Mexique : Fantoches les indigènes ?

Publié le 6 Février 2020

Lequel devrait avoir honte que des enfants, au lieu d'aller à l'école comme les autres doivent intégrer la police communautaire pour défendre leurs vies et celles de leurs familles ?

A fantoche, fantoche et demi......

Mi nota

Les récentes déclarations du Président de la République, Andrés Manuel López Obrador, sur la présentation des enfants armés par la Coordinatation Régionale des Autorités Communautaires des Peuples Fondateurs (CRAC-PF) à Alcozacán, municipalité de Chilapa, sont très préoccupantes. Le président a identifié ce système de sécurité et de justice communautaire, qui a été créé avec beaucoup de succès il y a 25 ans par les peuples Me'phaa et Na'savi de la Costa-Montaña, contre les groupes du crime organisé. Rien n'est plus faux, les propos du président lors de sa conférence du matin du vendredi 31 janvier dernier, selon lesquels la CRAC-PF a fait une "démonstration de marionnettes, d'arrogance... (que) ces démonstrations d'arrogance sont inutiles, elles ne veulent rien dire, elles font du bruit... ils devraient avoir honte de faire cela, ils ne vont pas être applaudis pour cela".  Il est clair que cette position présidentielle est axée sur les organisations criminelles qui se sont renforcées ces dernières années, en raison de la complicité qui prolifère entre les forces de sécurité de l'État, certains membres de l'armée et de la marine mexicaines, et certaines autorités étatiques et municipales. L'accusation est faite sans aucune nuance, elle va à l'encontre des autorités de la CRAC-PF, faisant table rase du prestige que cette institution indigène a dans l'état du Guerrero.

Il est préoccupant que le président ne reçoive pas d'informations précises sur le travail des groupes de police communautaire, qui sont régis par un règlement intérieur et dont la base de fonctionnement est l'assemblée communautaire. Nous en déduisons que les hauts fonctionnaires du cabinet fédéral de sécurité ne disposent pas de données fiables ni d'une radiographie claire de ce qui se passe dans les différentes régions du pays, et dans le cas précis de la Montaña Baja de Guerrero. Il en va de même pour les Tables de Coordination de l'Etat pour la Construction de la Paix au Guerrero, qui sont censées analyser les différents scénarios criminels qui se développent dans les sept régions de l'Etat. Il est regrettable que le pouls de ce qui se passe dans les municipalités où l'incidence de la criminalité est élevée et où se trouvent diverses organisations criminelles qui ont pris le contrôle du territoire ne se fasse pas sentir. Nous comprenons également qu'il y a un suivi spécifique des actes de violence et des plaintes déposées, ce qui donne pour ligne directrice d'avoir une carte criminelle et par conséquent de prendre des mesures d'endiguement et de prévention du crime.

Le Président de la République lui-même a exprimé que tous les gouverneurs ne donnent pas la priorité au problème de la violence et de l'insécurité, car beaucoup d'entre eux ne participent pas à ces tables de coordination. Nous ne savons pas s'il existe en fait des lacunes dans la connaissance du contexte et des informations traitées ou si, plutôt, il existe encore des intérêts macro-criminels qui entravent les enquêtes et maintiennent le pacte d'impunité intact.

Le poids de la parole présidentielle prend des dimensions inhabituelles en raison de la représentation qu'il détient en tant que leader de la nation. Ses opinions sont si fortes qu'elles ont un impact direct sur les personnes concernées. La qualification qu'il donne à certains faits qui se produisent dans le pays a une grande charge de vérité, pour la même raison, ce que le président vient dire dans les conférences du matin, un grand secteur de la population le prend comme des données irréfutables. Le pouvoir que détient le président n'est pas seulement symbolique, mais réel. Par conséquent, tout ce qu'il dit devient une nouvelle qui affecte, pour le meilleur ou pour le pire, les personnes ou les organisations qui font l'objet de ses commentaires. Pour la même raison, la remarque qu'il a faite à propos de la CRAC-PF ne contribue pas à clarifier l'environnement criminel qui existe dans la région de Chilapa et confond les acteurs de ce conflit pour le contrôle territorial. Il met les groupes de criminalité organisée qui essaiment dans la région au même niveau que les communautés indigènes qui font partie du système de sécurité et de justice communautaire.

Il est important de souligner que les peuples indigènes de l'état de Guerrero ont une cosmovision qui les rend différents du reste de la population nationale. Ils ont leur propre forme d'organisation sociale, politique et culturelle. En tant que sujets de droits, les peuples et les communautés doivent être respectés dans une société multiculturelle, pluraliste et démocratique.

Même avant la création de l'État national, les peuples indigènes disposaient de leur propre système de justice, qui survit aujourd'hui dans les communautés en tant que système normatif interne, comprenant des institutions, des procédures, des principes et des lignes directrices pour garantir la sécurité et la justice communautaires. La défense de ces systèmes est désormais reconnue comme un droit des peuples et des communautés, dans des instruments tels que la Convention 169 de l'Organisation internationale du travail (OIT).

