Pérou - Le lot 200 et le consentement d'un peuple

Publié le 8 Septembre 2019

Le rejet des communautés et organisations autochtones semble unanime. Le droit, dans ce cas particulier, les protège et garantit leur droit à consentir. Par conséquent, une éventuelle procédure de consultation pour l'approbation du contrat d'exploration et d'exploitation du lot 200 ne sera pas suffisante.

Par Álvaro Másquez Salvador

Ideele, le 5 septembre 2019 - Le 15 juin, les communautés et organisations des peuples Shipibo, Asháninca et Awajún ont rejeté le lot 200 sur leur territoire. Ils l'ont fait au moyen d'un acte officiel qu'ils ont remis aux fonctionnaires des secteurs de la culture et de l'énergie et des mines. Les deux ministères avaient précisément organisé une réunion préparatoire à Pucallpa, en vue de lancer une procédure de consultation préalable sur le projet relatif aux hydrocarbures.

Les peuples autochtones, dans le cadre du débat juridique, ne revendiquent pas le droit d'être consultés, mais l'obligation pour l'État d'obtenir leur consentement. En d'autres termes, le droit au consentement préalable, libre et éclairé, qui leur donnerait le pouvoir de rejeter le projet. Si elle était acceptée, ce serait la première fois dans l'histoire du Pérou.

Mais est-il possible pour les autochtones de décider de la viabilité du lot 200, malgré les nombreux soupçons ?

Nous essaierons de répondre à la question en nous basant sur les règles du droit national et international.

Le projet


Le lot 200 est un polygone situé entre les régions d'Ucayali et Huánuco, dans les provinces de Coronel Portillo, Padre Abad et Puerto Inca. Il a une extension de 447 126,5 hectares au milieu de l'Amazonie péruvienne. Le 1er août 2017, la Compañía Española de Petróleos - par l'intermédiaire de sa filiale CEPSA Peruana S.A.C. - a exprimé son intérêt pour l'exploration et l'exploitation du lot pétrolier. Le 21 mars 2018, la société a obtenu de Perupetro une notation favorable de sa capacité juridique, technique, économique et financière.

Il s'agit de la société chargée, pour le compte de l'État péruvien, de signer et de superviser les contrats d'exploration et d'exploitation des hydrocarbures au Pérou.

Le projet, selon le processus contractuel, a été soumis à la participation des citoyens. Dix ateliers d'information ont eu lieu entre juin et juillet 2018, sept à Ucayali et deux à Huánuco.

Par la suite, le ministère de l'Énergie et des Mines a annoncé la tenue de consultations préalables avec les communautés des peuples Shipibo, Asháninca et Awajún, directement touchées par l'exploration et l'exploitation du lot 200. 11 ont été identifiées dans la zone d'influence du projet.

Toutefois, les organisations autochtones ont catégoriquement rejeté la consultation. Ils exigent le consentement.

Entre la consultation et le consentement


Qu'est-ce que le consentement libre, préalable et éclairé ?

Il s'agit d'un droit émergent des peuples autochtones reconnu dans la Convention 169 de l'Organisation Internationale du Travail en son article 16.2 : " Lorsque, exceptionnellement, la réinstallation et le transfert de ces peuples sont jugés nécessaires, ils ne peuvent être effectués qu'avec leur consentement, donné librement et en pleine connaissance de cause."

En d'autres termes, contrairement à la consultation, elle ne se limite pas à la recherche d'un accord entre les peuples autochtones et l'État pour l'approbation d'une mesure -administrative ou législative- qui peut affecter un peuple autochtone. Cela va plus loin. Son objectif est que la population autochtone approuve ou désapprouve la mesure à la suite d'un dialogue interculturel. Sa décision est donc contraignante pour la poursuite du projet.

Ce droit donne aux peuples autochtones le droit d'interdire les mesures qu'ils jugent nuisibles. Bien que la consultation ait été possible malgré l'absence d'ententes, le consentement exigeait une décision ferme et sans équivoque.

La Cour Interaméricaine des Droits de l'Homme s'est prononcée en faveur du consentement des peuples autochtones lorsque des circonstances exceptionnelles le justifient. Dans l'affaire Saramaka contre Paraguay, concernant l'octroi de concessions minières et forestières sur le territoire autochtone, la Cour a noté :

"Lorsqu'il s'agit de plans de développement ou d'investissement à grande échelle qui pourraient affecter l'intégrité des terres et des ressources naturelles du peuple saramaka, l'État a l'obligation non seulement de consulter le peuple Saramaka, mais aussi d'obtenir son consentement libre, préalable et éclairé, conformément à ses coutumes et traditions.

(1) Les communautés croient à juste titre que l'exploration et l'exploitation éventuelle du lot 200 affecteront leur capacité de contrôler et de décider de leurs territoires traditionnels. 

