À propos du prix Nobel de littérature pour la poétesse Louise Glück (I)
Publié le 27 Octobre 2020
Photo : @Ap Photo/Michael Dreyer
Luis Chávez Rodríguez
Si nous regardons l'intérêt du gouvernement américain actuel pour le domaine de la culture ou des sciences humaines, et que nous le comparons à celui de l'administration précédente, cela donne l'impression que nous sommes face à un paysage dévasté par un ouragan quelconque, comme celui qui dévaste chaque année la région du sud-est des Etats-Unis. Il semble que ce soit le siècle dernier qu'un président américain ait récompensé ou remis des prix aux poètes, écrivains, artistes, philosophes, intellectuels et leurs institutions qui ont contribué à humaniser ou à civiliser son puissant pays. Ce pays est actuellement engagé dans d'intenses luttes internes, précisément entre la civilisation et la barbarie ; entre la possibilité de réaliser une culture et une politique humanistes ou de continuer à radicaliser son enfermement dans les murs d'un système économique et politique injuste, oppressant et prédateur.
Un exemple de ce panorama dévasté est l'utilisation de la médaille nationale des sciences humaines, qui est devenue un instrument de reconnaissance très important pour les intellectuels et les artistes nord-américains depuis sa mise en place en 1997. Cette reconnaissance est promue par la National Endowment for the Humanities et la médaille honorifique est décernée par le président actuel. L'administration Obama l'a décerné 39 fois au cours des quatre premières années de son administration et 32 fois au cours de sa deuxième administration. L'administration Trump, pour sa part, n'a décerné ce prix que cinq fois au cours des quatre années qui viennent de s'écouler. Des poètes comme Louise Glück, qui vient de recevoir le prix Nobel de littérature, l'admirable poète Kay Ryan et le romancier Philip Roth ou le musicien afro-américain Wynton Marsalis sont venus à la Maison Blanche pour être félicités par Barack Obama. D'autre part, parmi les quelques médailles que Trump a distribuées, l'une est allée au prestigieux chef Patrick O'Connell, propriétaire d'un luxueux restaurant en Virginie, et une autre à la fondation, The Claremont Institute, comme un signe clair de sa position idéologique auprès des groupes conservateurs de vieille souche.
L'Institut Claremont a été fondé en 1979 sous la tutelle du philosophe conservateur Harry Jaffa, professeur émérite du Claremont McKenna College, qui était conseiller du politicien républicain Barry Goldwater. L'influence de Jaffa, dans laquelle "le bonheur et la sécurité nationale" étaient et continuent d'être compris selon des critères ségrégationnistes, a sous-tendu l'attaque du mouvement des "Droits civiques" par la communauté afro-américaine dans les années 1960. Des luttes qui, en réponse, ont vu ses dirigeants abattus, notamment Martin Luther King Jr, Malcolm X. et le président J.F. Kennedy lui-même. Le républicain Goldwater était le candidat de 1964 du démocrate Lyndon B. Johnson, le successeur de JFK, et sa campagne était basée sur la rhétorique contre la loi pour les Droits Civiques, visant en particulier les États du Sud profond de la Caroline du Sud, de la Géorgie, de l'Alabama, du Mississippi et de la Louisiane, qui sont à ce jour le bastion conservateur. Ces élections de 1964 furent remportées par Lyndon B. Johnson, qui adopta, dès son entrée en fonction, la Loi des Droits Civiques interdisant, au moins sur le papier et dans les intentions, la discrimination raciale qui avait été officiellement sanctionnée depuis 1876 par les lois Jim Crow, notamment dans le sud-est des États-Unis. Ces lois autorisaient officiellement et de manière flagrante la ségrégation raciale dans les écoles, les transports publics, l'emploi, les lieux publics et le droit de vote.
Actuellement, l'Institut Claremont publie la National Review, un média de diffusion des idées dites conservatrices de la droite américaine, auquel collabore notre célèbre Álvaro Vargas Llosa et où son père, le prix Nobel péruvien, est un référent admiré et un invité fréquent de Jay Nordlinger, l'un des rédacteurs de la revue, qui le considère comme le plus brillant idéologue du libéralisme hispano-américain. Ces derniers temps, le magazine conservateur prend un virage encore plus radical, au point d'être considéré comme l'un des médias les plus actifs dans la diffusion d'une branche du libéralisme, qui va même au-delà de la pensée conservatrice et du cadre idéologique républicain, si bien qu'on en est venu à l'appeler "Trumpism", avec tout ce que cela signifie comme menace de radicalisme de droite pour les temps à venir, qu'ils obtiennent ou non un second mandat au gouvernement.