Dans cette ligne de revendication de leurs droits, les peuples indigènes des Amériques - et significativement du Mexique - ont mené des batailles importantes pour s'affirmer, se reconstituer et renverser le harcèlement contre leurs systèmes normatifs internes. Il ne faut pas négliger les discussions qui ont eu lieu dans les organismes et forums internationaux tels que l'OIT, l'Instance permanente, le Mécanisme d'experts sur les peuples indigènes qui fait rapport au Conseil des droits de l'homme des Nations unies, et dans le système interaméricain des droits de l'homme lui-même. Avec différentes nuances, au niveau international, le droit des peuples indigènes à maintenir et à préserver leurs propres systèmes normatifs a été établi.

Certains considèrent que ces efforts, dans le cas du Mexique, se sont cristallisés dans la réforme constitutionnelle de l'article 2 de la Constitution politique du Mexique de 2001, qui, comme on le sait, n'a pas suffi à reconnaître pleinement les droits collectifs des peuples indigènes. Cependant, il est nécessaire de souligner qu'avant cette contre-réforme, avec l'influence digne du soulèvement zapatiste de 1994, les peuples indigènes ont commencé à renforcer leurs propres formes d'organisation sociale et politique : les Caracoles ont été formés au Chiapas ; des juges indigènes ont émergé dans d'autres états ; et, au Guerrero, la Coordination Régionale des Autorités Communautaires - Police Communautaire (CRAC-PC) a été formée en 1995.

Dans l'État, la CRAC-PC est une entité collective des peuples indigènes, dont le processus d'émergence, de développement et de consolidation a été transformé en un système de justice efficace et performant. Les mêmes statistiques l'ont démontré en réduisant les niveaux de criminalité sur le territoire communautaire de la Montaña et de la Costa Chica. Les routes et les villages où la justice de la CRAC prévaut aujourd'hui sont sûrs ; on peut y marcher et y dormir paisiblement, même si le fonctionnement de la police communautaire a fait l'objet de persécutions et de dénonciations permanentes de la part des autorités. C'est pourquoi elle a inspiré d'autres projets de sécurité et de justice dans notre État et dans d'autres entités.

Le CRAC fonctionne depuis 25 ans. Elle dispose de règlements qui ont condensé les systèmes normatifs des peuples indigènes qui se trouvent sur le territoire communautaire, sans étouffer le dynamisme qui caractérise le droit coutumier, qui par sa nature même est oral et casuistique. Ces règlements constituent le cadre d'action de la police communautaire et de ses coordinateurs.

Le CRAC rend la justice par un processus éminemment oral, immédiat, simple et rapide, basé sur la cosmovision et la rétribution des communautés indigènes. Elle est régie par les principes d'impartialité et d'indépendance, dans le respect des droits de l'homme universellement reconnus. Les actions de la police et des coordinateurs sont en permanence soumises à un mécanisme exigeant de responsabilité et de contrôle : l'Assemblée communautaire devant laquelle les autorités de la CRAC sont responsables.

Aujourd'hui, la CRAC, avec ses maisons de justice à San Luis Acatlán, Ziltlaltepec, Espino Blanco, Las Juntas et El Paraíso, est un acteur fondamental du mouvement social du Guerrero et un exemple au niveau national de la reconstitution des systèmes normatifs des peuples indigènes. Au milieu de la crise de violence qui sévit dans le pays, le CRAC brille comme une alternative de justice et de sécurité ayant des racines communautaires. Le CRAC-PF n'est pas une organisation criminelle, ni une institution créée par les peuples indigènes pour des marionnettes et de l'arrogance.

Il est important de dire que l'émergence de la CRAC-PF dans la région de Chilapa se produit dans le cadre d'agressions systématiques par les communautés voisines, en raison de conflits agraires de longue date et de l'incursion de groupes criminels organisés dans cette région, qui ont la complicité des autorités municipales et de l'État.

Ce siège croissant et brutal contre les communautés qui se sont rassemblées autour du système CRAC-PF, par le groupe du crime organisé, a forcé 16 communautés Nauas à accepter de mettre en place des mesures de sécurité, en redoublant la surveillance aux entrées de leurs villes et en établissant une garde permanente pour protéger les familles lorsqu'elles se déplacent pour effectuer leur travail à la campagne.  C'est dans le cadre de ces assemblées que les directeurs, les mères et les pères de Ayahualtempa et d'Alcozacán ont décidé d'incorporer 19 enfants dans les rangs de la police communautaire comme mesure extrême pour faire face à la violence criminelle. C'est la lutte qui honore leurs ancêtres pour défendre leur territoire et leur vie, et pour cette raison ils n'ont pas "honte".

Centre des droits de l'homme de Tlachinollan

traduction carolita d'un article paru sur le site Tlachinollan.org le 3 février 2020

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