Fátima Paumari - "Maintenant, nous vivons dans le mélange".

Publié le 22 Juin 2020

par Fátima Paumari. Publié à l'origine dans le livre Povos Indígenas no Brasil 2011/2016.

 

Aujourd'hui, cette nouvelle génération n'écoute plus, ni n'obéit aux conseils de sa mère. Ils disent que ce que leur mère leur conseille n'est pas vrai. À mon époque, les enfants, filles et garçons, écoutaient et suivaient les conseils de leur mère, mais maintenant ils n'écoutent plus rien.

Autrefois, nous nous marions avec nos vrais cousins, c'était la façon de faire de nos ancêtres. Maintenant, il y a un grand mélange, les jeunes se marient avec des non-indigènes, ou Apurinã. Ils n'épousent toujours pas de  Jamamadi, ni de Deni.

Les non-indiens ont déjà trop d'espace parmi nous dans nos villages.

Cela m'est arrivé à moi aussi. Ma fille n'a pas voulu écouter mes conseils, elle a épousé un non indigène et je n'aime pas l'appeler gendre.

Je serais très heureuse s'il était notre parent. S'il l'était, il saurait comment parler dans notre langue, comprendre le mode de vie de mon peuple et comment nous comprenons les choses. Mais je suis obligée de lui parler en portugais et cela, je ne l'accepte pas.

Il y a de nombreuses années, un homme non indigène s'est intéressé à une femme paumari et l'a épousée à sa sortie de l'isolement. Il l'a portée sur son dos (lors du rituel de la puberté amamajo), et ce n'est qu'alors qu'elle est devenue sa femme. Aujourd'hui encore, ils sont mariés et il parle notre langue.

Maintenant, nous vivons dans le mélange. Nous ne nous soucions plus de l'ancienne méthode.

J'aimerais beaucoup que nos enfants et petits-enfants connaissent encore notre langue, nos chansons. Je fais toujours vivre notre langue, nos chansons, pour la nouvelle génération.

Je voudrais que mes petits-enfants à l'avenir enseignent notre langue à leurs petits-enfants, et alors nous garderions notre langue vivante.

Je suis donc très heureuse de ce travail linguistique qui se déroule actuellement [le championnat de langue Paumari]. Je pense que c'est très beau de n'entendre parler que notre langue. Je veux que mon peuple vive comme nos autres parents, ceux de l'autre côté : les Jamamadi, les Jarawara, les Deni. Ils ne parlent que dans leur langue. Je veux qu'il en soit de même : parler dans ma langue, écouter les enfants parler entre eux en paumari.

Maintenant, ici, ils ne veulent plus que je parle la langue, même si j'insiste pour parler en paumari avec mes enfants et petits-enfants. Cela me rend très triste. Je pense, en me parlant à moi-même : "J'aimerais tellement qu'ils fassent un effort pour parler notre langue, pour qu'ils sachent l'utiliser ici aussi dans cette grande réunion qui se déroule dans notre village. C'est la situation de notre langue, cette réunion dure depuis trois ans maintenant !

Je ne veux plus que nous dévalorisions notre langue, comme si nous la jetions. Faisons un effort pour connaître notre langue. Nos chansons ne sont plus chantées comme avant, mais elles sont toujours aussi belles.

J'aime aussi les chants de louange à notre père [chants évangéliques], ils sont beaux comme les anciens chants des ihinika [rituels alimentaires] ; nous les chantons aussi dans notre langue. Je voudrais que tous les membres de mon peuple puissent saluer et répondre dans notre langue.

C'était ma conversation. Je termine ici mon exposé sur ce qu'était notre façon de faire à l'époque et ce qu'elle est aujourd'hui.

Une femme qui a de l'histoire

par Oiara Bonilla, Anthropologue, professeur au département d'anthropologie de l'UFF

Fátima Paumari est une femme qui a de l'histoire. Encore très jeune, dans les années 1960, elle a vu l'hydravion des missionnaires de l'Institut d'été de linguistique (SIL) atterrir pour la première fois dans les eaux du lac Marahã, dans la région du bassin du rio Purus (AMazonas). Quelques années plus tard, elle est devenue l'une des principales traductrices des textes bibliques en langue paumari. Tout au long de sa vie, elle a été initiée aux techniques et aux connaissances chamaniques par son grand-père maternel, puis elle s'est mariée et a eu deux filles qu'elle a élevées seule, vivant toujours au village, près de sa sœur Gisi, son beau-frère Antonio. Plus récemment, elle a élevé trois petits-enfants, enfants de sa plus jeune fille. Fátima a été mon amie et ma compagne de travail pendant de nombreuses années, depuis 2000. C'était une femme inhabituelle car elle connaissait très bien les rituels et les chants paumari. Très respectée et aimée de tous, avec une personnalité forte et irrévérencieuse, cultivant inlassablement la joie, elle était sans aucun doute une leader incontournable qui "animait" et "tirait" les réunions, les rencontres, les fêtes, les manifestations. Elle aimait chanter, danser et raconter des histoires. Elle ponctuait toujours nos conversations avec des chansons, des mythes, des évocations de sa vie et des réflexions sur le monde. En septembre dernier, lors du troisième championnat de langue paumari, elle m'a accueilli chez elle avec mon amie anthropologue Karen Shiratori et son amie et collègue, Mowe Jamamadi. Ce furent des journées de nombreuses conversations, d'échanges d'expériences (notamment l'apprentissage des langues paumari et jamamadi, le bilinguisme, l'école, les mariages et les relations) et de souvenirs communs. Des jours marqués par la joie, l'affection et l'amitié, bien que Fátima soit fatiguée et inquiète pour l'avenir de sa famille et de son peuple. C'est dans ce contexte que j'ai enregistré ce témoignage.

Le 26 octobre 2016, un mois plus tard, Fátima est morte dans la ville de Labrea (AM), après avoir été transférée d'urgence du village avec une pneumonie qui n'a pas été diagnostiquée à temps. La publication de ces mots reste un hommage.

La déclaration a été enregistrée par Oiara Bonilla lors du IIIe championnat de langue paumari, au village de Crispim, TI do Lago Marahã, Amazonas, en septembre 2016. La transcription et la traduction ont été réalisées en collaboration avec Edilson Rosário Paumari, professeur du programme Sou Bilíngue, Lábrea (AM).

traduction carolita d'un article paru sur pib.socioambiental.org en rapport avec l'article réalisé sur le peuple Paumari.

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