du Secrétariat indigène de l'Anuc, le 20 octobre 1974, nous avons décidé de commencer définitivement avec la publication de notre journal et c'est ainsi qu'aujourd'hui nous voyons avec une grande joie l'apparition de notre premier numéro. 

Unidad Indígena servira à tenir toutes les communautés indigènes et autres secteurs populaires de Colombie informés des événements de notre mouvement et, grâce à ces informations, nous apprendrons à avoir plus de clarté sur nos problèmes : d'où viennent-ils, pourquoi les avons-nous et comment allons-nous les résoudre. Nous espérons également que grâce à notre journal, nous pourrons consolider davantage l'union entre les différentes communautés indigènes afin d'accroître notre force et de mieux faire notre travail.

Unidad Indígena est née de l'initiative de nous-mêmes, les indigènes colombiens. C'est notre journal et à travers lui nous allons rendre compte des efforts et des luttes que nous menons dans toute la Colombie pour défendre ce qui nous appartient : pour défendre nos terres, nos resguardos et nos réserves ; pour défendre nos coutumes, nos langues, notre religion ; pour défendre notre propre façon de partager et de travailler la terre ; pour défendre nos propres organisations, notre dignité et notre avenir.

Cela fait presque cinq cents ans que les conquistadors espagnols sont venus sur nos terres et se sont consacrés principalement à nous voler et à s'emparer de tout ce qui nous appartenait : la terre, les richesses, les coutumes et la vie elle-même. Depuis lors, nous avons dû nous battre du mieux que nous pouvions pour nous défendre ; dans cette lutte qui a duré des siècles, de nombreux compatriotes sont tombés, des communautés entières sont tombées, mais ils n'ont pas pu nous vaincre complètement. La preuve, c'est qu'il reste encore des indigènes en Colombie. La principale erreur des luttes du passé est que nous n'avions pas d'unité. Nous avons combattu séparément et il était donc plus facile pour l'ennemi de nous achever un par un, petit à petit. Mais aujourd'hui, nous avons commencé à y voir plus clair. Nous ne serons plus dupes des exploiteurs actuels qui disent nous aimer comme leurs enfants, mais qui ne prennent que notre terre, notre langue, notre religion et nos coutumes. Et aujourd'hui, nous commençons à mieux nous organiser, comme les compagnons indigènes du Cauca avec le Cric, et les compagnons de la Sierra Nevada avec la COIA. Nous organisons également les indigènes du Vaupés, les Guahibos du Llano et du Vichada, les Catíos d'Antioquia, les Cuna d'Urabá, les Ingas et Camsás de Sibundoy et les indigènes de Tolima. C'est pourquoi, afin d'unifier toutes ces organisations et de servir de messagers entre elles, nous avons fondé Unidad Indígena, et c'est pourquoi le slogan de notre mouvement est : "Unité, terre et culture".

Nous avons besoin de notre propre journal car, bien que des articles et des livres soient souvent publiés à notre sujet, ils portent presque toujours atteinte à notre dignité et nient nos droits. On nous présente aussi comme des sauvages et des ignorants, ou comme des animaux pittoresques qui ne servent qu'à décorer les musées ou à attirer les touristes. Dans Unidad Indigena nous parlerons de notre propre voix, comme nous le sommes vraiment : des hommes, des femmes et des enfants de chair et de sang, avec notre propre dignité, notre propre langue, nos propres religions, notre propre terre et surtout avec notre détermination inébranlable à nous unir, à nous organiser et à nous battre pour défendre toutes ces choses contre les exploiteurs d'aujourd'hui qui veulent continuer à voler ce qui nous appartient.

Il est très important que les compagnons indigènes qui reçoivent notre journal prennent vraiment grand soin de le faire connaître aux autres compagnons, de l'étudier et de le lire ensemble, de le traduire dans leur propre langue pour que tout le monde puisse bien le comprendre, de nous écrire pour que notre journal soit de mieux en mieux. Pour qu'en apprenant à mieux se connaître, nous puissions mieux unir nos luttes.

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Source : Documents pour l'histoire du mouvement indigène colombien contemporain. Enrique Sanchez Gutiérrez et Hernán Molina Echeverri (compilateurs). Biblioteca básica de los pueblos indígenas de Colombia, Tomo 1 : nación desde las raíces. Ministerio de Cultura de la República de Colombia, Bogotá, 2010, pages 126-128.   

traduction carolita d'un article paru sur Servindi.org le 22/02/2021

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