Pérou - Le Bikut Santiago Manuin et le leadership du peuple Awajún

Publié le 1 Juillet 2020

Photo:Caaap

Luis Chávez Rodríguez. Casa del colibrí (Maison du Colibri) de Chirimoto, Amazonas

La légende aénts chicham veut que le guerrier Bikut, qui a inspiré les jeunes Awajún-Wampis, ait travaillé pendant des années suivant les conseils des sages. Il disciplinait son corps et aiguisait son esprit, en se promenant dans les bois, en faisant un régime de sécurité et de préparation, en servant la communauté, en dialoguant avec les êtres humains et non humains, et en passant de longues journées de contemplation et de méditation aux chutes d'eau. Ainsi, le héros mythique en est venu à avoir la vision centrale du grand Ajutap. Avec ce signe, Bikut, est devenu un guerrier courageux, défenseur de son peuple, pendant longtemps et dans des batailles sans fin. Lorsque le moment de son départ est enfin venu, de son corps enterré près de sa cascade préférée, la plante du Toe a germé, dont l'esprit, en alliance avec celui du tabac et de l'ayahuasca, seraient propices à la spiritualité des leaders Awajún.

Cette histoire légendaire, aussi romantique qu'elle puisse paraître en ces temps de pandémie, de crise planétaire et de révision des formes de coexistence sociale, continue d'inspirer de nombreux véritables leaders des peuples amazoniens. Ils n'ont pas renoncé à leur héritage mythico-culturel, ni ne se sont résignés à conserver l'image pétrifiée d'un folklore figé dans une identité docile et soumise, comme ils sont souvent présentés dans les médias. A partir de cette théorie symbolique des légendes et des mythes, ainsi que de leurs danses et de leurs chants, les Awajún s'organisent, dans une fusion fermée avec une pratique concrète, pour faire face à leurs luttes politiques, toujours sous la protection de leurs plantes maîtresses.

Les personnalités qui incarnent le bikut de manière moderne, parmi beaucoup d'autres, sont Elmer Ujukam Wachapea et Santiago Manuin Valera, pour ne citer que deux combattants, dont le dévouement et la persévérance sont un exemple non seulement pour le peuple Awajún, mais aussi pour chaque péruvien qui veut intervenir en politique de manière honnête. Ces Awajún péruviens sont très différents des dirigeants créoles que nous avons l'habitude de voir dans l'embarrassante vitrine politique nationale, dont beaucoup de représentants parodiques sont emprisonnés pour leurs crimes.

Montrer une carrière politique comme celle des dirigeants Awajún précités n'est pas une chose simple, ni ne relève d'une simple vocation de service spontané ou de recherche du pouvoir, mais plutôt d'un long apprentissage dont la solidité et la sophistication seraient impossibles à trouver dans les plus prestigieuses académies de sciences politiques. Elmer Ujukam Wachapea et Santiago Manuin Valera ont tous deux commencé très jeunes comme apprentis, jusqu'à ce qu'ils obtiennent la première nomination comme apus dans leurs communautés. Leur trajectoire au service de leur peuple leur a donné la possibilité d'atteindre d'autres postes et niveaux de représentation, suivant une échelle qui détermine à la fois les capacités et les hiérarchies dans le développement du leadership des Aétens Chicham (anciennement appelés Jibaros). Actuellement, tous deux dirigent de prestigieux centres de formation au leadership, tout en poursuivant leur lutte permanente pour la défense des droits des indigènes et l'élaboration de propositions de développement communautaire. Tous deux sont membres du Conseil permanent Awajún-Wampís et dirigent d'importantes institutions au sein de leur peuple. Elmer Ujukam Wachapea est le président de l'Association Indigène Bikut et Santiago Manuin Valera est le directeur et le fondateur du centre d'études appelé Service Agricole pour la Recherche et la Promotion Economique (SAIPE). Ces deux organisations, qui travaillent depuis plus de 20 ans à la formation des jeunes sur des sujets tels que la démocratie, la gouvernance, la technologie et les droits de l'homme, réalisent également des projets innovants dans les peuples Awajún et Wampís de l'Alto Marañón, dans la province de Condorcanqui, Amazonas. Dans les deux associations, la formation des dirigeants se distingue, qui selon leur perspective doivent être préparés sur deux fronts. L'une est interne, orientée vers leurs communautés, observant et renforçant la gestion des connaissances propres à leur tradition ancestrale, et l'autre externe, dont l'objectif est la connaissance du monde occidental, qui la plupart du temps les aborde de manière cupide et arrogante. Dans ce domaine, il est particulièrement intéressant de connaître les aspects liés aux lois et règlements qui organisent l'administration politique de l'État et son rôle historique en tant qu'économie d'une enclave colonisatrice, comme nous l'a montré le père Blas Valera S.J. jusqu'à Julio Cotler.
Les chefs, dans les communautés Awajún, ont une hiérarchie stricte et sont validés à la fois par les autorités supérieures et par les bases communautaires. Ainsi, selon leurs documents de travail, il existe six niveaux qui constituent le chemin du chef, qui est en même temps un chemin de vie : 1) Le Wajiu (anciennement connu sous le nom imposé  d'apu ) est le chef d'une communauté. 2) Chichamkagtin, est le leader qui a la capacité d'orienter et de donner des conseils dans la prise de décisions importantes, qui sont la responsabilité de diverses communautés. Ses décisions sont toujours consultées avec le Pamuk et à partir de cette seconde instance, il faut avoir eu la "vision d'Ajutap" comme faisant partie de ses connaissances et de ses qualités. 3) Waimaku est celui qui dirige l'action après que les décisions ont été prises, et se caractérise par sa capacité stratégique. 4) Kakajam est l'exécuteur d'actions concrètes qui demandent du courage et la capacité de bouger. 5) Waisjam travaille comme mentor avec le Pamuk.  6) Le Pamuk est la plus haute autorité, il a un pouvoir politique et spirituel reconnu, développé au cours d'une vie entière de vie honnête au service de son peuple. Ce sont les rangs des autorités sous la responsabilité desquelles se trouve la mise en œuvre et le maintien du Tajimat Pujut, ou "Vie Pleine" au sein des communautés. Ces dernières décennies, on peut remarquer l'incorporation active et décisive des femmes Awajún qui, parallèlement aux hommes, reconstruisent l'organisation politique de leur peuple.

