Pérou - Incendie à Chirimoto : le feu qui nous dévore

Publié le 29 Août 2020

Photo : Tobías Rodríguez Ortiz

Luis Chávez Rodríguez. Fondateur et promoteur de la Maison du Colibri à Chirimoto, Amazonas

Le district de Chirimoto, avec le changement climatique qui a eu lieu ces dernières décennies, souffre trop. Dans cette terre biodiversifiée et fertile de l'Amazonie, il y a des inondations constantes pendant la saison des pluies (février et mars) et des incendies dévastateurs en été (juillet et août), qui s'ajoutent tragiquement à la covid-19.

Depuis deux nuits et deux jours, le feu dévore les chacras (fermes) des montagnes de Chirimoto, dans la province de Rodríguez de Mendoza, dans la région d'Amazonas, et menace de descendre jusqu'au village. Le feu n'a pas les dimensions de ceux que la Californie subit en ce moment, ni de ceux que la Bolivie et le Paraguay ont subis l'année dernière, et encore moins de ceux des millions d'hectares d'Amazonie qui ont été consumés au Brésil depuis quelques années, mais il s'agit d'un brûlage de forêts quelle que soit sa  dimension. C'est un incendie qui, pour les proportions d'une petite ville, provoque une détresse et une angoisse énormes chez ses habitants. De nombreuses chacritas de permaculture, vertes et fleuries, presque bucoliques, sont déjà assombries par un manteau de cendres et par les flammes rouges qui s'avancent de Chirimoto à Limabamba, le district voisin.

En Californie, où ces dernières semaines une chaîne infernale d'incendies a été déclenchée par des orages arides qui se déversent, à l'aube, dans les forêts desséchées par l'été intense de l'hémisphère nord, la main de l'homme n'est pas directement impliquée, mais en ce moment même, aussi bien dans l'énorme ville de San Francisco que dans le petit village de Chirimoto, il faut porter un double masque, si l'on peut en obtenir un : un qui empêche la fumée de pénétrer dans les poumons et un autre qui arrête le coronavirus. En Amérique du Sud, par contre, en Amazonie, l'origine des feux est différente, qu'il s'agisse d'un petit feu comme celui de Chirimoto ou de feux titanesques comme au Brésil. Dans cette partie de la planète, ce sont les gens qui, par ignorance ou par perversion mercantiliste, développent ces pratiques dangereuses.

Dans un village ou dans une vaste zone rurale, le principe du feu est le même : une technologie agricole archaïque qui est malheureusement encore pratiquée par de nombreux paysans et aussi par les gestionnaires de la monoculture. Le brûlage de la chacra dans le cadre du processus d'ensemencement de produits panifiés est un phénomène qui ne peut pas encore être éradiqué, c'était monnaie courante il y a quelques décennies, surtout dans les collines montagneuses et c'est ce qui est à l'origine de l'incendie de Chirimoto. D'autre part, les immenses incendies qui sont aux mains des grandes entreprises agricoles qui développent des monocultures et des semences transgéniques, ont une autre dimension - presque apocalyptique - et en ces temps, ils rôdent également dans toute l'Amazonie et nous devons être vigilants, afin qu'ils n'entrent pas au Pérou, car c'est une obscure méthodologie des gouvernements sans scrupules en Amérique du Sud qui permettent de développer l'agriculture et l'élevage extensif qui trace un chemin dévastateur.

Depuis 14 ans, l'association civile des agriculteurs "La casa del colibrí", dans le district de Chirimoto, insiste sur l'urgence de changer la pratique du brûlage des forêts pour utiliser des techniques anciennes qui sont préservées surtout chez les peuples indigènes comme les Awajún de notre région. Lorsqu'ils travaillent une "aja", ils ne brûlent pas les plantes coupées au cours du processus, mais les accumulent sur les côtés de la zone cultivée et les laissent pourrir jusqu'à ce qu'elles deviennent de l'humus. Cette matière, après sa décomposition devient le parfait engrais pour les cultures, en outre, chez les frères indigènes il y a toute une composante spirituelle, par exemple, la plantation du manioc, qui fait de l'acte agricole un merveilleux rituel. Ce processus est plus long que la combustion, mais il est fortement recommandé, car, bien sûr, au lieu de stériliser le sol, il le fertilise.

