Pérou - Les nations Wampis et Achuar exercent leurs droits au milieu de la pandémie (I)
Publié le 24 Août 2020
Luis Chávez Rodríguez. Fondateur et promoteur de la Casa del Colibri ( Maison du Colibri) à Chirimoto, Amazonas
"Je ne veux pas du pétrole, je ne veux pas de la pollution. Je veux que mes enfants grandissent comme j'ai pu grandir, en mangeant des perdrix, en mangeant du poisson sain, en ne vivant pas dans l'inquiétude de mourir de la contamination comme les Achuar qui vivent sur le río Corrientes". Femme Achuar du bassin du río Huasaga*
Alors que dans le monde occidental les pays hégémoniques profitent de la situation de désespoir produite par la pandémie pour se positionner géopolitiquement, en ce moment d'urgence sanitaire, imposant leur développement scientifique et leur corruption morale, par le biais de l'affaire du vaccin attendu contre le covid-19, au Pérou, les communautés dites "indigènes ou natives", qui sont en fait des peuples précolombiens et des nations originaires, exercent leurs droits, en défendant leurs territoires, comme seul outil leur permettant de survivre aux épidémies et aux invasions - directes ou indirectes - que ce monde expansif et politiquement corrompu encourage.
Ces dernières semaines, le gouvernement territorial autonome de la nation Wampis (GTANW) et la Fédération de la Nationalité Achuar du Pérou (FENAP) ont réussi à expulser la compagnie pétrolière chilienne GeoPark de leurs territoires pour ne pas avoir respecté les normes établies dans son étude d'impact environnemental et les autres procédures requises par la loi. Cette expulsion a été effectuée de manière pacifique et impeccable, en accord avec les seules lois nationales péruviennes et internationales qui les soutiennent.
L'histoire de cette affaire a commencé en 2013 lorsque Petroperú, un partenaire de GeoPark (75% GeoPark et 25% Petroperú), est entré illégalement sur le territoire ancestral des Achuar et Wampís et a pris le contrôle d'une zone de 761 501 hectares dans le district de Morona, province de Datem del Marañón dans la région du Loreto. L'incursion dans le "Lot" (Lot 64), comme ces entreprises et l'État péruvien lui-même l'appellent, de manière froide et expéditive, sur des terres où ils cherchent à intervenir et qui pour les natifs amazoniens résonnent des mots de dévastation et de mort, a été réalisée avec l'arrogance habituelle. C'est-à-dire sans consulter ses occupants comme le stipule la loi n° 29785 de la consultation préalable. Cette loi a été promulguée par le gouvernement péruvien en 2011, et provient d'une série de dispositions et d'accords internationaux, dont le premier antécédent est la Convention 157 (1957) de l'OIT, qui a à son tour fait un saut qualitatif avec la Convention 169 (1991).
GeoPark, la société invitée à la fête par Petroperú, était en activité pendant la pandémie et n'a pas seulement été un agent impuni de l'expansion du coronavirus dans les communautés amazoniennes du Loreto, un fait dénoncé à l'époque par le GTANW, elle a également été un facteur malveillant dans le sens où elle a altéré la tranquillité publique et communautaire des Achuar et des Wampís, à un moment où l'urgence de la pandémie imposait une gestion sanitaire urgente et prioritaire. La présence de GeoPark, en raison du contexte que les différentes compagnies pétrolières qui ont opéré dans la région ont laissé dans leur sillage en contaminant avec du cadmium, de l'iode et du mercure, ne pouvait pas ne pas constituer une menace qui s'ajoutait à celle du nouveau virus qui ravageait le monde entier.
Le souvenir des catastrophes que ces entreprises ont causées est frais et se renouvelle chaque année. La société nord-américaine Occidental Petroleum, par exemple, ou la société néerlandaise Pluspetrol, l'espagnole Repsol, la canadienne Talisman Energy, prédécesseur de GeoPark, et Petroperú, ainsi que la gestion désastreuse de l'oléoduc nord-péruvien (ONP), construit dans les années 70 du siècle dernier et qui présente des signes indéniables de corrosion, font partie de l'histoire des présences menaçantes et meurtrières pour les amazoniens, comme en d'autres temps l'exploitation du caoutchouc.
L'histoire du pillage moderne de notre Amazonie péruvienne, où la pauvreté sévit parmi les indigènes de la région, qui est une cause de scandale au niveau international dans les organisations de défense des droits de l'homme et qui est pratiquement inconnue de la majorité des péruviens, est produite par le camouflage que les entreprises impliquées font à la vue et à la patience de nos gouvernements. À cela, il faut ajouter la désinformation causée par la criminalisation des revendications des personnes concernées, le manque de couverture incisive par les médias et la complicité des commentateurs sur les questions politiques et économiques ; ceux qui opèrent dans ces médias, sont exclusivement chargés de diffuser les prétendus bénéfices des activités minières comme seule voie de développement dans un pays aussi divers que le Pérou.
