Rébellion en Haïti : "Ce que nous vivons est une crise du capitalisme et de l'impérialisme américain."
Publié le 15 Novembre 2019
"Haïti est un pays dans lequel nous sommes confrontés à une situation de crise totale : crise économique, crise politique, crise sociale. Il y a donc une révolte populaire, le peuple, le peuple des quartiers populaires, les travailleurs, les paysans sont dans la rue, organisant des marches, des barricades, utilisant toutes les stratégies disponibles pour défier le régime actuel", a exprimé Guy Laurore Rosenez, défenseur des droits humains au Bureau des Avocats Internationaux (BAI) et membre du Mouvement pour la Liberté, l'Egalité des Haïtiens et des Haïtiennes pour la Fraternité (MOLEGHAF) dans un entretien pour Avispa Midia.
"Le peuple exprime son indignation, sa frustration et exige la démission du président Jovenel Moise. Mais les gens voient cette démission comme une étape dans une lutte beaucoup plus globale, qui est une lutte pour changer le système, mettre fin à ce régime et ouvrir la voie à une société qui permette aux gens de vivre dans la dignité ", a partagé Laurore sur la situation actuelle du pays des Caraïbes.
La rébellion qui a paralysé le pays des Caraïbes a commencé il y a plus d'un an lorsque, début juillet 2018, le gouvernement Moise a décidé d'augmenter le coût des produits pétroliers sous la pression du Fonds Monétaire International (FMI). Depuis cette date, plusieurs vagues de mobilisation ont eu lieu. Ces derniers mois, la crise a été aggravée par l'implication du président dans des affaires de corruption et de pénurie de carburant.
DANS LE CONTEXTE, EN HAÏTI, LES MOBILISATIONS ATTEIGNENT UN MOIS POUR EXIGER LA DÉMISSION DU PRÉSIDENT ET LA FIN DE L'INGÉRENCE INTERNATIONALE
Samedi 9 novembre, les organisations civiles et les partis d'opposition haïtiens ont signé un accord politique pour jeter les bases d'un éventuel gouvernement de transition au cas où l'actuel président, Jovenel Moise, démissionne, il n'a jusqu'à présent donné aucun signe de son intention de quitter le pouvoir.
Il n'y a pas de calendrier pour planifier sa mise en œuvre, seulement une feuille de route pour le processus qui comprend également la durée de la transition et la structure que le nouveau gouvernement superviserait.
Le parti social-démocrate Fanmi Lavalas, de l'ancien président Jean-Bertrand Aristide, n'a pas signé l'accord. Le peuple haïtien ne semble pas non plus faire confiance à cette initiative, promue par les organisations et partis traditionnels.
"Ces gens sont incapables de changer le système parce que ce système leur profite. La plupart des dirigeants de ces groupes sont sur la scène politique depuis plus de 30 ans. Ils se connaissent tous. Ils essaient simplement d'améliorer leur image auprès de la population ", a déclaré Nixon Bomba, un militant pour Radio Canada.
"Aujourd'hui, tout le pays est mobilisé, même les forces les plus réactionnaires appellent à la démission de Moise. L'Église catholique, par exemple, qui est une institution très conservatrice en Haïti, veut la démission de Moise ", dit Laurore Rosenez au sujet de l'ampleur du mécontentement contre le président dans de larges secteurs de la société haïtienne.
La police haïtienne, formée par les États-Unis et l'ONU
D'une part, la police haïtienne bénéficie depuis des années d'un programme d'assistance du Département d'État américain, par l'intermédiaire de la Section de l'application des lois et des affaires relatives aux stupéfiants (NAS). Doté d'un budget de plus de 165 millions de dollars, ce programme est le troisième en importance dans la région, derrière ceux mis en œuvre au Mexique et en Colombie.
Selon le site officiel de l'ambassade des États-Unis en Haïti, la NAS " fournit une assistance pour permettre au gouvernement haïtien d'établir une présence policière et sécuritaire visible et légitime, fondée sur la justice et la primauté du droit, qui génère une culture de légalité et de respect des droits humains, et qui assure la protection des populations vulnérables."
Le programme soutient en particulier la PNH, les unités spécialisées dans la lutte contre le trafic de drogue et le blanchiment d'argent ; les réformes du secteur judiciaire et du secteur correctionnel. L'une des principales actions menées dans le cadre de ce programme est la formation d'agents de police, dont certaines sont co-parrainées par la Police nationale de Colombie.
La PNH a également reçu, au cours des 15 dernières années, l'appui des Nations Unies dans le cadre de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) puis de la Mission des Nations Unies pour l'appui à la justice (MINUJUSTH). Ces missions sont accompagnées par ce que l'on appelle le " groupe des amis d'Haïti ", également connu sous le nom de " groupe restreint ", un groupe composé de représentants de l'Union européenne, de l'Organisation des États américains et des ambassades du Brésil, du Canada, de la France, de l'Allemagne, des États-Unis et de l'Espagne.
Depuis son arrivée en 2004, l'un de ses principaux objectifs a été de " professionnaliser le système judiciaire et la police nationale haïtienne ".