Pour en revenir aux 71 lauréats du prix Obama, nous pouvons constater que l'intention du prix était orientée dans une direction totalement opposée à celle de l'actuel président. Ces listes sont dominées par des artistes, des historiens, des journalistes, des philosophes et une grande variété d'intellectuels et de scientifiques, souvent d'origine étrangère, qui ont été nationalisés américains et ont développé leur art ou leur carrière en maintenant des positions politiques revendiquant des minorités exclues ou marginalisées, comme Kwame Akroma-Ampim Kusi Anthony Appiah d'origine britanno-ghanéenne, le cubain Teofilo Ruiz ou l'hindou Amartya Kumar Sen. Ces listes sont pleines d'historiens et de journalistes qui ont écrit sur les luttes afro-américaines, comme Isabel Wilkerson (The Warmth of Other Suns : The Epic Story of America's Great Migration, 2010) ou Annette Gordon-Reed, dont le premier livre percutant (Thomas Jefferson and Sally Hemings : An American Controversy, 1997) sur les fils et les filles que le président Thomas Jefferson a eus avec Sally Hemings, une de ses esclaves, a suscité beaucoup d'émotion parmi ses collègues historiens qui ont été scandalisés à l'université de Harvard. Un autre écrivain qui a reçu la médaille d'Obama est le chicano Rudolfo Anaya, professeur et auteur de nouvelles, de romans et d'essais qui développent le thème de la migration et de la ségrégation des mexicains dans le Sud-Ouest américain.
Dans ce contexte, un nouveau prix Nobel de littérature a été attribué au pays du nord et cette fois-ci, il devait récompenser et célébrer la poésie, comptant plusieurs narrateurs de renom dans le palmarès, comme le français Michel Houellebecq, le tchèque Milan Kundera, le japonais Haruki Murakami, le norvégien Karl Ove Knausgaard ou les célèbres compatriotes de Glúck, qui ont également inscrit les listes des plus populaires comme Don de Llillo, Cormac McCarthy et Thomas Pynchon. Comme tout prix décerné à cette époque, le Nobel, et en particulier le prix Nobel de littérature, a vécu dans la confusion entre ses principes fondateurs et ses obligations politiques, bien que cela n'ait pas été le cas en cette occasion.
Dans ce cas, la Fondation Nobel, une organisation privée suédoise, est chargée de décerner une reconnaissance et un prix monétaire d'environ un million d'euros (neuf millions de couronnes suédoises) aux scientifiques, intellectuels, artistes ou institutions qui apportent une contribution significative à la culture de la paix ou un "bénéfice pour l' humanité"(testament d'Alfred Nobel), qui au cours de son histoire a connu une série de décisions controversées, car les critères de choix du gagnant n'ont pas toujours été conformes aux principes de son fondateur et donateur, comme l'inventeur responsable de la dynamite et de nombreux autres explosifs qui ont été utilisés pour tuer des gens et détruire des villes. Mais cette année, semble-t-il, la Fondation est revenue sur le chemin des principes, laissant de côté les pressions politiques, et a décerné le prix Nobel à une poétesse à la carrière littéraire renommée.
La plus haute distinction de la littérature occidentale est cette fois-ci décernée non seulement à la production de la poétesse Louise Glück, mais à toute une génération de poètes qui s'inscrivent dans un style développé aux Etats-Unis dans les années 1950 et 1960 appelé "poésie confessionnelle" et qui compte parmi ses représentants les plus connus Sylvia Plath, Anne Sexton et des poètes masculins tels que Robert Lowel et Theodore Roethke. La poésie confessionnelle est connue comme les poèmes qui, dans leur rhétorique, se rebellent contre les tentatives d'objectivité de ses prédécesseurs et postulent plutôt un subjectivisme intentionnel qui se nourrit du quotidien et de l'autobiographique. Dans de nombreux cas, c'est une poésie du corps et du moi intime, opprimés par les mandats d'un ordre patriarcal, ainsi qu'une sorte de confrontation plus prosaïque et démystifiante avec la mort. Ce type de poésie a connu un large développement au Pérou, surtout dans les années 70 et 80, surtout par les femmes poétesses, qui ont renouvelé de façon convaincante la tradition versifiante de Lima.
Le cas de la poésie de Louise Glück, récompensée cette année, qui prône un retour aux principes humanistes et à la médiation de la poésie comme moyen de recherche d'un monde plus sensible, nous pouvons dire en conclusion que bien que la poétesse organise son énonciation à partir d'une rhétorique confessionnelle et féminine (et non féministe), elle a des nuances qui lui viennent, comme elle l'a souligné, de l'influence de la poétesse Emily Dickinson (1830-1886) et de poètes contemporains comme Anne Carson, qui, comme le prix Nobel, ont développé leur style poétique avec beaucoup de sobriété et de retenue de langage. Des influences qui l'éloignent des fondatrices du "confessionnalisme féministe" et la conduisent vers une poésie du quotidien, dans une perspective contemplative et même symboliste de la vie familiale. Parmi ses onze recueils de poèmes, beaucoup sont accessibles dans notre langue, grâce au travail d'écrivains remarquables, comme le poète et essayiste péruvien Eduardo Chirinos, qui a traduit El Iris salvaje, L'iris sauvage, publié en 2006 par Pre-Textos.
traduction carolita d'un article paru sur le site SER.pe le 11/10/2020
A propósito del Premio Nobel de Literatura para la poeta Louise Glück (I)
Foto: @Ap Photo/Michael Dreyer Si observamos el interés del actual gobierno norteamericano en el área de la cultura o de las humanidades, y lo comparamos con la anterior administración, da la ...