Le Pamuk Santiago Manuin

Santiago Manuin Valera est l'un des dirigeants indigènes les plus connus de la région amazonienne, où il est une source de fierté pour ses frères indigènes et pour tous les amazoniens qui connaissent son histoire, ainsi que dans tout le Pérou et dans de nombreux endroits du monde. Son combat et celui de son peuple ne se limite pas seulement à la défense des Awajún ou de l'Amazonie péruvienne, puisqu'il englobe des domaines qui concernent la planète entière et la survie des êtres humains en harmonie avec la nature. 

En ce moment, le Pamuk Santiago mène un combat de plus bien qu'il soit déjà très endurci, un combat pour sa vie, à la manière du héros, en raison de complications de sa santé. Il y a une semaine, il a été transféré de son Condorcanqui natal à l'hôpital de Bagua, où il répond déjà positivement au traitement médical.

Un bref rappel de sa vie et de ses principes peut nous montrer la formation et la force d'un vrai leader, l'un de ceux qui sont si rares dans la politique péruvienne. Santiago Manuin Valera est né en 1957 dans la communauté de Quebrada del Río Dominguza, Condorcanqui, Amazonas. Depuis les premiers enseignements reçus de son père, il a tracé un long chemin dont le point de départ est la connaissance de son environnement géographique et la cosmovision héritée ancestralement par sa culture. La tradition orale de son peuple, la vie sociale et les pratiques spirituelles qui unissent la culture Awajún ont formé une base solide à partir de laquelle il a reçu, en tant qu'homme de ces temps, les apports de la culture occidentale. Dans ce domaine, l'acquisition courante de la langue espagnole est l'une d'elles. Dans cette langue étrangère, il a été formé au Pérou et à l'étranger dans le domaine des droits de l'homme et des traités internationaux (Bilbao, Genève et Boston). De même, la pratique et la discipline des exercices ignatiens, développés dans le cadre de la mission jésuite, ont également fait partie de sa formation spirituelle et constituent un autre des piliers qui l'ont consolidé comme un leader multiculturel.

Santiago Manuin Valera, était présent lors des événements tragiques de Bagua (2009), où il a été touché par une rafale de mitrailleuse, qui l'a laissé au bord de la mort et dont la récupération n'est pas encore achevée. Les multiples blessures à l'estomac, produites lors du Baguazo, ont laissé des séquelles à sa santé, qu'il transporte depuis un fauteuil roulant avec l'équanimité et le stoïcisme qui caractérisent sa personnalité. Sans que ces circonstances ne diminuent sa capacité de persévérance et toujours à la recherche de nouvelles stratégies de lutte et d'activisme social, il a été élu conseiller régional de l'Amazonas pour la période 2010-2014. Un des domaines de performance du Pamuk Awajún, est son travail de médiateur dans les multiples négociations que son peuple mène avec le gouvernement péruvien, au niveau provincial, régional et central.

Pour reprendre les mots de Santiago Manuin lui-même, en ce qui concerne le processus de formation de leaders, il a déclaré, dans de multiples interviews et documents publiés par le SAIPE, que les plantes maîtresses sont celles qui permettent de maintenir la discipline personnelle, l'équilibre et la lucidité du leader indigène. C'est par elles que l'on obtient la connectivité spirituelle qu'un bon leader doit avoir. Les plantes sont celles qui permettent à la grande vision à laquelle l'initié peut accéder de réaliser le renforcement de sa spiritualité et la pratique politique adéquate. Les plantes maîtresses, selon Manuin, permettent la vision qui vient de la divinité Ajutap, telle qu'elle a été accordée au héros mythique awajún Bikut.

Pour conclure, nous exprimons notre souhait ardent que le Pamuk Santiago Manuin Valera se rétablisse bientôt et que nous l'ayons, une fois de plus, sur sa terre, l'Amazonie, avec son peuple, dans la laborieuse reconstruction du Territoire Intégral Tajimat Awajún dans la Terre des cinq rivières.

Traduction carolita d'un article de Luis Chávez Rodríguez paru sur SER.pe le 27/06/2020

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