Brésil : Tapi Yawalapiti : "Mon père est mort en se battant pour les indigènes, pour sa terre"

Publié le 12 Novembre 2020

Victime de la covid-19, le cacique de la tribu Yawalapiti, leader historique de la région du rio Xingu au Brésil, est mort le 5 août

Tapi Yawalapiti

Brasil de Fato | Território Indígena del Xingu | 09 novembre 2020 
 

Avec la mort de mon père [Aritana Yawalapiti, 1949-2020], tout le territoire du Xingu est en deuil*. Les 16 peuples indigènes qui vivent sur le fleuve Xingu ont tous pleuré la perte de mon père, principalement le peuple Yawalapiti, qui a passé trois mois en deuil, sans pouvoir connaître la moindre joie ou le moindre bonheur.

En peu de temps, nous avons cessé de faire le deuil. Ma communauté s'est normalisée, a commencé à utiliser des décorations, à se peindre, à crier. Nous relevons la tête, nous attendons la vie avec impatience. J'ai déjà rassemblé mon peuple pour commencer une nouvelle vie.

Avec la perte de mon père, nous étions très perdus, sans paroles. J'ai parlé avec ma communauté de la façon dont nous allions nous organiser à partir de maintenant avec cette situation que nous vivons encore, très difficile.

Certains villages n'ont toujours pas de symptômes [de covid-19]. Nous sommes inquiets pour les autres villages qui n'ont pas encore attrapé le virus.  Mon père est mort en se battant pour les peuples indigènes, en défendant le territoire, en parlant des droits des peuples, en allant au Congrès pour parler aux députés. Je leur ai dit [au peuple Yawalapiti] qu'il va être difficile pour nous d'avoir une autre personne comme mon père. Mon père était un diplomate. Il était patient avec les gens, il savait comment parler sans crier ni blesser la personne.

Il est parti dans un autre monde. Aujourd'hui, il se repose. Cela signifie qu'il a laissé une très belle histoire dans le Xingu. Lui, très jeune, a participé à la délimitation du territoire indigène Xingu, il a laissé une très belle histoire. Au mois d'août, nous allons lui rendre hommage. Je vais inviter tous les habitants du Xingu à participer et nous allons faire une fête en son honneur.

Quand je vois la carte du Xingú, je pense que mon grand-père décédé, mon père, mon oncle, qui sont déjà partis, nous ont fait cadeau de ce territoire. Ils ont délimité le territoire et l'ont donné en cadeau à la nouvelle génération, à ma génération. Il [Aritana] a dit cela : Fils, prends soin de cette terre. Maintenant, il est de votre responsabilité, jeunes gens, de prendre soin de la forêt, de la rivière et de la terre. Demain, tu donneras peut-être à ton fils cette terre, avec cette forêt, avec cette rivière. Vos petits-enfants vont avoir besoin de cet espace.

Pour notre culture, mon père est avec l'esprit de la selva, l'esprit de la rivière et l'esprit de la terre. Il m'accompagne de loin, il me donne de la force, à moi et au peuple.

J'ai encore cela en tête aujourd'hui, ce que mon père m'a dit. Quand je vois la carte du territoire du Xingu, je me souviens immédiatement de ce que mon père a dit. Cela a laissé une marque dans ma tête et je m'en souviendrai toujours.

L'intention du cacique est de maintenir la forêt, de prendre soin de la rivière, de prendre soin de la terre. La selva a été plantée par le créateur. Nous sommes en train de couper la forêt, et l'esprit est avec lui. C'est pour cela qu'il y a ce changement climatique. Aujourd'hui, nous sensibilisons les nouvelles générations afin qu'elles puissent elles aussi prendre soin de la forêt. Nous apprenons à reboiser. Nous faisons une plantation et nous devons savoir comment la reboiser. C'est cette prise de conscience que nous appliquons dans le Xingu.

En tant que fils aîné du cacique Aritana, mon père m'a transmis cette responsabilité. J'étais préparé à cela. Aujourd'hui, j'assume cette responsabilité.

Mon père est né dans un autre monde. Je suis né dans un monde moderne. Mon père ne savait pas lire, ne savait pas écrire, ne pouvait pas utiliser un téléphone portable ou un ordinateur. Il était très traditionnel. Mais il avait dans sa tête une conscience claire du monde non indigène, il pouvait parler portugais.

Mon père pensait que je devais étudier. Étudier et aller à l'université. C'était le but de mon père. Il m'a encouragé à le faire. Il me disait : "Mon fils, tu vas devoir étudier, parce qu'à l'avenir tu vas prendre le Xingu."

Aujourd'hui, j'étudie à l'université et je fais un master en linguistique. Mon père ne va pas voir ma défense. C'était la volonté de mon père. Il était très heureux de voir son fils entrer à l'université, pour pouvoir discourir avec des non indigènes.

Aujourd'hui, je représente la population indigène du Xingu, qui poursuit sa lutte. Je continuerai le combat qu'il a laissé pour moi. Entretenir le territoire, s'occuper du peuple, s'articuler avec le peuple et parler aux autorités au Congrès. La responsabilité que mon défunt père m'a laissée est grande : agir en faveur des peuples indigènes du Xingu.

Il m'a toujours dit cela, et cela m'est resté en tête : "Mon fils, tu es un universitaire. Tu as appris à parler le portugais, tu sais écrire, mais tu ne dois pas oublier ta culture. Garde ta culture. Tu es né pour être un Yawalapiti.

* Tapi Yawalapiti est le leader et le cacique du peuple Yawalapiti de la région du Haut Xingu. Cet article a été écrit à partir de la déclaration faite par Tapi au téléphone au journaliste Erick Gimenes, de Brasil de Fato, le 5 novembre 2020. Son père, le chef Aritana Yawalapiti, était mort trois mois plus tôt, le 5 août, dans la ville de Goiânia, au centre du pays, victime de complications dues au covid-19. Il a été l'un des plus importants dirigeants du Parc indigène du Xingu, aujourd'hui connu sous le nom de Territoire indigène du Xingu (TIX), qu'il a contribué à délimiter aux côtés des frères Claudio et Orlando Villas-Bôas. 

Edition : Rogério Jordão

traduction carolita d'un article paru sur Brasil de fato le 9/11/20

Rédigé par caroleone

Publié dans #ABYA YALA, #Brésil, #Peuples originaires, #Yawalapiti

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