Brésil - Les guerrières de l'Amazonie montrent que l'égalité des sexes et la conservation des forêts vont de pair
Publié le 1 Octobre 2020
Un groupe de femmes indigènes introduit de nouvelles tactiques pour lutter contre la déforestation dans l'une des dernières zones intactes de la forêt amazonienne, dans le Maranhão.
PAR ROSAMARIA LOURES, SARAH SAX LE 24 SEPTEMBRE 2020 | TRADUIT PAR ELOISE DE VYLDER
- Depuis six ans, les Guerrières de la forêt utilisent la technologie des satellites et des patrouilles forestières pour empêcher la présence de sociétés d'exploitation forestière sur leur territoire. Résultat : en deux ans, la déforestation dans la TI Caru est passée de 2 000 à 63 hectares.
- Des groupes de femmes indigènes comme celui-ci montrent qu'une plus grande participation des femmes aux actions de conservation de l'environnement peut contribuer à mettre un terme à la déforestation et à atténuer les effets du changement climatique.
Un matin de décembre dernier, dans le Maranhão, une demi-douzaine d'Indigènes Guajajara ont rempli leurs sacs de nourriture, de cartes et d'un drone pour se préparer à une patrouille. Elles ont dit au revoir à leurs enfants, sans savoir quand ou si ils les reverraient. Elles ont donc accroché les sacs sur leurs épaules et sont parties surveiller une zone située sur les 173 000 hectares de forêt primaire où elles vivent.
C'est la terre indigène de Caru, située dans une zone de transition entre l'Amazonie et le Cerrado, où subsiste l'une des dernières étendues de forêt intacte et contiguë du Maranhão. C'est aussi une région de plus en plus menacée : cette partie du Brésil a été dévastée par des conflits fonciers et a connu l'un des taux de déforestation les plus élevés du pays au cours de la dernière décennie.
Les patrouilles menées par des groupes indigènes comme les Guajajara, connus sous le nom de "Gardiennes de la forêt", se sont multipliées au cours des dix dernières années. Et ils ont contribué à renforcer la protection et à empêcher les bûcherons de pénétrer dans les territoires indigènes. Pour cette même raison, ils subissent également des menaces, qui se traduisent souvent par des meurtres comme celui de Paulo Paulino Guajajara, tué en 2019 dans une terre indigène voisine.
Mais les membres de la patrouille qui sont entrés dans la forêt en décembre dernier ne se disent pas gardiens ; elles préfèrent être appelés guerriers Ou plutôt, guerrières. Car elles diffèrent sur un autre point remarquable : elles sont toutes des femmes.
"Pourquoi prenons-nous l'initiative ? Parce que nous sommes des mères. Si nous n'agissons pas, il n'y aura plus de forêt debout", a déclaré Paula Guajajara, l'une des guerrières de la forêt, lors d'un événement public l'année dernière.
Guerreiras da Floresta est le nom par lequel les femmes se font appeler. Elles incarnent, à bien des égards, ce que les hommes politiques, les décideurs publics et les universitaires du monde entier considèrent comme un changement nécessaire vers l'égalité des sexes dans les mouvements environnementaux. Et elles contribuent non seulement à la présence de femmes dans les patrouilles, mais aussi à la diversification des tactiques et à la formation de nouveaux partenariats.
Créer un espace et trouver leur voix
Patrouiller activement le territoire à la recherche d'envahisseurs n'est pas nouveau pour les Guajajara, un peuple indigène qui a plus de 500 ans d'expérience en la matière. Aujourd'hui, ils utilisent la technologie satellite et coordonnent leurs efforts avec ceux des organismes chargés de l'application de la loi pour atteindre leurs objectifs. Cette approche est relativement nouvelle, et son utilisation s'est développée ces dernières années.
"Dans tout le pays, de plus en plus de groupes comme celui-ci se forment à cause de l'inaction du gouvernement - ou pire, parce que le gouvernement tente activement d'exploiter leurs terres", explique Sarah Shenker, coordinatrice de la campagne pour l'équipe Tribus isolées de Survival International. Ces groupes sont principalement composés d'hommes, bien que des femmes soient parfois incluses dans les patrouilles. Mais selon Shenker et d'autres experts interrogés pour ce reportage, l'existence de groupes de Gardiens des forêts composés uniquement de femmes est quelque chose d'unique.
