Pérou - Comment protéger les droits des peuples originaires sans quitter la communauté ?

Publié le 16 Avril 2020

Nouveaux scénarios urgents pour la défense des intérêts et la communication stratégique

La crise déclenchée par la pandémie COVID-19 pose de nouveaux scénarios et des défis urgents en matière de plaidoyer et de communication stratégique au nom des peuples indigènes.

Servindi, 14 avril 2020 - S'il y a une chose qui est claire dans le nouveau contexte dans lequel nous vivons, c'est que les organisations indigènes savent ce qu'elles ont à faire. Leur mémoire de ce qui fonctionne dans les moments de crise qui menacent leur existence les amène à exercer diverses stratégies, non exclusives mais complémentaires les unes des autres, comme par exemple :

a) Fermer et contrôler leurs frontières et, à partir de là, essayer de consolider leur souveraineté alimentaire de la meilleure façon possible ;

b) Exiger que les politiques d'aide sociale du gouvernement atteignent leurs communautés avec la rapidité, la quantité, la qualité et les soins nécessaires.

c) Produire et distribuer du matériel de communication sur la santé dans les langues maternelles avec le soutien du gouvernement et des alliés de la société civile.

Aucune des stratégies ci-dessus n'est nouvelle. Ce qui est nouveau pour les peuples indigènes et leur réseau d'alliés, c'est de devoir le faire sans l'éventail habituel de tactiques : mobilisation sociale, réunions avec des fonctionnaires de tous niveaux, envoi régulier de documents pour ouvrir les procédures administratives et juridiques.

D'autre part, il faut considérer que les organisations indigènes ont fondé leur capacité d'organisation sur l'information et la cohésion de leurs bases par le biais de réunions, d'assemblées et d'ateliers en face à face, qui pour l'instant sont irréalisables et non recommandés.

Il ne faut pas oublier, par ailleurs, que le budget nécessaire à ces rencontres a été obtenu en mobilisant des fonds provenant d'ateliers pour des projets climatiques, de conservation ou de développement productif, et que si ces projets sont modifiés, il faudra un temps que l'urgence ne pardonnera peut-être pas.

Pour leur part, en pleine pandémie, différents secteurs déploient également des stratégies anciennes et nouvelles pour tirer parti de leur capital politique, social, économique et culturel et pour faire en sorte que la redistribution des ressources publiques pour l'urgence soit canalisée pour garantir leur propre santé, tout en sauvegardant leurs intérêts particuliers dans un scénario post-quarantaine.

Les politiques publiques soumises à l'agenda médiatique

Quels groupes ou secteurs seront les plus performants et quel niveau de priorité le mouvement indigène atteindra-t-il dans cette inévitable concurrence ?

Pour répondre à cette question, il est essentiel de comprendre qu'une caractéristique du système politique péruvien, particulièrement marquée dans l'administration de Martin Vizcarra, est que les gouvernements des 30 dernières années n'ont pas le soutien d'institutions politiques capables d'assurer la médiation entre les demandes des différents groupes d'intérêt et leurs propres priorités de politique publique.

Sans ces cas de médiation d'intérêt, nous avons un gouvernement qui est soutenu presque exclusivement par son niveau de popularité, comme seul capital politique.

Dans des circonstances moins urgentes, il est courant que des fonctionnaires et des cadres intermédiaires de confiance du secteur public hiérarchisent leurs décisions selon le critère de ne pas affecter l'image publique du gouvernement.

Compte tenu de l'atteinte possible à leur image politique, les décideurs changent souvent les fonctionnaires qui vivent leur quotidien dans l'instabilité et doivent gérer les intérêts de leur secteur avec leurs propres capacités.

Cette situation est exacerbée lorsque l'agenda des médias est axé sur la surveillance et l'évaluation des performances des fonctionnaires pendant la pandémie.

Différents groupes d'intérêt s'adaptent à ce scénario et engagent des sociétés de communication stratégique et de relations publiques qui offrent leur capacité à placer leur question à "l'ordre du jour des médias", c'est-à-dire à se rendre là où se trouve le seul capital politique dont dispose le gouvernement pour gérer cette situation sans précédent.

Dans l'environnement urbain, les citoyens organisés ont appris à évoluer dans ce scénario et à déployer des stratégies pour transmettre leurs problèmes aux médias, avec lesquels ils sont en relation en tant que fournisseurs de "nouvelles".

La relation est si étroite que de nombreux médias ont des journalistes spécialisés en contact avec les chefs de quartier et dans la recherche de cas de ce type avec ceux qui sont en compétition pour l'audience au moment de la plus haute cote : le journal du matin.

Ainsi, il se forme une situation dans laquelle :

(...) les médias construisent des programmes publics par la sélection, la hiérarchisation et la répétition permanente de certaines questions qui suscitent l'intérêt des publics (1). (...) Diverses études expliquent les effets des médias sur la société, dont les implications substantielles dans le domaine de la politique sont la fixation de l'agenda public (agenda-setting) et la construction de cadres d'interprétation (framing) sur la politique, ses acteurs et ses règles du jeu (2).