Pour Laurore Rosenez, cependant, la réalité était différente. "La situation actuelle montre que lorsque l'ONU a parlé de professionnaliser la police haïtienne, il s'agissait en réalité de former une force de police de plus en plus répressive qui va à l'encontre des intérêts du peuple ", dénonce le défenseur des droits humains.
Contrôle politique international
Dans le cadre de sa "mission de paix", l'ONU et le Core group ont non seulement assumé des missions de sécurité publique, mais se sont également consacrés à "l'accompagnement" des processus électoraux, que ce soit pour l'organisation des élections présidentielles, législatives ou municipales.
"En réalité, cela signifiait qu'il fallait décider qui devait ou ne devait pas être élu au sein de l'organisation de lutte contre la fraude électorale ", explique Laurore Rosenez.
Le régime actuel dirigé par le Parti Tèt Kale haïtien et mieux connu sous le nom de "régime PHTK" est le produit de cette politique interventionniste.
Jovenel Moise a été élu avec 55,67% des voix en novembre 2016, après un processus électoral de plus d'un an et avec une faible participation estimée à seulement 21%. Une première élection qui lui avait également donné gain de cause avait été annulée en octobre 2015 pour des allégations de fraude, puis reportée à trois reprises successives.
Moise est arrivé au pouvoir sans aucune expérience politique préalable. Exportateur agro-industriel de bananes, il a contribué à la création d'une société régionale d'énergie et dirigé une usine de distribution d'eau, entre autres activités. Il a été choisi par l'ancien président Michel Martelly (2011-2016) pour lui succéder avec le soutien des États-Unis, de l'Organisation des États américains (OEA) et d'autres gouvernements étrangers. Selon des documents obtenus par Al Jazeera, Martelly lui-même avait déjà reçu de l'argent des États-Unis par l'intermédiaire de l'Office of Transitional Initiatives (OTI), une branche de l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) pour faciliter sa victoire électorale.
Juste après son élection, M.Moise a fait part publiquement de son désir de forger un lien solide entre les États-Unis et Haïti. "Je crois que le président Trump aura une meilleure compréhension des relations entre les deux pays, qui seront fondées sur une coopération axée sur les intérêts des deux pays. Le président Trump et moi sommes des entrepreneurs, et tout ce qu'un entrepreneur veut, ce sont des résultats", a-t-il déclaré dans une interview à l'agence de presse Reuters.
Pour le Centre Géopolitique Stratégique Latino-Américain (CELAG), le soutien que Moise reçoit des États-Unis est la principale raison pour laquelle il reste au pouvoir jusqu'ici, malgré les mobilisations du peuple haïtien.
"Le PHTK est actuellement le garant de l'activité du capital international, essentiellement par le transfert des terres paysannes aux transnationales américaines. Pour cela, il ne dispose que d'un petit secteur de l'oligarchie locale, qui bénéficie d'une partie du détournement des fonds au détriment de la majorité de la population. (...) L'influence nord-américaine a consolidé une économie haïtienne à prédominance extractive - environ 2 milliards de dollars en gisements minéraux exploités principalement par des sociétés américaines et canadiennes. Actuellement, cette influence est le seul soutien d'un président impopulaire, dont la démission continue d'être exigée par le peuple dans ses protestations massives", déclare l'organisation CELAG.
"La crise haïtienne actuelle est le produit de l'impérialisme américain et de l'impérialisme mondial ", résume le défenseur haïtien des droits humains Guy Laurore Rosenez.
A la responsabilité des Etats-Unis dans la crise haïtienne, il ajoute la participation des autres membres du Core group, en particulier les gouvernements allemand, canadien, espagnol et français.
"En réalité, ce sont des pays qui soutiennent la corruption et l'impunité en Haïti, qui soutiennent le détournement de fonds, qui soutiennent des gouvernements assoiffés de sang qui massacrent le peuple haïtien. Et lorsque le peuple indigné se lève pour rejeter le régime, ce groupe impérialiste appelle au dialogue. Mais il n'appelle pas à un dialogue visant à mettre fin à l'insécurité, à l'impunité, à la violence armée et à la corruption. Non, ils appellent à un dialogue qui ne vise qu'à maintenir le statu quo et à préserver le régime. Il est très important de comprendre qu'en réalité, ils sont contre tout dialogue réel en Haïti ", dénonce Laurore Rosenez.
En conclusion, le défenseur et activiste des droits humains appelle à la solidarité internationale avec le peuple haïtien, et déclare à son tour sa solidarité avec les autres peuples en lutte dans le monde. "Ce qui se passe en Haïti n'est pas quelque chose d'isolé, ce que nous vivons est une crise du capitalisme et de l'impérialisme américain. La lutte haïtienne s'inscrit dans une dynamique de lutte beaucoup plus globale où l'on voit le peuple chilien, le peuple équatorien qui se lève aussi, les peuples du monde doivent s'unir et se serrer les coudes pour détruire ce système qui détruit notre planète.
traduction carolita d'un article paru sur Avispa midia le 12 novembre 2019