Les guerrières de la forêt se sont réunies il y a six ans à la suite d'un programme développé par des organisations indigènes et le gouvernement fédéral appelé Projeto Demonstrativo de Povos Indígenas (PDPI), mis en œuvre par le ministère de l'Environnement pour améliorer la protection territoriale et culturelle de ces peuples. À l'époque, les Gardiens de la forêt, principalement des hommes, ont tenté de freiner l'exploitation illégale et la vente du bois prélevé sur leurs territoires - une tâche qui s'est avérée extrêmement difficile. Voyant cela, les femmes sont entrées dans le programme et ont formé leur propre groupe, qui comprenait à l'origine 32 participantes.
"Pour éviter que le projet ne prenne fin, nous, les femmes Guajajara, sommes entrées et avons repris le projet", dit Cícera Guajajara da Silva, une des guerrières.
Mais la route a été longue pour être prises au sérieux et traitées d'égal à égal.
"Pour rechercher des partenariats, nous avons marché, parlé, dormi sur le sol - tout cela pour chercher des améliorations pour notre communauté", dit Paula Guajajara, se souvenant de la difficulté initiale d'être entendue et prise au sérieux à l'intérieur et à l'extérieur des communautés. Leur patience a été récompensée, et les femmes soulignent le soutien et l'étroite collaboration des gardiens masculins, qui leur ont permis de lutter contre l'exploitation forestière illégale. "Aujourd'hui, nous avons les guerrières qui travaillent avec les gardiens de la forêt", dit Paula Guajajara. "Nous avons déjà expulsé de nombreux bûcherons. Si nous n'avions pas agi, il n'y aurait pas de forêt debout".
Selon Gilderlan Rodrigues da Silva, coordinateur du Conseil missionnaire indigène (Cimi) du Maranhão, de nombreuses femmes mariées agissaient déjà de manière indépendante, accompagnant leur mari dans certaines activités. "Mais à partir du moment où elles ont créé le groupe de femmes, elles ont gagné en force et en visibilité", dit-il. "Une fois qu'elles se sont réunies, il y a eu ce changement très fort. Tant dans le cadre de la réduction des invasions que pour éveiller la conscience collective pour la protection du territoire".
Réduire la déforestation
Les résultats sont clairement visibles. En 2018, il n'y avait que 63 hectares de déforestation dans le territoire indigène Caru, alors qu'en 2016, la déforestation avait atteint un pic de 2 000 hectares, selon Global Forest Watch. "La plus grande réalisation que je vois dans mon village aujourd'hui est la protection du territoire. Il n'y a pas de bûcherons sur nos terres, et nous avons réussi à lutter contre la vente de bois", explique Cícera Guajajara da Silva.
Les guerrières de la forêt ont également joué un rôle essentiel dans l'établissement de liens avec d'autres groupes indigènes qui cherchent également à protéger leurs territoires, comme les Ka'apor, les Awá-Guajá et d'autres communautés guatémaltèques.
"Il y a 16 terres indigènes dans le Maranhão - nous devons rechercher l'unité pour avancer dans notre lutte", dit Maisa Guajajara, l'une des premières guerrières. Grâce à la coordination avec d'autres groupes de femmes, comme l'Articulation des femmes autochtones du Maranhão (Amima), elles ont pu réunir pour la première fois en 2017 200 femmes autochtones de tout l'État pour parler de diverses questions, notamment la protection du territoire, la déforestation et l'éducation environnementale.
"Tout ce mouvement est extrêmement important parce qu'il montre cette force, et que les femmes ont beaucoup à apporter parce qu'elles font partie du territoire et se sentent concernées par lui et par les générations futures", explique Rodrigues da Silva, du Cimi.
Non seulement elles s'articulent avec d'autres groupes indigènes, mais elles éduquent également les communautés voisines sur l'importance de la conservation de l'environnement. "Toutes les femmes ne font pas un travail de surveillance parce que nous savons que c'est un travail dangereux, mais il y en a toujours qui le font", dit Maisa Guajajara. "Les guerrières font généralement plus d'activités en dehors du territoire : nous donnons des conférences dans les environs pour parler des invasions et nous sensibilisons les villages à l'importance de maintenir la forêt debout".
Les Guerrières de la forêt, par exemple, sont partenaires du projet Mãe D'água qui, avec le Forum des ONG de l'Amazonie orientale (Faor), soutient les femmes indigènes pour renforcer leurs actions collectives contre la déforestation et la pollution de l'eau. Ces actions comprennent des visites dans les communautés fluviales voisines où les guerrières expliquent leurs modes de vie, comme la chasse et les rituels. Pour les guerrières, plus les communautés environnantes connaîtront la culture guajajara, plus elles respecteront leurs actions pour défendre le territoire.