La fréquence et les dégâts des déversements toxiques qui, à ce jour, continuent de décimer la population indigène et l'écosystème de la biodiversité de l'Amazonie sont presque toujours laissés impunis, sans que les gouvernements sud-américains comme ceux de l'Équateur, de la Colombie, du Brésil, de la Bolivie et du nôtre n'assument la responsabilité qui leur incombe en tant que pays indépendants et souverains. Même ainsi, lorsque la dissimulation est déjà impossible, des organismes d'État tels que l'Agence de contrôle et d'inspection de l'environnement (OEFA) au Pérou, sont obligés de signaler les déversements et le non-respect par les entreprises du nettoyage et de l'assainissement de ces catastrophes. Ce bureau a signalé depuis 2011 et jusqu'en juin 2018 un total de 178 déversements de pétrole dans le pays, dont le volume avoisinerait les 34 000 barils d'hydrocarbures dispersés dans les forêts et les rivières proches des établissements humains de notre Amazonie.
En 2016, dans le Loreto en particulier, 12 fuites d'hydrocarbures ont été enregistrées, concentrées surtout dans les redoutables lots 8 et 192. De même, un problème constant est le transport effectué par l'oléoduc, conduisant le pétrole brut du Loreto à Piura ; d'où il est expédié à l'étranger et dont la redevance se perd dans la corruption et la mauvaise administration du gouvernement, de telle sorte qu'elle n'atteint jamais les communautés indigènes qui, aujourd'hui encore et depuis près de 50 ans, attendent l'eau potable ou les postes sanitaires modérément équipés qui leur ont été promis.
Un de ces cas tristement célèbres, également confirmé par l'OEFA, est celui de Petroperú, une entreprise qui a engagé une "société de services" en 2018 pour nettoyer un déversement causé en 2016, à proximité de la communauté Wampis de Mayuriaga, comme le fait connaître le rapport El lote 64 un mundo de conflictos, 2019 (Le lot 64 un monde de conflits, 2019) rédigé par Frederica Barclay et Alberto Chirif. Ce "service" a procédé à un nettoyage superficiel et à l'enfouissement de 11 000 tonnes de déchets toxiques. À cette occasion, l'OEFA a infligé à Petroperú une amende d'environ 50 millions de soles pour ce déversement et pour un autre qui s'est produit dans le district d'Imaza, en Amazonie. Dans ce contexte, la compagnie pétrolière péruvienne a eu le culot de faire des déclarations de désinformation avec l'objectif stratégique de criminaliser les citoyens qui revendiquent leurs droits.
La criminalisation de la protestation, selon un précédent assez connu comme celui du Baguazo, fait partie de la construction de "précédents" à utiliser dans le cadre d'interventions militaires qui tentent d'imposer des contrats frauduleux avec des sociétés étrangères. Des activités militaires qui peuvent facilement être mises en œuvre à partir des bases militaires de l'armée, comme le "Sargento Puño", situé sur les rives du río Santiago, en territoire Wampis. Des bases qui, en plus d'être stratégiques et clairement anticonstitutionnelles, servent à construire les centres d'activité des compagnies pétrolières elles-mêmes, comme l'a fait la chilienne Geopark. Une situation très étrange, où notre glorieuse armée péruvienne est acculée par le pouvoir du capital en raison d'autorisations sans scrupules. "Depuis 22 jours," dit le premier point du communiqué de Petroperú, "les dirigeants de la communauté de Mayuriaga, dans le district de Morona, province de Datem del Marañón, Loreto, ont persisté à empêcher la réparation de la branche nord de l'oléoduc Norperuano. Ce n'est que samedi dernier, le 15 décembre (2018), qu'une délégation de la présidence du Conseil des ministres et de PETROPERU a été autorisée à entrer pour réparer le pipeline". En bref, c'est la situation et le pain quotidien que des peuples comme les Wampis, les Achuar et presque tous les peuples indigènes du Pérou doivent endurer dans notre propre pays.
Mais qui sont les Wampis et les Achuar ? Peu d'entre nous le savent dans notre propre région amazonienne ou dans le Loreto, où ces peuples vivaient depuis bien avant l'arrivée des premiers envahisseurs incas. Ils le savent en Hollande et au Chili, où les dirigeants de ces peuples péruviens sont allés, sans le soutien de notre gouvernement pour présenter les preuves convaincantes de l'histoire désastreuse de la contamination et des dommages que les entreprises de ces pays font subir aux populations et à ces territoires. Ils y sont allés, juste avant la pandémie, poursuivre ces entreprises qui ont leur siège et paient des impôts dans ces pays. Comme ils le feraient sûrement s'ils pouvaient atteindre les États-Unis, le Canada et la Chine, qui menace depuis peu de s'imposer sur ces territoires.
Les Wampis et Achuar sont également connus des entreprises extractives péruviennes de toutes tailles, légales et illégales, et sont également bien connus des fonctionnaires du ministère de l'énergie et des mines. Les autres ministères, comme le ministère de la Culture et de l'Environnement, n'ont qu'une idée assez vague pour se couvrir les yeux lors des marées noires et se précipitent pour accuser les habitants de la région d'un prétendu sabotage dans le cadre de leurs stratégies d'invasion. Les Wampís et les Achuar sont également connus des hauts fonctionnaires du pouvoir exécutif, comme les présidents et ministres mêmes qui nous ont gouvernés au cours des dernières décennies, mais eux par contre ne sont pas intéressés à approfondir leurs connaissances car le système économique et administratif qu'ils gèrent, au gré des capitaux nationaux et étrangers, ne leur convient pas.
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* Extrait du rapport Barclay-Chirif, cité dans cet article
traduction carolita d'un article de Luis Chávez Rodríguez paru sur Noticias SER.pe le 22/08/2020
Las naciones Wampís y Achuar ejerciendo sus derechos en medio de la pandemia (I)
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