Pérou - La médecine traditionnelle et la spiritualité amazonienne dans le contexte de la pandémie

Publié le 27 Mai 2020

Luis Chávez Rodríguez. Maison du colibri (Casa del colibrí) à Chirimoto, Amazonas

Au milieu de l'avancée de cette pandémie et face aux déficiences que l'État péruvien a montrées en matière de santé, particulièrement négligentes dans les zones rurales, la réserve culturelle millénaire des peuples indigènes a relancé ses pratiques pour faire face à cette nouvelle menace. Les peuples amazoniens développent des stratégies d'endiguement à travers leur médecine traditionnelle avec une variété de plantes préventives visant à renforcer le système immunitaire lié au système respiratoire. Ces pratiques, qui ont gagné en notoriété grâce aux médias régionaux et de Lima, ainsi que les remèdes maison, ont donné lieu à diverses interprétations de la pertinence de leur utilisation.

Alors que des experts dans le domaine de la culture amazonienne, comme l'anthropologue Luisa Elvira Belaunde, dans son article paru dans La Mula, Les plantes de la forêt secourent la ville, évalue positivement cette réponse des communautés indigènes et ses multiples dimensions, dans d'autres médias comme Ojo Público, dans un rapport intitulé, Faux traitements  : Les remèdes frauduleux et autres mensonges sur le Covid-19 déclarent sans ambages : "Conclusion : toute recette maison contre le Covid-19 est fausse", interdisant ainsi l'utilisation de "remèdes maison" sans tenir compte du contexte beaucoup plus large d'où proviennent ces remèdes dont l'efficacité a été prouvée. Ces utilisations domestiques ne se limitent pas seulement à la tradition des peuples indigènes, mais font également partie de notre pharmacie populaire et domestique sur la côte, dans les hautes terres et dans la selva. Qui n'a pas eu une limonade chaude avec du miel ou une infusion de matico, pour neutraliser les frissons d'un rhume, et ne s'est pas senti mieux ?

L'une de ces réponses qui a émergé en Amazonie péruvienne, et que l'on peut voir dans cet ensemble de traditions artisanales pour atténuer l'agressivité d'un problème respiratoire, est la création du courageux  "Comando matico". En plus d'être une réponse ironique au célèbre "Comando Covid", à Pucallpa, un groupe de jeunes s'est réuni pour combler un vide et leur objectif est de fournir des plantes médicinales aux villages en quarantaine adjacents aux villes, en particulier aux familles qui présentent déjà des symptômes de troubles respiratoires. Leur zone d'intervention se situe dans les districts de Yarinacocha, Manantay et Callería et, en raison de l'impact que cette initiative a eu, elle est reproduite dans d'autres endroits comme la province de Padre Abad, dans les villages des rives de la rivière Aguaytía, comme me l'a indiqué Nestor Paiva, un de ses membres, lors d'une conversation téléphonique. Ce groupe de militants Shipibo-Konibos est composé de jeunes communicateurs interculturels qui, en outre, ont développé un travail d'information et de prévention sur la maladie, Covid-19, par le biais de la radio et des médias audiovisuels sur Internet. Au départ, il a été formé par Nestor Paiva Pinedo, Alexander Shimcopat Soria, Elmer Elvio Cairuna Sánchez, Rafael García et Mery Fasabi Sánchez, qui ont rejoint le groupe avec l'expérience que leur donne leur pratique de la médecine traditionnelle. Un groupe de personnes courageuses qui sont remerciées pour leur travail et leur exemple.

Cette initiative, du "Comando matico", ne naît pas d'un élan humanitaire spontané et improvisé mais provient d'une pratique millénaire, dont les composantes sont la sagesse ancestrale et la solidarité, toutes deux faisant partie des stratégies fondamentales qui ont permis aux peuples indigènes de survivre, tout au long de leur histoire, en particulier depuis la présence occidentale sur le territoire américain, qui a été, de manière directe ou indirecte, la cause des multiples pandémies qui ont décimé leur population. Cette pratique a un rite central à partir duquel la médecine traditionnelle et la spiritualité indigène amazonienne sont organisées. Son nom est assez connu, probablement beaucoup plus qu'au Pérou même, dans d'autres continents et il est appelé "La cérémonie de l'Ayahuasca". Voici un résumé de sa procédure.

La cérémonie de l'ayahuasca

Lorsque le soir des tropiques a fait place à la nuit et que le manteau sombre s'est étendu de l'ombre des arbres à l'endroit le plus aride, pénétrant même le regard des animaux tapi dans la forêt, la mesa est prête pour la cérémonie de l'ayahuasca.