Pourquoi les femmes sont fondamentales pour la conservation des forêts
Au Brésil et dans le monde entier, les femmes indigènes sont de plus en plus à l'avant-garde des mouvements environnementaux.
"La lutte des femmes indigènes se déroule de différentes manières, jour après jour. Si je suis ici aujourd'hui, je suis le fruit des femmes qui m'ont précédée", a déclaré Taynara Caragiu Guajajara, membre du collectif de femmes indigènes Amima, lors d'un événement en ligne en avril. "Dans le contexte du monde dans lequel nous vivons aujourd'hui, nous avons conquis l'espace à l'intérieur et à l'extérieur de la communauté. Nous, les femmes indigènes, n'avons pas toujours eu voix au chapitre. Mais aujourd'hui, la lutte est menée par les femmes indigènes, c'est nous qui sommes responsables de la lutte".
Les femmes sont de plus en plus à l'avant-garde de la lutte sur des questions comme le changement climatique, mais leur voix est beaucoup moins entendue que celle des hommes - ce qui est préjudiciable à tous. C'est en partie un sous-produit d'un préjugé sexiste dans le journalisme lui-même.
En 2015, sur quatre personnes interviewées, mentionnées ou vues dans les médias du monde entier, une seule était une femme, selon un rapport du Projet mondial de surveillance des médias, qui publie ses résultats tous les quatre ans. Une analyse plus approfondie des données montre que, même lorsque les femmes sont interrogées, c'est pour faire des déclarations personnelles et non pour leur expertise. Cette situation semble n'avoir pratiquement pas changé ces dernières années, même si certaines salles de rédaction commencent à changer cela activement.
Des études montrent qu'en général, les femmes sont davantage exposées dans les sections de journaux coordonnées par des femmes éditeurs, ainsi que dans les journaux dont les comités de rédaction comptent une plus grande participation féminine. Mais les hommes sont disproportionnellement plus représentés, d'éditeur à journaliste, ce qui signifie que les questions clés pour les femmes ne sont souvent pas rapportées. L'une de ces questions est précisément le lien entre les solutions de conservation et l'égalité des sexes.
Les femmes sont beaucoup plus touchées par le changement climatique et la dégradation de l'environnement que les hommes. Il est de plus en plus évident que les inégalités entre les sexes, telles que le régime foncier et l'accès réduit des femmes à l'énergie, à l'eau et aux installations sanitaires, ont un impact négatif sur le bien-être humain et environnemental. La crise climatique ne fait qu'exacerber les disparités entre les sexes.
La violence sexiste à l'égard des femmes qui défendent le droit humain à l'environnement est particulièrement en hausse et de plus en plus normalisée dans les sphères publiques et privées, ce qui rend plus difficile pour les femmes d'obtenir justice. Comme les communautés indigènes ont tendance à être en première ligne pour défendre leurs territoires, leurs ressources et leurs droits contre les grands projets d'extraction et les intérêts des entreprises, les femmes indigènes en particulier sont confrontées à un monstre à deux têtes : la violence sexiste et le racisme.
"Nous nous battons pour défendre notre territoire contre les invasions et nous recherchons cette autonomie pour lutter pour nos droits", déclare Taynara Caragiu Guajajara. "Etre une femme est difficile dans une société machiste, mais être une femme indigène ou noire devient encore plus difficile, car les préjugés sont trop importants.
Le fait que davantage de femmes participent à tous les domaines, des décisions environnementales à la politique climatique, profite à la société dans son ensemble. Une plus grande participation des femmes à la formulation des politiques publiques accroît l'égalité et l'efficacité des interventions en matière de politique climatique ; il est prouvé que l'inégalité accrue entre les sexes est liée à des taux plus élevés de déforestation, de pollution atmosphérique et d'autres taux de dégradation de l'environnement.
Pourtant, moins de 1 % de la philanthropie internationale va à des initiatives environnementales menées par des femmes, et celles-ci restent exclues des décisions concernant les terres et les ressources environnementales.
"La communauté mondiale ne peut pas se permettre de traiter la conservation de la nature et la lutte pour l'égalité des femmes comme des questions distinctes - elles doivent être abordées ensemble", a déclaré Grethel Aguilar, directrice générale de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), à l'occasion de la Journée internationale de la femme de cette année.