James Anaya(2), ancien Rapporteur spécial des Nations Unies sur les peuples autochtones, était du même avis que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUPI).

Il convient de noter que le droit au consentement est une manifestation d'autres droits fondamentaux - déjà reconnus - des peuples autochtones : l'autodétermination (ou  la libre détermination) et la propriété collective sur leurs territoires traditionnels et ressources naturelles.

Nous pouvons identifier au moins cinq cas dans lesquels le consentement est requis au Pérou(3) :

a) lorsqu'il s'agit du déplacement d'un peuple autochtone ;

b) lorsqu'il s'agit du stockage ou de l'élimination finale de matières toxiques ou dangereuses sur le territoire autochtone ;

c) pour l'approbation de "mesures d'action positive" (favorisant l'accès des peuples autochtones aux services sociaux) ;

d) pour l'établissement et la catégorisation d'une aire naturelle protégée sur le territoire autochtone(4) ; et

e) lorsque la survie d'un peuple autochtone est menacée, qu'elle soit physique, économique ou culturelle.

Le lot 200, en raison de ses caractéristiques, impliquerait de graves menaces pour la survie des communautés autochtones qui habitent sa sphère d'influence. La signature du contrat entre CEPSA Peruana et Perupetro permettrait à la société d'explorer pour le pétrole et le gaz. S'il les trouve, une fois certaines autorisations obtenues, il peut également exploiter les ressources en hydrocarbures.

En principe, l'exploration nécessite l'identification de réserves de pétrole. L'une des méthodes les plus couramment utilisées en Amazonie est l'exploration sismique, qui utilise des ondes sismiques pour détecter le pétrole dans le sous-sol. Les puits de pétrole seront construits plus tard, en fonction des résultats de l'exploration.

Ces deux facteurs constitueraient une menace sérieuse pour la survie culturelle et même physique des communautés. C'est pourquoi le consentement des autochtones est nécessaire. 
Les communautés croient à juste titre que l'exploration et l'exploitation éventuelle du lot 200 affecteront leur capacité de contrôler et de décider sur leurs territoires traditionnels. En outre, elle pourrait causer des dommages environnementaux à la suite de l'exploration sismique et de la manipulation de substances toxiques. Ces deux facteurs constitueraient une menace sérieuse pour la survie culturelle et même physique des communautés. C'est pourquoi le consentement des autochtones est nécessaire.

Enfin, comme l'a souligné l'ancien rapporteur spécial Anaya, le consentement ne donne pas aux peuples autochtones un droit unilatéral et arbitraire, tout comme la consultation ne donne le pas à l'État. Au contraire, les deux mécanismes visent à empêcher une partie d'imposer sa volonté à l'autre et de rechercher un consensus mutuel(5).

Décision autochtone


Le rejet des communautés et organisations autochtones semble unanime. Le droit, dans ce cas particulier, les protège et garantit leur droit à consentir. Par conséquent, une éventuelle procédure de consultation pour l'approbation du contrat d'exploration et d'exploitation du lot 200 ne sera pas suffisante.

Le Ministère de l'énergie et des mines, en étroite coordination avec le Ministère de la culture, a le défi d'engager une procédure de consentement, c'est-à-dire une procédure visant à obtenir l'approbation du peuple. Pour leur part, les peuples autochtones devront s'asseoir à la table et prendre une décision raisonnée et indépendante. En cas d'intransigeance de l'État, les communautés pourront recourir aux tribunaux pour faire valoir leurs droits.

Le consentement des Shipibos, Ashánincas et Awajún, en Amazonie, ouvre aujourd'hui un nouvel espace pour revendiquer les droits des peuples autochtones du Pérou.


* Álvaro Másquez Salvador est avocat dans le domaine des peuples autochtones et du contentieux constitutionnel de l'Institut de défense juridique (IDL).

Notas:

(1) Corte IDH. Caso del Pueblo Saramaka contra Surinam. Excepciones preliminares, fondo, reparaciones y costas. Sentencia de 28 de noviembre de 2007, párr. 143.

(2) ONU (2009). Informe del Relator Especial sobre la situación de los derechos humanos y libertades fundamentales de los pueblos indígenas, párr. 66.

(3) De acuerdo con la Corte Interamericana de Derechos Humanos, el Convenio 169 de la OIT, la DNUPI, la Ley de Consulta Previa (Ley N° 29785) y su reglamento (Decreto Supremo Nº 001-2012-MC).

(4) De conformidad con el reglamento de la Ley de Áreas Naturales Protegidas (Decreto Supremo Nº 038-2001-AG).

(5) ONU, op. cit., párr. 49

traduction carolita d'un article paru sur Servindi.org le 05/09/2019

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