La pièce maîtresse de la cérémonie est une boisson obtenue à partir de la plante maîtresse appelée ayahuasca et de sa compagne la chacuruna. En elles habitent les grands esprits des plantes de la forêt. Les participants boivent ce liquide brun foncé à la texture épaisse, au goût aigre-doux et à l'odeur du don végétal donné en une dose précise que le maestro sert à chacun. Auparavant, l'homme médecine, en conversation avec l'invité, a jeté un premier regard sur son patient et lui a prescrit un régime alimentaire rigoureux, afin qu'il sache quelle est la bonne mesure de "prise", de sorte qu'une fois qu'il a ingéré le brevage, il puisse le conduire pas à pas sur l'échelle parfois inhospitalière de son âme.

Le régime précédent a rendu les corps bien disposés pour recevoir la plante maîtresse. Peu après la prise de la boisson, lorsque les lucioles parsèment l'obscurité de leur étincelle de feu et que le grincement des grillons se déchire aux murmures oblongs de la jungle, les corps allégés se détendent et ressentent un léger frisson. La communion commence entre les participants, qui sont aussi eux-mêmes, mais qui sont aussi le groupe.

L'exercice d'intériorisation auquel la prise de la substance cérémonielle vous introduit, commence par une série d'associations, de souvenirs, de projections, d'inquiétudes et tout ce questionnement qui nous opprime souvent. Puis viennent les premières visions sous la forme d'une géométrie complexe de lignes phosphorescentes et zigzagantes qui produisent un vertige de mouvement accéléré.

Il cède ensuite la place au moment où nous faisons l'expérience de la condition fragmentaire à laquelle les régimes de la vie quotidienne nous contraignent. C'est le moment de la fragmentation et de la "mareación", le moment où le mal est expulsé. Ici, le corps cherche à se débarrasser des surplus physiques et psychologiques, des tensions et des peurs qui se matérialisent sous forme de fluides intestinaux et dans la tension excessive des muscles et des tendons désintégrés en fragments irréconciliables. Viennent ensuite les hauts le coeur qui vous obligent à expulser de manière physique et psychique, parfois de manière abrupte et inconfortable tout ce qui empêche le calme et la fuite symbolique que le participant à la cérémonie s'apprête à entreprendre. C'est la partie où les plantes maîtresses nettoient l'organisme de tout ce qui a entravé la circulation libre et harmonieuse des corps en unité avec les âmes.

Après la bataille, le corps retrouve sa chaleur et entre dans la phase des visions. L'esprit et l'émotion se lancent dans un voyage biographique où les souvenirs les plus troublants qui ont marqué notre vie apparaissent sous forme d'images. Image après image, la trajectoire personnelle est revue de manière accélérée, en contraste avec l'immobilité et la léthargie des organes, des muscles et des os qui reposent dans la maloca. À ce moment de la cérémonie, le maître guérisseur, le médecin traditionnel, le guérisseur, entonne les chants sacrés appelés "ikaros". Des chants éternels qui de père en fils, de génération en génération, grâce à l'impulsion des plantes médicinales, ont été transmis parmi les cultures amazoniennes millénaires. Chaque peuple a préservé cet héritage, l'adaptant aux sons de sa langue et à la mythologie de sa lignée comme un chant qui condense les sons insondables de la forêt. La disposition des images peut être donnée de manière ordonnée dans des séquences ou de manière chaotique dans des images fantastiques. Le maestro, muni d'un mapacho et attentif à l'effet des visions, surveille le patient avec un ikaro individuel et avec des bouffées de fumée de tabac volumineuses, qui s'ajoutent à ce stade de la cérémonie, à  son esprit protecteur, à ce moment de rencontre et d'unification.

Les ikaros sont des mélodies répétitives et pénétrantes que le maître chante pendant la cérémonie. Si la "mareación" atteint un niveau vertigineux et difficile à gérer, les ikaros aideront à passer la tempête. Avec ces chants, aux modulations parfois aiguës, douces et délicates, qui alternent avec des basses et des sons martiaux, le maestro renouvelle son lien avec le groupe et avec chacun des assistants à tout moment et tout au long de la nuit. Ces chants sacrés sont exécutés selon une structure de début, de milieu et de fin : un chant d'ouverture, qui encapsule en même temps le groupe dans une couche protectrice, puis vient une série de chants de développement et enfin se termine par un chant de clôture.

Le message transmis par le chant final est appelé "arkano" et constitue un verrou protecteur sous forme de mélodie, que l'acolyte portera jusqu'à la cérémonie suivante et, selon son travail de suivi intérieur, l'accompagnera tout au long de sa vie.

traduction carolita d'un article paru sur noticias.ser.pe le 21/05/2020 avec mes remerciements à Luis pour la confiance qu'il m'accorde

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