Pourquoi la lutte pour les droits fonciers indigènes est cruciale pour la conservation
La perte de la couverture forestière dans le Maranhão au cours des deux dernières décennies montre l'importance cruciale des terres indigènes pour protéger les zones forestières intactes. "Ces territoires indigènes sont des îlots de verdure dans une mer de déforestation dans l'un des endroits les plus déboisés du Brésil", déclare Shenker de Survival International.
La terre indigène de Caru, par exemple, a perdu 4 % de ses forêts depuis 2000, tandis que l'État du Maranhão a perdu près d'un quart de ses forêts au cours de la même période, selon les données de Global Forest Watch. En plus des autres avantages de la préservation, les forêts de la région protègent également certains des derniers Awá isolés. Une vidéo de deux hommes Awá dans la terre indigène voisine d'Arariboia a fait la une des journaux internationaux en 2019.
Ces étendues de forêts intactes sont également cruciales pour la protection des "solutions climatiques naturelles", qui consistent essentiellement à mettre un terme à la déforestation, à améliorer la gestion des forêts et à restaurer les écosystèmes. Ils peuvent contribuer à plus d'un tiers de l'atténuation climatique à faible coût nécessaire d'ici 2030 pour stabiliser le réchauffement en dessous de 2° Celsius.
Selon un article de référence sur les solutions climatiques naturelles, l'approche la plus efficace dans les tropiques consiste à protéger activement les forêts intactes. La protection de ces forêts présente un potentiel d'atténuation peu coûteux deux fois plus élevé que la deuxième meilleure voie, le reboisement. L'Amazonie dans son ensemble joue un rôle essentiel dans l'atténuation du changement climatique en absorbant et en stockant le dioxyde de carbone dans sa végétation. Lorsqu'ils sont abattus, brûlés ou dégradés par l'exploitation forestière, les arbres non seulement cessent de remplir cette fonction, mais peuvent devenir une source d'émissions de carbone.
"La protection et/ou la conservation d'écosystèmes intacts est la priorité numéro un", déclare Kate Dooley, chercheuse au Australian-German Climate & Energy College de l'université de Melbourne, qui a écrit plusieurs articles sur le potentiel des forêts comme solution naturelle au problème du climat. "Beaucoup, beaucoup plus tard, c'est la plantation des arbres. Et pourtant, il faut que ce soit le bon type d'arbre".
Selon Mme Dooley, les recherches montrent que les forêts sont mieux préservées dans les zones gérées collectivement, comme les Gardiens et les Guerrières de la forêt sur le territoire Guajajara. "Avec ou sans garantie de propriété, ces terres sont plus intactes et moins dégradées. Selon un rapport de 2018 de l'Initiative pour les droits et les ressources, près de 300 milliards de tonnes de carbone sont stockées sur des terres gérées collectivement dans tous les biomes forestiers, et de nombreuses études ont révélé que la meilleure façon de protéger les forêts est de donner du pouvoir aux personnes qui y vivent, en leur garantissant le droit à la terre et à la légitimité.
Cela s'applique en particulier aux terres indigènes dans des pays comme le Brésil. Entre 2000 et 2015, les terres indigènes délimitées ont subi un dixième de la perte de forêts des territoires non indigènes. Le Brésil compte environ 900 000 citoyens indigènes issus de 305 peuples différents, dont la plupart vivent sur des terres délimitées. Malgré cela, plus de la moitié des zones revendiquées par les groupes indigènes n'ont pas encore reçu de reconnaissance officielle du gouvernement.
"La surveillance et l'inspection effectuées par les peuples indigènes sont extrêmement importantes, car ce sont eux qui connaissent le mieux le territoire et la région", déclare Rodrigues da Silva de Cimi.
En ce sens, les Guerrières de la forêt disent qu'elles s'engagent à assurer la continuité des activités de suivi, de surveillance et d'éducation dès qu'il sera possible de retourner dans la forêt, puisque les expéditions de surveillance sont paralysées par la pandémie de covid-19. "Nous ne faisons pas de surveillance pour nous occuper de tout le monde dans le village", dit Cícera Guajajara da Silva. "Surtout pour protéger notre santé, car personne ne sait quel genre de personne se trouve à l'intérieur de la forêt. Ils peuvent même être infectés par le virus, et l'envahisseur peut faire entrer le virus sur notre territoire". Un point de plus pour la liste des menaces qui pèsent sur le territoire indigène de Caru.
traduction carolita d'un article paru sur Mongabay latam le 24/09/2020
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