Dans les hauts territoires andins de l'Amazonie, comme Rodriguez de Mendoza, appelé "sourcil de la selva", où les colons se sont installés depuis des siècles et continuent encore aujourd'hui à migrer, en particulier de Cajamarca, et où nous avons une culture indigène-occidentale immanente, nous connaissons également cette technologie ancestrale qui, dans d'autres endroits, a été rebaptisée, de façon moderne, "permaculture" et qui est, sans aucun doute, la technologie la plus appropriée pour la récupération des anciennes chacras en désuétude, dans des zones qui sont connues sous le nom de "purmas", un mot d'origine aymara qui signifie désert.

La permaculture moderne, qui provient de l'intention de créer une culture permanente ou, en d'autres termes plus utilisés, une "culture durable", est née des expériences dans le domaine du japonais Masanobu Fukuoka. Il est, à son tour, l'auteur des livres La révolution d'un brin de paille et Le chemin naturel de la culture, qui, à la fin des années 70, ont été développés en Occident par les australiens Bill Mollison et David Holmgren. Comme les japonais, les australiens ont écrit, à partir de leurs pratiques, un livre qui est une "bible" dans ce domaine, intitulé Permaculture One : Une agriculture pérenne pour les établissements humain à partir duquel a été produite une vaste bibliographie qui a été largement diffusée dans des pays tels que l'Australie, l'Autriche, l'Espagne, le Portugal et les États-Unis et qui entre avec beaucoup de force en Amérique latine.

La permaculture comporte une série de principes et de méthodologies, qui vont jusqu'à une dimension philosophique, de la culture variée et autosuffisante de plantes alimentaires, médicinales et aromatiques en harmonie avec l'élevage à petite échelle, à laquelle s'ajoute une vie et une alimentation biologiques, ce qui constitue également une étape importante pour l'autonomie alimentaire. Ces pratiques, qui ont été une nouveauté dans le monde urbain occidental, ne sont ni plus ni moins que les techniques traditionnelles des agriculteurs de montagne et de forêt de notre pays, qui ont ancestralement préservé un mode de vie et de travail à la campagne, malheureusement en déclin et auquel s'ajoute l'observation de la nature pour apprendre, à la sélection de semences foisonnantes très bien aérées, à  l'utilisation du calendrier lunaire pour les semis, à la culture discrétionnaire, aux semailles et à l'arrosage par les canaux en été, et à l'engrais organique produit dans la vie quotidienne des campagnes.

En revanche, le brûlage en tant que technique agricole, à ce stade du réchauffement climatique, est irresponsable, criminel et très dangereux. D'un petit feu, ou même d'une cigarette, d'une allumette allumée pour réchauffer la viande froide dans une "tuchpa" de fortune, une tragédie collective peut commencer, car les champs sont secs et dans les purmales il y a une abondance de paille, la nourriture la plus recherchée par les langues de feu qui volent à la vitesse du vent dans les régions montagneuses.

Et que dire des brûlages intentionnels qui ont été autorisés, depuis plusieurs années en Amérique du Sud, aux entreprises agricoles pour pénétrer sur les terres incultes des monocultures. C'est déjà un crime contre l'humanité qui, s'il n'est pas contrôlé, finira par transformer toute l'Amazonie en purma.

D'ici, nous appelons les autorités provinciales de Rodriguez de Mendoza et les autorités régionales de Chachapoyas à mobiliser leurs ressources, bien que pauvres, pour aider les chirimotinos, qui pour l'instant sont incapables de contenir les flammes. Le feu de Chirimoto qui a débuté il y a deux jours, dans son féroce périple, a déjà complètement dévoré la Shallca, Vista Alegre et les montagnes de Purmamarca et du Haut-Pérou. Petit ou grand, ce feu fait son nid de la même tristesse que le plus dantesque des feux brésiliens, c'est un feu de plus qui nous dévore peu à peu dans la vaste mais limitée Amazonie et qui met en danger la planète verte entière.

traduction carolita d'un article de Luis Chávez Rodríguez paru sur Notissiaser.pe le 28/08/2020

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