Particularités de l'environnement amazonien


Dans la région amazonienne, divers facteurs conspirent pour rendre la couverture médiatique difficile. L'un des facteurs est le manque de logistique pour obtenir des images d'impact pouvant être "télévisées" ainsi que pour obtenir en temps utile les déclarations des personnes touchées.

En outre, ne pas s'attaquer d'urgence aux problèmes de ce secteur de la population aurait un faible coût politique pour le gouvernement dans l'esprit commun. Pour la pensée centraliste enracinée dans la capitale, il s'agit d'une population minoritaire et dispersée en termes électoraux, qui manque d'influence pour faire pression et placer son programme dans les médias de masse.

Pour ces raisons, il est plus important que jamais d'inverser cette tendance à l'exclusion et de renforcer les organisations indigènes, en créant des scénarios de dialogue direct avec les principaux décideurs, où de nombreuses décisions sont définies : les médias de masse.

Avoir un impact sur ces médias leur permettra d'être correctement entendus et inclus dans les comités d'urgence pour mettre en œuvre des stratégies de santé avec une approche interculturelle, et de contribuer à canaliser l'aide à la population au rythme requis.

Il est urgent de mettre à la disposition des organisations des outils tels que le storytelling ou l'art de raconter une histoire audiovisuelle en lien avec les utilisateurs ; de repenser la communication pour un plaidoyer qui doit désormais être canalisé presque exclusivement par les réseaux sociaux ou les médias de masse ; la production de nouveaux récits numériques, la gestion des médias, etc.

Il est également nécessaire d'identifier les journalistes et les leaders d'opinion des médias, de les intéresser aux raisons et à la gravité de la situation des communautés de l'Amazonie et de leur fournir des données, des contacts, des ressources graphiques et audiovisuelles afin qu'ils intègrent l'agenda indigène dans leur travail de communication.

Dans ce but, il sera fondamental d'articuler les efforts des réseaux et des médias de communication communautaire et spécialisés dans les questions environnementales qui opèrent dans divers endroits du pays, de sorte que, en alliance avec les journalistes et les médias influents basés à Lima, ils organisent des campagnes thématiques avec des objectifs de médias progressistes et d'incidence politique.

Les campagnes doivent susciter l'empathie des autres secteurs citoyens, en appliquant des stratégies de diffusion multicanaux, et s'articuler avec divers alliés au sein du système des Nations unies, des agences de coopération internationale, des coopérateurs et des fondations privées.

Des résultats importants ne seront obtenus que si les organisations indigènes parviennent à influencer suffisamment l'opinion publique avec des messages qui imprègnent les sens communs qui prévalent dans les médias "nous sommes dans le même bateau" et "personne ne doit être laissé pour compte".

Il ne fait aucun doute que rien de tout cela ne sera facile. Les médias prennent des décisions sous la pression de la concurrence pour les audiences, et tant les agences de relations publiques que les départements d'image et de communication des institutions disposent de professionnels connaissant les meilleures stratégies pour présenter leurs informations comme les plus précieuses.

Mais c'est précisément pour cette raison qu'il devient fondamental de veiller à ce que le mouvement indigène ait les mêmes possibilités d'accès.

Les réseaux sociaux n'y sont pas étrangers. Les agences de communication numérique proposent des services pour mettre leurs clients en contact avec des influenceurs, interviennent en cas de risque de réputation et proposent des packages de design pour attirer l'attention, qui sont combinés à d'importants investissements dans la publicité.

Un risque aggravé pour les peuples indigènes est que, sans espaces réguliers de participation, l'agenda des médias publics se concentre sur les problèmes des classes moyennes formelles et informelles, qui sont le principal public des annonceurs des médias de masse parce qu'elles consomment plus de publicité et ont plus de pouvoir d'achat. De nombreux médias réservent une grille de contenu spécifique à ce public, car c'est le plus attractif pour leurs annonceurs.

Pour ces raisons, tout effort que nous faisons pour renforcer les capacités de communication du mouvement indigène peut contribuer à sauver des vies. Jamais auparavant la communication n'est devenue aussi essentielle. La Commission Interaméricaine des Droits de l'Homme l'a compris et l'a mis à disposition :

“55. Fournir des informations sur la pandémie dans leur langue traditionnelle, en mettant en place, si possible, des animateurs interculturels pour leur permettre de comprendre clairement les mesures prises par l'État et les effets de la pandémie".  Résolution n° 01/20 Pandémie et droits de l'homme dans les Amériques.

Dans un scénario d'isolement et d'immobilité sociale, l'espace publico-médiatique est devenu un champ de bataille où les puissants intérêts cherchent à placer leur programme et à le faire passer en priorité dans la prise de décision en faveur des intérêts privés.

Cette situation menace d'accroître l'exclusion de ceux qui, aujourd'hui plus que jamais, ont besoin d'être entendus et renforcés. Il ne suffit pas de parvenir à une communication de l'État vers les communautés. Une véritable communication interculturelle est toujours un dialogue, et non un monologue, et le circuit d'aller et de retour doit être complété.

Nous parions sur le renforcement des organisations territoriales représentatives et sur leur capacité à interpeller l'État et à dialoguer avec lui, en sauvegardant leurs droits et devant le regard de tous les citoyens.

 

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